Quatre pères se confient sur leur passion peu commune avec leurs enfants (récits)

© Damon De Backer
Mathieu Nguyen

Parfois, les papas et leurs enfants ont une passion commune. Qui a initié l’autre? Qui lui a emboîté le pas? Qui excelle et qui apprend? Ces questions ont finalement peu d’importance au regard de ce que cette aventure vécue à l’unisson apporte à la relation. Dialogues.

Yoris et Patrick, inséparables pour aller au concert

Patrick Bavier (63 ans), inspecteur du travail à la retraite, et Yoris (26 ans), journaliste, sont sur le même tempo. A deux, en toute complicité, ils écument les concerts, depuis longtemps, depuis ce premier show des Pussycat Dolls à Forest National en 2006. Dans leur panthéon, Lady Gaga, Lana Del Rey et Fleetwood Mac. En avant, la musique.

Quatre pères se confient sur leur passion peu commune avec leurs enfants (récits)
© DAMON DE BACKER

Yoris: « Mon papa m’a initié à la musique et cela a été fondateur de ce que j’écoute aujourd’hui. On a toujours échangé nos découvertes et on a presque les mêmes goûts, finalement, même si on diverge sur certaines choses – le rap, notamment, je sais qu’il ne me suivra pas. J’adore anticiper nos moments de partage. »

Patrick: « Quand il était enfant et que je le conduisais à l’école le matin ou à l’académie de musique et de théâtre, on écoutait la radio dans la voiture, on se partageait ce que l’on préférait, l’un comme l’autre. Petit à petit, ses goûts se sont formés. De temps en temps, je mettais des cassettes à moi, qu’il découvrait en commentant: « j’aime » ou « c’est moche ». »

Yoris: « La pop des années 70 et 80 nous a toujours mis d’accord. Fleetwood Mac, Kate Bush, Blondie, Cindy Lauper et Abba, on adore, on est même partis ensemble à Stockholm visiter le musée Abba. Le seul sujet qui pourrait fâcher, et encore, c’est les Compagnons de la chanson. Et les Beatles! Je ne suis pas un grand fan, je sais que papa aime beaucoup mais je trouve que c’est le groupe le plus surestimé du monde, je vais me faire un million d’ennemis… »

Patrick : « J’ai un peu de regret de ne pas avoir réussi à lui faire totalement aimer la musique classique, mais ce qui importe, c’est qu’il ait appris à jouer du piano et qu’il aime la musique. »

Yoris: « Je me rappelle de notre premier concert – papa, tu m’arrêtes si je me trompe. C’était en novembre 2006, j’avais 12 ans, je voulais voir les Pussycat Dolls, avec Rihanna en première partie, c’était l’époque où elles étaient plus connues que Bad Girl Riri. Mais au fait, tu voulais vraiment y aller ou tu l’as fait pour moi? »

Patrick: « Pour toi. C’était une expédition, on s’est trompé de route, on a traversé tout Bruxelles, on a fini par arriver à Forest National et je me suis retrouvé le seul adulte avec des gamins de 10 ou 12 ans. Je regardais mon petit bonhomme assis sur le siège en face de moi, on n’était pas bien placés, dans les hauteurs, près des piliers, mais j’ai ressenti de la joie et de la fierté, comme à sa naissance, quand j’ai été le premier à pouvoir le tenir dans mes bras, avec son petit bonnet sur la tête… Depuis, on a vu d’autres concerts, dont deux fois Lana Del Rey et Lady Gaga. »

Yoris: « D’ailleurs, c’était papa qui avait insisté lors de la sortie de son album Artpop, qui n’était pas bon, cela me tue de le dire! Il voulait à tout prix aller écouter Lady Gaga pour une seule balade au piano super mélancolique, on avait pris deux billets hors de prix pour cette unique chanson-là, mais aucun regret. Je ne connais personne qui va au concert avec son père. Pourtant nous n’avons jamais trouvé que c’était une activité qui sortait de l’ordinaire. Elle s’est même ritualisée. On sait que cela implique une bonne relation, une même énergie, les mêmes goûts musicaux et que cela ne tombe pas sous le sens. En réalité, je n’ai jamais eu besoin du « tuer le père », j’ai la chance qu’il soit aussi mon meilleur ami. »

Leon et Bram, une envie commune de créer.

