Qu’est-ce que le smellwaxxing, la nouvelle obsession des adolescents pour le parfum de luxe?

parfum ado luxe
Léon et Amaury chez Necessities, à Anvers, leur magasin favori. © Alies Torfs

Alors que les adolescentes de plus en plus jeunes optent pour des routines de soin sophistiquées, les garçons du même âge craquent pour les parfums exclusifs. Plongée dans la furie du smellmaxxing, la dernière tendance boostée par TikTok.

Depuis qu’il s’est découvert une passion pour les fragrances, il n’est pas rare qu’Aleksis, 15 ans, reçoive des compliments sur ce qu’il porte. «Ce sont le plus souvent mes copains de classe qui me disent que je sens bon, même si un parfait inconnu m’a déjà abordé pour me demander le nom de mon parfum, sourit-il. Mais je ne choisis pas mes parfums pour qu’ils plaisent au plus grand nombre. Il faut d’abord qu’ils me touchent moi. Je privilégie l’essence même du parfum, son odeur, plutôt que sa longévité ou sa projection.»

A côté de ses préoccupations typiques d’ado – l’école, les amis, les sorties –, Aleksis chasse les sillages rares depuis près d’un an. S’il s’est d’abord intéressé aux parfums dits de «designers» – comme Viktor & Rolf, que l’on trouve plutôt dans les parfumeries «classiques», il privilégie désormais les senteurs d’exception. Des jus signés Amouage ou Maison Crivelli qu’il découvre au gré de ses expéditions dans les parfumeries de niche de la capitale.

Aleksis aime se rendre chez Beauty by Kroonen, à Bruxelles pour découvrir de nouvelles fragrances. Photo Alies Torfs


La passion d’Aleksis pour les parfums de luxe peut sembler insolite pour un ado, mais il est loin d’être le seul. L’époque où les garçons se contentaient des odeurs synthétiques des déos Axe et des parfums Zara est révolue. Aujourd’hui, tout tourne autour du smellmaxxing, un terme utilisé sur les réseaux sociaux pour décrire l’odeur corporelle parfaite. Cette tendance est le prolongement de la hype du «looksmaxxing» sur TikTok, qui encourage les jeunes à soigner leur apparence. Le smellmaxxing, c’est une quête qui touche aussi les maisons de parfums de niche comme Frederic Malle, Montale et Maison Francis Kurkdjian.

De mème à inspirateur

Le phénomène est né sur TikTok, où l’influenceur allemand Jeremy Fragrance est devenu une star. Avec son costume blanc reconnaissable et ses connaissances encyclopédiques en parfums, ce TikTokeur arpente les rues pour renifler les passants et deviner ce qu’ils portent. Des vidéos que notre expert trouve «amusantes» mais pas assez pointues à son goût, lui qui recherche surtout des labels et compositions complexes dont personne ne parle encore.

@jeremyfragrance

Fragrance Talk With @Noel Thomas @Fragrance knowledge @Scent From Evan @Aromatix

♬ Originalton – Jeremy Fragrance
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Amory, 18 ans, et son frère Leon, 15 ans, sont en revanche de grands fans de l’influenceur. «C’est un mème vivant, disent-ils en riant. Son comportement et sa gigantesque collection de parfums le rendent unique.» Les deux frères avouent que Jeremy les a inspirés pour leur plongée dans l’univers des jus d’exception: «Notre collection est bien moins impressionnante que la sienne, mais nous en avons quand même une belle série.»

Jeremy Fragrance n’est pas la seule personnalité du réseau social à avoir alimenté la hype. Des comptes comme @brandscents ou @tjtalksscents publient des critiques de flacons qui stimulent les débats sur le sujet. On compte aussi des créateurs qui testent des pulvérisateurs, ou «atomiseurs», pour analyser en détail la qualité de dispersion, un jet parfait étant long, souple et constant.

@brandscents

Ultra Niche on a Budget #perfume #fragrance

♬ Merry Go Round of Life (Old Piano) – Xakei
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Comme des cartes Pokemon

Si TikTok a allumé la mèche, l’impact de cette tendance dans le monde réel est indéniable. A la parfumerie anversoise Necessities, le copropriéraire Maxime Bocxtaele constate chaque jour les conséquences de ce nouvel engouement: «Il y a cinq ans, on voyait peut-être un ado par semaine ou par mois. Maintenant, on en voit tous les jours, observe-t-il. Ça s’est multiplié par 40 en cinq ans. Les 13 à 18 ans viennent souvent en petits groupes, de deux à six personnes. Pour eux, c’est une sorte de hobby, comme collectionner des cartes Pokémon.»

