Les parfums vieillis comme les vins sont-ils vraiment meilleurs?

Comme les bons vins, les parfums vieillis en fûts de chêne gagnent en texture et en intensité. Un luxe sur lequel certaines maisons ont choisi de miser pour se singulariser.
Si le temps est le nouveau luxe, rares sont les créateurs qui s’autorisent à ralentir. Peu laissent leur travail respirer, bonifier même d’une pause dans un monde qui performe en accéléré. L’industrie du parfum n’est pas en reste. Elle lance chaque année des sillages par milliers.
«On en oublierait presque que le temps dans notre métier est sans doute l’ingrédient le plus important, pointe Renaud Salmon, directeur créatif d’Amouage. Il y a celui nécessaire à la culture, à la récolte et à la distillation des matières naturelles. Celui tout aussi essentiel du développement en laboratoire des molécules de synthèse. Celui laissé au parfumeur pour composer son sillage. Et surtout, celui dont on parle si peu: le temps de la maturation. Cette alchimie permet aux composants de s’entremêler pour mieux révéler leurs facettes.»
A l’heure où la beauté se doit d’être «clean», tout est fait pour nous faire oublier qu’un parfum reste un produit vivant. Et même instable. Ce n’est pas pour rien qu’on dit qu’il «tourne». Au lieu d’occulter son pouvoir transformatif, Amouage, Guerlain et Atelier des Ors ont décidé ces derniers mois d’en jouer. En soumettant leurs parfums à un vieillissement semblable à celui des grands crus et cognacs d’exception.
Un vocabulaire commun
Jusque-là, le cousinage entre l’art du maître de chais et celui du parfumeur était surtout suggéré par un vocabulaire commun. Dans ces deux mondes, on parle de terroir, d’assemblage, de notes et d’accords. Et l’alcool règne en maître.
Dans la collection Les Liqueurs by Kilian, Kilian Hennessy, descendant en ligne directe des célèbres producteurs de cognac, s’approche ainsi des effluves d’une liqueur vieillie en fût de chêne. Chargé de revisiter en version «nuit» Pour un Homme de Caron, le parfumeur Jean Jacques a choisi une essence de chêne issue du recyclage de fûts de cognac. «Ce chêne révèle une autre facette de cette lavande «nocturne», plus sensuelle.»
Bien décidé à pousser l’exploration des parallèles un cran plus loin, Renaud Salmon a choisi de dédier à ses parfums vieillis en fûts de chêne une nouvelle collection. Derrière ces Essences, quatre parfumeurs: le duo composé de Julien Rasquinet et Paul Guerlain pour Lustre, Bertrand Duchaufour pour Reasons et Cécile Zarokian pour Outlands. Tous ont reçu la même mission: imaginer un parfum qui au lieu d’être «fini» puisse se laisser magnifier par un autre ingrédient en compagnie duquel il mûrira plusieurs mois.
«Le temps dans l’industrie du parfum est l’ingrédient le plus important»
Renaud Salmon
Directeur créatif d’Amouage
«Les possibilités sont infinies, pointe le DA d’Amouage. On aurait pu infuser de la vanille ou des fèves de cacao dans le concentré. Mais très vite, j’ai fait le choix d’explorer les bois souvent présents dans les parfums.» Dans une cuve en Inox, des copeaux de bois de santal sont mélangés aux concentrés. Dans le même temps, l’éthanol s’offre un passage en barrique de chêne. Ce bain lui apportera des notes beurrées, presque caramélisées.
Des facettes contrastées
Les quatre parfumeurs se sont réunis le 1er septembre dernier pour l’assemblage final après un vieillissement de six mois. Et le résultat dépassait les attentes escomptées. «Nous pouvions pressentir que la présence de ces bois allait donner un supplément d’âme à nos créations sans les dénaturer, précise Julien Rasquinet. Mais nous étions aussi dans l’inconnu. Car l’expérience était tout à fait nouvelle. Nous avons senti le concentré au bout de trois mois, puis de six. Et nous pouvions voir que les choses évoluaient dans le bon sens. L’alcool aussi révélait des facettes toastées, presque fumées. Parfaites pour appuyer le côté un peu mystique du parfum que nous avions imaginé.»
Chez Guerlain comme chez Atelier des Ors, les équipes sont chaque fois parties de leurs best-sellers. Habit Rouge s’est offert un double bain de jouvence dans deux fûts de chêne. Chacun était doté de propriétés olfactives liées à l’âge de leurs bois respectifs. «Plusieurs semaines sont nécessaires pour que la magie opère, souligne Delphine Jelk, directrice de la création de la maison parisienne. La synergie du bois et de la formule originale – où l’on retrouve des senteurs de sous-bois, une trame de cuir, du tabac et de vanille – donne naissance à de nouvelles facettes.»
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Un travail d’équilibriste
S’ensuit un travail d’assemblage pour trouver l’équilibre qui fera d’Habit Rouge Spirit une composition ni tout à fait la même ni tout à fait nouvelle. «Pour ma part, j’ai toujours été fasciné par le monde du cognac, confie Jean-Philippe Clermont, fondateur de la marque Atelier des Ors. J’aime l’idée qu’une génération fasse vieillir des eaux-de-vie pour la suivante.»
Pour fêter ses 10 ans, la maison a décidé d’appliquer un traitement spécial à trois de ses parfums iconiques – Lune Féline, Rose Omeyyade et Rouge Sarây. Ici aussi en faisant vieillir des essences naturelles dans des fûts de chêne français. «Le profil olfactif de ces parfums vieillis reste le même. Mais on observe une présence plus texturée d’un certain nombre de notes.»
Comme le souligne encore Renaud Salmon, «il fallait oser y croire et notre instinct nous a donné raison. Le temps apporte une patine indescriptible». Il ouvre aussi un merveilleux champ d’exploration qui redessinera les contours de la haute parfumerie.
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