Le designer Bram Kerkhofs (43 ans) a trois fils, mais a surtout transmis le virus artistique à son aîné, Leon (16 ans), qui crée des sacs et des vêtements. Récemment, il a reçu sa première commande: des tabliers pour le café et concept store Koffie en Staal, à Louvain.

Quatre pères se confient sur leur passion peu commune avec leurs enfants (récits)
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Bram: « Je me suis vite rendu compte que Leon avait du talent. Enfant, quand il dessinait, il faisait preuve d’une bonne compréhension de l’espace. Un don essentiel pour tout créateur. Il pouvait passer des heures sur un projet et semblait disposer d’une patience et d’une concentration à toute épreuve. A un moment, sur Instagram, il a vu des polos avec une petite déco brodée sur la poitrine. Ça l’a inspiré. Il a d’abord travaillé à la main, avec un fil, une aiguille et beaucoup de persévérance. Puis je me suis rappelé que j’avais une vieille Singer dans mon atelier. Leon l’a installée dans sa chambre, et c’était parti. »

Leon: « J’ai commencé par coudre des choses simples : un porte-clés, une trousse, un portefeuille. Ensuite, je me suis lancé dans les sacoches puis les sacs à dos. J’aime chercher par moi-même comment procéder. Si je n’y arrive pas, alors je regarde sur YouTube. Mais je veux d’abord essayer seul. Je n’utilise d’ailleurs jamais de patrons. »

Bram: « Il a décousu de vieux vêtements fil par fil pour comprendre comment ils avaient été fabriqués. Il a énormément appris comme cela. Pendant le confinement, il a conçu un costume. »

Leon: « Une amie de mes parents, qui recouvre des meubles, possède une surjeteuse dans son atelier. Je l’utilise souvent, mais ce n’était plus possible ces dernières semaines. J’ai donc dû trouver une solution pour éviter que les bords du tissu ne s’effilochent. C’était une chouette expérience. Je discute souvent d’un projet avec mon papa avant de me lancer dans l’inconnu. »

Bram: « Leon se crée un moodboard dans sa tête, ensuite il vient me voir. Je me penche sur la question, comme je le fais avec mes étudiants, et puis je lui demande comment il va s’y prendre et quelles techniques il va adopter. Mais je ne le pousse jamais, je ne fais que des suggestions et je l’aide à penser plus loin. Parfois, il suit mes conseils, parfois pas. Je me rends compte qu’il me surpasse déjà dans son domaine. »

Leon: « Au début, j’avais un peu plus besoin d’aide. Parce que je ne savais pas encore bien comment fonctionnait la machine à coudre, par exemple. Mais je continue à lui demander des conseils. Parfois, nous travaillons ensemble. Quand je ne trouvais pas de boucle satisfaisante pour un de mes projets de sac, il l’a imaginée pour moi et l’a fait fabriquer par la société de découpe au laser avec laquelle il travaille. Une fois, dans son atelier, nous avons conçu des boutons pour une veste que j’avais cousue. »

Bram: « J’aime partager des projets avec Leon. Avec mes deux autres fils, j’ai d’autres points communs. Ils ne doivent pas être créatifs tous les trois, ça deviendrait même peut-être trop. D’ailleurs, je ne me reconnais pas plus en Leon qu’en mes deux autres fils. »

Leon: « Moeke, la maman de papa, a dit que je lui faisais penser à papa petit quand je suis en train de créer. »

Bram: « J’ai toujours eu cette fibre créative, et je la retrouve en Leon. Je la vois quand il se promène dans la maison et pense à un projet. Si mes trois fils avaient été footballeurs – car oui, c’est également une de mes passions -, ça aurait été parfait aussi! Mais je dois avouer que travailler avec lui me rend fier, en tant que papa. »

Koen et Nanou, une imagination sans limites.

