Sommes-nous tous hypersensibles?
Après les bipolaires, les enfants rois et les pervers narcissiques, les hypersensibles sont le dernier sujet à la mode au pays des psys. A juste titre? Nous avons enquêté.
On les dit à fleur de peau, empathiques, mais aussi créatifs et intuitifs. Outre-Atlantique, les hyper- sensibles agitent autant les pros du divan que les people. Le mot (ou plutôt l’acronyme HSP, « highly sensitive people ») a fait son entrée dans le jargon anglo-saxon au tournant des années 2000, avec la publication du best-seller de la psychothérapeute américaine Elaine N. Aron – gourou des hypersensibles aux Etats-Unis -, intitulé Ces gens qui ont peur d’avoir peur. Mieux comprendre l’hypersensibilité (éd. de l’Homme). Celle-ci affirme que près de 1 personne sur 5 est concernée par ce phénomène.
Sur la Toile, les forums de discussion et les self-tests – ces questionnaires qui aident à « s’autodiagnostiquer » – essaiment. A l’évidence, on ne cherche plus à réprimer son hypersensibilité, on la revendique. Même les célébrités – tels les acteurs Winona Ryder et Johnny Depp – brandissent l’appellation comme un étendard sur les plateaux télévisés. Mais à quoi la reconnaît-on ? Considérée comme une sensibilité extrême, ou excessive, elle conjugue plusieurs aspects de la personnalité, parfois contradictoires – comme la vulnérabilité, l’acuité perceptive, la compassion, le doute, l’irritabilité, l’intuition, mais aussi l’impression d’être en hémorragie permanente, en proie à des cataclysmes émotionnels.
Elaine N. Aron, le psychanalyste Saverio Tomasella et la psychologue Arielle Adda nous ont aidés à dresser le portrait type des HSP. Ce trait de caractère (car ce n’est pas une pathologie!) se constitue pendant la vie intra-utérine, se développe dès la naissance, et se manifeste de différentes façons chez les individus. Son degré d’intensité et son évolution, de l’enfance à l’âge adulte, dépendent en grande partie de l’environnement dans lequel la personne grandit. Son entourage a-t-il valorisé ou réprimé son hypersensibilité ? A-t-elle été confrontée à de lourdes épreuves – burn-out, deuil, guerre, etc. ? Accepte-t-elle (ou non) sa « différence » ou tente-t-elle de la refouler ? Ces questions ont un impact direct sur la manière dont se manifeste cette nature à fleur de peau.
ILS SONT À VIF ÉMOTIONNELLEMENT…
Les hypersensibles ont la sensation d’être sur le fil en permanence. Colère, larmes, repli sur soi, agressivité… l’entourage peine à comprendre leurs réactions imprévisibles, étrangères à toute rationalité. Blessés par la critique, ils se sentent sans protection et peuvent ressasser à l’infini les mots qui les ont heurtés. En bref, ils gambergent à plein régime. « Ces pensées parasites sont comme une rumeur, un bruit incessant, qui draine une partie de leur énergie, explique Arielle Adda. Ça galope dans leur tête ! » Souffrent-ils d’un excès de narcissisme ? Non, plutôt d’une grande fragilité identitaire et d’une difficulté à cicatriser. Ils vivent donc les situations de crise plus intensément, ainsi que les moments heureux. Un paysage, un poème, un instant entre amis… Les plaisirs simples du quotidien les émerveillent.
… ET PHYSIQUEMENT
En effet, ils réagissent à de nombreux stimuli. Par exemple, l’étiquette d’un vêtement qui frotte contre la peau, la sirène d’une ambulance ou une forte luminosité peuvent vite leur devenir insupportables. Le corps est plus réceptif aux massages, aux caresses, mais aussi plus affecté par les allergies, les médicaments et la caféine. « Les hypersensibles ont une oreille fine, précise Arielle Adda. Un simple bruit urbain devient un vacarme qui les empêche de se concentrer. » En entreprise, ils préfèrent travailler au calme dans des bureaux fermés plutôt que dans des open spaces.
LES HSP SONT DOUÉS D’EMPATHIE
Plus perméables à leur environnement, ils parviennent à cerner l’autre et même à deviner ses intentions. Problème : « Ils portent le poids du monde sur leurs épaules, en absorbant les émotions de leurs proches et en partageant leurs souffrances », indique Elaine N. Aron. Au bureau, cela se traduit par des élans de générosité envers leurs collègues. Plus attentionnés, ils sont toujours prêts à aider un nouveau venu, à accueillir un stagiaire. Ils n’agissent pas à dessein et manquent cruellement d’esprit de compétition. Cette profonde empathie pousse certains à s’orienter vers une carrière dans l’humanitaire. En revanche, cela peut aussi se retourner contre eux. Selon Arielle Adda, les hypersensibles sont des proies idéales pour les pervers narcissiques. Ces derniers détectent leurs failles, exploitent leur gentillesse et leur désir de perfection.
ILS NE PEUVENT PAS SE PASSER DU REGARD DES AUTRES
De l’enfance à l’âge adulte, le désir d’être aimé ne les quitte jamais. En quête d’harmonie, les hypersensibles abhorrent les conflits. Et font tout pour éviter les vagues. « Trop de froideur ou même une simple indifférence les glaceraient et leur ôteraient le goût du travail et le désir de fournir un effort », précise Arielle Adda. Par ailleurs, ils ont peur de décevoir leur entourage, d’être rejetés, voire abandonnés. Ils dépendent de l’affection d’autrui (en amour et en amitié). Dès qu’ils ont le sentiment d’avoir blessé quelqu’un, d’avoir prononcé des mots qui dépassent leur pensée, ils sont immédiatement submergés par la culpabilité et peinent à « se décentrer ». En bref, ils ont du mal à lâcher prise.