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Chez Senteurs d’Ailleurs, parfumerie de luxe à Bruxelles, on confirme la trend: «Le phénomène a commencé à s’emballer il y a un peu plus d’un an, déclare le store manager Pablo Perez. Depuis, on accueille tous les jours des ados en quête de parfums de luxe qu’ils ont découverts sur TikTok.»


Amory et Leon font partie de la clientèle fidèle de ces boutiques spécialisées. «Pour les produits mainstream, on peut aller chez Ici Paris XL, explique Amory. Mais mon frère et moi, on va chez Necessities à Anvers, c’est là qu’on trouve les parfums d’exception.» Aleksis, lui, se rend régulièrement chez Beauty by Kroonen, à Bruxelles: «Je suis sûr d’y trouver des marques qu’on ne voit nulle part ailleurs, comme Orto Parisi ou Nasomatto.»

Le parfum, moyen de communication

La nouvelle génération aborde le secteur d’une manière tout à fait différente des adultes. Là où beaucoup de ces derniers restent fidèles à un seul nom, les jeunes expérimentent avec plusieurs fragrances, en fonction des occasions, des saisons et même du moment de la journée. «Ma collection compte à ce jour une bonne vingtaine de jus, pointe Aleksis. Certains que je partage d’ailleurs avec ma mère, car la plupart de ces parfums typés ont l’avantage d’être unisexes. J’en garde une partie plutôt pour l’école et les plus rares pour des occasions spéciales, comme Angel’s Share de Kilian. Je n’ai pas de notes de prédilection. Ce qui m’importe, c’est que ce soit original et que cela s’accorde avec ma personnalité.»

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Maxime Bocxtaele confirme cette différence liée à l’âge. «Les jeunes ont une préférence pour les odeurs fruitées, tropicales comme la mangue et la noix de coco. Leurs goûts sont aussi de plus en plus androgynes. Ils aiment les odeurs telle la rose, peu importe si elles sont destinées aux hommes ou aux femmes. Ce qui compte pour eux, c’est que ça sente bon, pas la labellisation.»

En prime, ces consommateurs 2.0 ont de très grandes exigences quant aux prestations du jus choisi. «Ils veulent qu’il persiste pendant au moins 12 heures et de préférence qu’il remplisse tout l’espace. Pour eux, c’est devenu un moyen de communication extraverti: «Sentez-moi, je suis différent.»»

Des attentes parfois déçues

Si les ados font souffler un vent nouveau sur le secteur, ça ne signifie pas pour autant qu’ils en ont une meilleure compréhension que les générations précédentes. Selon Pablo Perez de Senteurs d’Ailleurs, ils arrivent souvent dans la boutique avec de grandes attentes, nourries par ce qu’ils ont vu sur TikTok… «mais quand ils essaient le parfum en vrai, ils sont déçus. Les clients plus âgés ont des goûts plus raffinés et apprécient des odeurs plus complexes. Leurs cadets n’ont en général pas de connaissances approfondies, ils ne prêtent pas attention aux nuances et sont souvent attirés par des odeurs très reconnaissables.»

@tjtalksscents

All cool weather fragrances have been ruined now! 🥹 #mysticbliss #perfumetiktok #fragrancetiktok #fyp #viral #goldfieldandbanks #tjtalksscents @Goldfield & Banks Australia

♬ Light of Night – Gakuen
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Chez Senteurs d’Ailleurs, une partie de ce public est d’origine maghrébine, et a des attentes spécifiques. «Ils demandent par exemple spécifiquement de l’oud, une note luxueuse qui est associée au Moyen-Orient, souligne Pablo Perez. Le véritable oud est rare et cher: c’est impossible d’acheter un authentique parfum d’oud à 100 euros. C’est donc notre rôle de leur expliquer, pour qu’ils puissent comprendre la différence entre le vrai oud et les alternatives synthétiques.»

Où trouver du parfum d’exception en Belgique

Chez Necessities, on constate un schéma semblable. «Ils s’accrochent souvent à des marques comme Francis Kurkdjian ou Byredo, tout simplement parce que ces noms sont populaires sur TikTok. De temps en temps, ils demandent un label comme Amouage, mais ce sont des parfums complexes, composés d’au moins 80 ingrédients. Cette complexité, tout le monde ne peut pas la cerner aussi facilement.»