Koen Van Weverberg (41 ans), tailleur, et sa fille Nanou (10 ans) peuvent passer des heures assis l’un à côté de l’autre, dans le silence, à laisser libre cours à leur créativité. Leur nouveau dada: peindre des blocs de marbre.

Quatre pères se confient sur leur passion peu commune avec leurs enfants (récits)
© DAMON DE BACKER

Koen: « En voyant des plaques de marbre dans l’entreprise d’un client et ami marbrier, je lui ai demandé si je pouvais en prendre quelques-unes. De retour à la maison, Nanou et moi les avons contemplées et y avons décelé un potentiel. Au départ, l’idée était que ces échantillons fassent office d’ébauches et d’expérimentations, mais le résultat nous a semblé suffisamment abouti. »

Nanou: « J’ai décoré mon premier petit bloc, papa l’a peaufiné à l’aide de bande adhésive et de peinture. Les premières réalisations sont tellement belles qu’on les a exposées dans le living. »

Koen: « Notre enthousiasme était tel que j’ai demandé davantage d’échantillons à mon ami. Le timing était parfait, car le confinement commençait. Nanou et moi avions déjà l’habitude de nous adonner ensemble à des activités créatives. Et comme nous avons des masses de temps en ce moment, nous nous en donnons à coeur joie. Pour nous, il est important de partager notre enthousiasme lorsque nous considérons une pierre. Le choix s’impose sans tarder, de manière intuitive, en fonction de la pierre, un produit naturel dont chaque exemplaire est unique. »

Nanou: « Nous laissons le marbre nous parler. Parfois, on ne voit pas le potentiel d’un bloc. Alors, il faut attendre et réessayer plus tard. »

Koen: « La plupart du temps, Nanou sait ce qu’elle veut faire. Parfois, je lui suggère un matériau à exploiter ou une nouveauté qu’elle pourrait tester. Ensuite, chacun se penche sur son propre travail. Lors de cette phase, nous sommes assis l’un à côté de l’autre à la table de notre atelier. »

Nanou: « J’ai déjà travaillé avec de la peinture et plusieurs types de feutres, mais aussi avec des pastels et de la craie. Nous avons aussi utilisé de la feuille d’or et du papier crépon ou laissé blanchir une pierre au soleil après l’avoir poncée avec du papier de verre. »

Koen: « Parfois, je me demande si un fils aurait eu une telle propension à la création. Je sais que c’est un cliché, mais je constate dans mon entourage que les garçons sont moins créatifs. Ce n’est pas grave en soi, mais cela m’aurait manqué. »

Nanou: « En plus, les filles bricolent toujours avec leur maman. Je suis la seule de ma classe qui crée avec son papa. »

Koen: « Qu’est-ce qui fait que notre enfant hérite de certains de nos centres d’intérêt: est-ce l’oeuvre de la nature ou un acquis? Est-ce inné ou le fruit de l’éducation? On transmet à son enfant les valeurs qui nous sont chères. La plupart du temps, il ne faut pas aller chercher bien loin… J’ai toujours ressenti un besoin fondamental de créer, et ma femme, Amélie, est passionnée par l’art. On a emmené notre fille dans des musées dès sa plus tendre enfance. Elle avait un carnet de croquis dans lequel elle pouvait esquisser les oeuvres qui lui parlaient. Je me souviens que, lors d’une visite à Paris, elle avait magistralement reproduit le caniche rose de Jeff Koons alors qu’elle n’avait que 3 ans. Nous n’avons jamais dû pousser Nanou à dessiner ou peindre; elle adorait ça, tout naturellement. Et je dirais même plus: c’était un besoin pour elle. Chez nous, ce n’est pas le matériel de dessin qui manque, et on y accorde le temps et la place nécessaires. Je suis fier que ma fille ait autant de talent, mais cela m’apporte plus de plaisir que de fierté. C’est une chance de pouvoir partager cet intérêt avec elle et de voir que l’inventivité lui permet de se libérer. Eduquer, c’est notamment montrer à son enfant ce qui est précieux à nos yeux. Ensuite, libre à lui de suivre sa propre voie. »

Enzo et Lisa, tous les deux dans le grand bain de la natation synchronisée.