ILS SONT « INCURABLES » OU PRESQUE
Inutile d’essayer de refouler l’hypersensibilité. Elle finira par refaire surface. Pour Saverio Tomasella, il ne faut ni dominer ni subir ses émotions : il faut d’abord s’autoriser à les vivre. La plus grave erreur serait de considérer cet état comme une pathologie qu’il faut soigner. « Devenir humain est une conquête quotidienne, affirme-t-il. Et celle-ci passe par la fierté d’être sensible. » En revanche, on peut apprendre à gérer certaines réactions, telles que le stress et l’anxiété. Pleine conscience, méditation, sport de combat… à chacun sa méthode de « toilette émotionnelle » !
ILS SONT CRÉATIFS ET INTUITIFS
Les hypersensibles utiliseraient davantage l’hémisphère droit de leur cerveau que la moyenne. Résultat : ils ont un goût prononcé pour l’esthétique et la création. Peinture, musique, écriture… Certains en font leur métier, d’autres, un simple loisir. Ils sont aussi dotés d’une forte intuition. Celle-ci est parfois impossible à justifier devant leur entourage et finit par les isoler. Pour Arielle Adda, cette intuition résulte d’un nombre élevé de connexions cérébrales. Ajoutez-y un sens aigu de la logique, un besoin de cohérence, et vous obtiendrez l’état d’esprit d’un hypersensible. « Imaginez un métro qui ne s’arrête qu’aux correspondances et non aux stations intermédiaires, raconte-t-elle. Le chemin est parcouru beaucoup plus rapidement. Dans le cerveau, c’est pareil. » Même dans des secteurs non artistiques, tels que la finance, les hypersensibles apprennent à utiliser leur intuition à bon escient. « Certains patients ont toujours deux longueurs d’avance sur leurs concurrents en affaires ! s’exclame-t-elle en souriant. C’est aussi une force. »
ILS NE SONT PAS FORCÉMENT INTROVERTIS
Même si la timidité et la pudeur peuvent être des conséquences de l’hypersensibilité, une personne réservée n’est pas systématiquement hypersensible. D’après Elaine N. Aron, 30 % d’entre eux seraient même des extravertis. En quête de sensations fortes et versatiles, ils se lassent vite d’une activité, d’un emploi, voire de leur conjoint. Pour eux, la vraie audace n’est pas le saut à l’élastique, les sports extrêmes ou la vitesse. Ils préfèrent se lancer d’autres types de défis, moins sensationnalistes, tels que changer de vie, voyager dans des contrées reculées, rencontrer des personnes d’horizons différents… Ils se caractérisent aussi par une grande impatience, qui s’atténue plus ou moins pendant leur vie d’adulte. « Combien d’amoureux amorçant à peine une histoire voudraient déjà une assurance de durée ? Ils se connaissent tout juste, sont encore dans le bonheur rare et précieux éprouvé lors d’une rencontre qui semble magique, et ils demandent aussitôt qu’on leur affirme que c’est pour la vie, comme s’il fallait verrouiller cette situation miraculeuse pour qu’elle dure éternellement », analyse Arielle Adda. Le risque ? Que cet emballement décourage la meilleure des bonnes volontés, dans un couple, en amitié ou dans le monde du travail.
ILS CHERCHENT UN SENS À LEUR VIE
Selon Elaine N. Aron, les hypersensibles s’interrogent souvent sur leur existence et sur la mort. Athées ou croyants, ils sont attirés ou fascinés par la spiritualité. Et se sentent profondément humanistes. Animés par une forte passion – qui leur sert de leitmotiv -, ils refusent de mener une existence routinière, dénuée d’originalité, et mettent un point d’honneur à vivre des expériences enrichissantes.
ILS SERAIENT DE PLUS EN PLUS NOMBREUX
Pour Saverio Tomasella, le nombre de personnes hypersensibles augmente. Cela peut s’expliquer par des facteurs socio-économiques et culturels. « Nous sommes dans une société en crise, où la pression au travail et les obligations pèsent sur l’individu, sur le couple, et où l’on refuse de vieillir, affirme le psychologue. Esseulé, en perte de repères, en proie aux doutes et fréquemment critiqué, l’homme est de plus en plus à vif. » Mais l’hypothèse ne fait pas l’unanimité. Pour Elaine N. Aron, la société a un impact sur l’évolution de l’hypersensibilité (un environnement plus violent peut accroître la vulnérabilité des individus), mais elle ne peut en « produire » davantage. Le débat est ouvert…
Par Rebecca Benhamou
Adultes sensibles et doués. Trouver sa place au travail et s’épanouir, par Arielle Adda et Thierry Brunel, Odile Jacob, 304 pages.
Par Rebecca Benhamou
Elles sont hypersensibles et elles assument
Marion Cotillard
« J’ai toujours eu une grande sensibilité… Mais cette hypersensibilité est compensée par une nouvelle aptitude à rire de moi-même et de mes réactions émotives, qui peuvent être démesurées. » (Psychologies Magazine, 2012).
Scarlett Johansson
« Je suis née avec une grande capacité à sentir mon environnement et mon entourage. Cette sensibilité peut être positive […]. Parfois, je préférerais ne pas voir ce que les gens gardent à huis clos. » (Interview Magazine, 2001).
Alanis Morissette
La chanteuse canadienne va témoigner dans le film Sensitive. The Untold Story (fondé sur le travail de la chercheuse Elaine N. Aron, en cours de production) et en composera la bande originale.
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