Le vernis à ongle: histoire d’un succès

Retour en force de l’ongle haut en couleur. Un phénomène qui joue avec la mode… et qui n’existe pas depuis très longtemps.

Si la reine de Saba et Cléopâtre se teignaient déjà les ongles au henné, il faut attendre 1932 pour que soit inventé, outre-Atlantique et par Revlon, le premier vernis moderne. Certes, dès le xixe siècle, les dandys adoraient se polir les ongles, mais la main en tant qu’objet esthétique ne prendra de l’importance que quelques décennies plus tard. « La main est ce qui va le plus loin de notre corps, la représentation la plus extérieure de soi-même », souligne Bernard Andrieu, philosophe et membre du comité scientifique de l’Observatoire Nivea. « C’est une partie de nous que nous pouvons personnaliser tout en la montrant aux autres. La manucure témoigne ainsi de la propreté et du contrôle du soi. »

Au commencement était le rouge

Bien malin donc ce Charles Revson, (le « l » de sa marque ayant été légué par le chimiste Charles Lachman) qui, avec 300 dollars en poche, met au point le procédé à base de pigments donnant naissance au premier vernis à ongles coloré et opaque. Jusqu’alors, les femmes devaient se contenter d’un produit transparent, vaguement teinté, et surtout de qualité médiocre. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il joue les colporteurs, et sillonne les instituts de beauté avec ses ongles peints de toutes les couleurs, pour mieux vanter les nuances de sa gamme. Succès immédiat. Ultime trait de génie, et pas des moindres, il a l’idée de coordonner les premiers rouges à lèvres et les vernis, en repérant que (Oh shocking!) les ongles d’une femme qui portait la main à sa bouche juraient avec ses lèvres. L’un des emblématiques duos de Revlon, Fire & Ice, créé en 1952, vient d’ailleurs tout juste d’être réédité. En France, Dior dévoila son premier vernis en 1962, à travers l’une de ses célèbres publicités signées Gruau. Aujourd’hui, la marque relance sa ligne Dior Vernis, soit 24 teintes entièrement reformulées, qui s’enrichiront chaque saison de couleurs spécialement créées en collaboration avec John Galliano pour ses défilés (entre autres, les sublimes Bronze Libertine et Pourpre Révolution, repérés sur les collections de l’hiver 2011). Mieux, pour célébrer l’ouverture de sa boutique à Londres le 15 novembre, la maison sort un coffret exclusif Gris City, vendus dans trois points de vente mode, et déclinant un camaïeu de teintes grisées; Montaigne, emblématique de l’adresse parisienne, Bond Street pour l’Angleterre et NY 57, référence au nouveau flagship new-yorkais, qui ouvrira lui, le 9 décembre.

Le vernis comme accessoire

Une façon de célébrer les liens entre l’univers de la mode et celui de la beauté, car c’est bien du premier que naît l’inspiration majeure, depuis ce jour de 1995 où l’on frôla l’hystérie collective lors du show Chanel (1), quand apparut, fraîchement posé sur les ongles des mannequins, le désormais mythique Rouge Noir. Une idée que la marque a su décliner avec bonheur, puisque, en parfumerie sélective, 1 vernis vendu sur 2 est signé Chanel. Après le succès de Particulière, un taupe-chocolat, ce printemps, et du violet Paradoxal, lancé à la rentrée, c’est désormais la ligne Khaki, toujours créée par le directeur artistique Peter Philips, et vendue en série limitée dans les boutiques Cambon et Montaigne, qui a atteint la rupture de stock en quinze jours. Un concept que l’on connaît bien chez Yves Saint Laurent: « Nous avons toujours joué le maquillage et la couleur comme un accessoire de mode, un élément qui permet de prolonger une silhouette ou un mouvement », explique Yannick Vaudry, make-up artist de la marque. L’illustration parfaite en est leur magnifique réinterprétation de la french manucure en deux couleurs, notamment violet-turquoise et mauve-or. Celle-ci sera déclinée au printemps 2011 dans de nouvelles teintes complémentaires, le beige et le bleu marine. « Aucun créateur de mode ne saurait se passer d’une manucure sur son défilé, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années », souligne Elsa Deslandes, manucure conseil pour Gemey Maybelline. « Ainsi Manish Arora, qui aurait pu s’abstenir de maquiller les mains tant sa collection de l’été 2011 était flamboyante, m’a demandé des ongles hyperdorés, comme un détail couture sur ses vêtements. »

Polychromie et nail art

Après les années monochromes et le règne sans partage du rouge et du nude, l’heure est aux pigments multicolores. Les gammes s’étoffent: 80 références pour la nouvelle collection Sephora, en avant-première à la boutique des Champs-Elysées en novembre, puis, dès janvier 2011, dans tout le réseau; 50 pour Nicole by OPI, l’excellente seconde ligne du spécialiste de la manucure américaine, qui vient d’arriver en parapharmacies, et propose notamment Have a Heart, des vernis intégrant des stickers en forme de coeur. Bleu pailleté, vert irisé, chocolat ou fluo, toutes les fantaisies sont permises, même si la mode actuelle penche vers les teintes sombres à l’élégance indiscutable. Une liberté de choix permise notamment par l’explosion des nail bars, salons de pose express de vernis, calqués sur le modèle américain. Jusqu’au milieu des années 2000, ils étaient quasi inexistants en France, comme on l’explique chez Sephora, parmi les premiers à avoir importé l’idée dans ses points de vente.

Aujourd’hui, les centres type Manucurist ou OPI se multiplient, avec une palette de prix large, pour en démocratiser l’accès. Cas extrême, le nail art, encore marginal en Europe, pour cause de mauvais goût plus ou moins flagrant, fleurit aux Etats-Unis et cartonne en Asie. L’idée: customiser son ongle avec des dessins, cristaux ou tatouages éphémères. Pour les plus réfractaires, l’alternative s’appelle Minx, une société américaine qui s’est installée avec succès tout le mois de septembre au temple de la « hype », Colette, afin d’y dévoiler ses curieuses toiles cirées qui se fixent sur l’ongle par la chaleur et déclinent un grand choix de motifs: tartan, dentelle, léopard ou résille. Le nail patch de Sephora en est la variation home made, une couche de vernis solide autocollante, qui s’applique en quelques minutes et sans séchage, disponible, entre autres, en version fluo. Ou comment faire de ses griffes le nouvel « it accessoire » de la saison…

Emmanuelle Walle, Lexpress.fr Styles



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