Enzo Ingenito (54 ans) a succombé à la passion de sa fille Lisa (21 ans), la natation synchronisée. D’abord sur les bords des bassins, avant de plonger dans le grand bain en rejoignant la nouvelle équipe masculine du Brussels Aquatic Synchro Swimming.

Quatre pères se confient sur leur passion peu commune avec leurs enfants (récits)
© DAMON DE BACKER

Enzo: « Au départ, la natation synchronisée, on aimait la regarder à la télé, en famille, pendant les jeux Olympiques. »

Lisa: « J’ai commencé en 2009. Ma maman m’avait inscrite à la natation et la prof donnait également cours de synchro. Apprenant que je faisais aussi de la danse, elle m’a proposé que je fasse un test et j’ai tout de suite accroché. »

Enzo: « Mes enfants sont comme moi, ils adorent nager. Comme beaucoup de parents, on lui avait fait essayer plusieurs sports: équitation, danse, GRS… Tant que ça n’accroche pas, on tente autre chose. Mais on tenait à ce qu’elle pratique un sport, c’est une forme d’épanouissement très importante dans la vie. »

Lisa: « Assez vite, j’ai arrêté la danse et j’ai pratiqué la synchro à un haut niveau, avec des entraînements presque tous les jours, des compétitions nationales et internationales; j’ai été championne de Belgique plusieurs fois. »

Enzo: « Quand elle a commencé, le club était plus petit, il y avait une quarantaine de membres, contre près de deux cents aujourd’hui. Comme la plupart des parents de nageuses, on a commencé à s’impliquer dans le club – vu le rythme des entraînements, ça nous prenait beaucoup de temps, on y était presque tous les jours. La première chose que l’on a faite, c’est d’intégrer le comité des parents. Ensuite, j’ai suivi une formation de juge, pour mieux connaître le sport et parce qu’il en manquait pour les compétitions. Ça me permettait de l’accompagner. »

Lisa: « Moi, ça m’a fait plaisir, parce que j’y passais des heures, et qu’à la maison, c’était un sujet récurrent. A table, le soir, on ne parlait que des compèt’, « j’ai réussi cette figure-ci, j’ai raté celle-là »… Donc c’était chouette de pouvoir partager ça avec mon papa. Et pendant les championnats, normalement, on n’aperçoit pas ses parents, ils sont dans les gradins. Moi, vu que mon papa était au bord de l’eau, comme juge ou pour l’organisation, on pouvait se faire coucou. »

Enzo: « Une gamine de 10-12 ans qui a autant d’entraînements, et des compétitions internationales, on ne la voit pas beaucoup. J’avais envie de vivre cette aventure avec elle. Et puis, cette année, le club a créé un groupe pour les hommes. Le jour où on a appris ça, Lisa m’a tout de suite poussé à m’inscrire. »

Lisa: « J’ai immédiatement pensé à mon père et à mon frère! Ils ont tous les deux testé – mais mon frère préfère le foot, je pense qu’il est venu pour me faire plaisir. Papa, lui, avait déjà un pied dedans, et il aimait nager, c’est juste qu’il trouvait ça ennuyeux de faire des longueurs seul. »

Enzo: « J’ai donc fait des tests, il fallait un niveau correct en natation. Et j’ai intégré l’équipe masculine adulte. On est un groupe sympa et motivé d’une dizaine de nageurs. Il était question de participer à des compétitions, mais les événements récents ont un peu tout chamboulé… »

Lisa: « La synchro masculine est en train d’émerger, même si pour beaucoup ça reste un sport féminin. En Belgique, en France, il y a de la pub, ça attire pas mal l’attention. Et il y a eu Le Grand Bain, (NDLR: un long-métrage de Gilles Lellouche sorti en 2018, avec Benoît Poelvoorde notamment) qui a aidé aussi.

Enzo: « Ça étonne toujours les gens. Mais on essaye de faire connaître la discipline. Je suis sûr que l’on va enregistrer encore beaucoup d’inscriptions, et c’est tant mieux. C’est dur, mais c’est tellement chouette! »

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