Malgré ce manque de connaissances approfondies, Pablo Perez considère cette clientèle comme curieuse. «Amouage a été fondée à Oman par le Sultanat et l’histoire derrière la maison, tout comme l’artisanat qui est impliqué dans la production, sont passionnants. Les jeunes écoutent souvent avec beaucoup d’intérêt quand on leur parle des processus complexes qui se cachent derrière ces articles.»

Les jeunes hésitent souvent avant d’investir dans un parfum coûteux. Photo Alies Torfs © Amory en Léon in hun favoriete winkel voor nichegeuren, Necessities.

Choisir les dupes

Outre leurs goûts, ces acheteurs se différencient des plus âgés bien sûr aussi sur le plan financier. Pablo Perez de Senteurs d’Ailleurs nuance cependant: «Ils ont un pouvoir d’achat moindre, mais les parfums de 200 à 400 euros attirent tout de même leur intérêt. Ce n’est pas un investissement facile. Ils achètent, mais en étant très sélectifs, et avec beaucoup de prudence.» Leon et Amory confirment: «On va souvent plusieurs fois en magasin pour sentir avant de prendre une décision. On veut être certains de faire le bon choix.»

Aleksis n’hésite pas pour sa part à demander des échantillons «pour pouvoir vraiment découvrir le jus sur peau à la maison avant de se décider». Pour Maxime Bocxtaele, ce comportement est bien connu: «Les jeunes font ça plusieurs fois, sur plusieurs jours. Et l’achat véritable ne suit pas toujours tout de suite.»

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Pour les établissements spécialisés, ce sont des obstacles à lever. «Ce qu’on constate malheureusement aussi, c’est que finalement, sous l’influence des réseaux sociaux, ils vont opter pour des dupes, des déclinaisons bon marché des originaux, déplore Pablo Perez. Même si ça peut être frustrant, nous voulons leur fournir les informations dont ils ont besoin pour réfléchir.»

Les clients de demain

Maxime Bocxtaele partage cet avis: «Un garçon de 13 ans n’est pas vraiment le type de personne pour lequel une boutique spécialisée comme la nôtre est destinée à l’origine. Mais nous les considérons comme les clients de demain, et nous essayons le plus possible de partager nos connaissances.»

On peut se demander comment ces fans peuvent se permettre un hobby aussi onéreux. Le trendwatcher Tom Palmaerts, de chez Trendwolves, a une explication: «Les ados se mettent de plus en plus à travailler. Pas seulement par nécessité, mais pour se faire plaisir, notamment pour les produits de luxe repérés sur les réseaux sociaux. Pour beaucoup, c’est une question d’identité, d’appartenance, de vouloir se sentir adulte.» Afin de s’offrir ce luxe, Aleksis, par exemple, met son argent de poche de côté. Ou travaille comme étudiant dans l’entreprise de son père.

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Pour beaucoup, il ne s’agit pas simplement d’un parfum: c’est un rêve en flacon. Amory, par exemple, épargne patiemment pour The Blazing Mister Sam de Penhaligon’s, dont le prix varie entre 250 et 270 euros. «C’est mon rêve ultime», dit-il. Aleksis lui a dans son viseur les sillages rares de la marque Toskovat (comptez 100 à 250 euros le flacon), un label roumain dont les fragrances sont conçues pour capturer et évoquer des souvenirs spécifiques.

Une bénédiction pour les marques

L’idée que des jeunes sacrifient leur temps libre pour travailler afin de se payer des produits de luxe semble peut-être ironique. Mais en comparaison avec la tendance inquiétante de ces adolescentes qui se ruent sur les crèmes antirides, cette fascination pour les parfums semble presque innocente. Cette fièvre pour les parfums de niche pourrait même être une bénédiction pour les maisons artisanales, souvent éclipsées par les marques mainstream. Ainsi, la marque de parfum de luxe Byredo à Stockholm a connu l’an passé une forte croissance, à deux chiffres.

Et Creed, autre label de niche prisé des TikTokeurs, a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros.
Un succès pour lequel ces maisons doivent surtout remercier le caractère influençable des ados? Le trendwatcher Tom Palmaerts a des doutes: «Grâce aux réseaux sociaux, nous pouvons surtout mieux développer et affiner nos intérêts de niche. Dans les années 90, c’était difficile pour un ado passionné de parfum de trouver des jeunes de son âge qui partageaient son intérêt. Aujourd’hui, c’est possible.»

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