…à La Madelaine-sous-Montreuil

© MV

Où il est question d’humble campagne, de brumes enrhumées et d’une cuisine into the wild.

Je vous ai déjà parlé d’Alexandre Gauthier lors d’un détour par Calais. Pour moi, il s’agit clairement de l’un des chefs français les plus intéressants du moment. Pourquoi ? Parce qu’il ne se contente pas de servir la soupe et de jouer à dînette. Gauthier mène une réflexion profonde sur la nourriture, n’hésitant pas à emmener le palais vers ses limites, qu’il s’agisse d’eau de mer, de coussinets en chanvre, de fraises pas mûres ou de langues de canard.

L’histoire de Gauthier est celle d’un fils prodigue revenu en 2003 pour reprendre La Grenouillère, le restaurant de son père. Réputé pour ses cuisses de grenouilles, le lieu sommeillait au milieu de nulle part – La Madelaine-sous-Montreuil, un lieu-dit avec les pieds dans La Canche (photo 1) – jusqu’à ce que le chef y sème les graines d’une cuisine d’auteur radicale et impertinente.

Aujourd’hui, il vient de récolter les fruits d’un projet qu’il porte en lui depuis 5 ans : métamorphoser cette auberge traditionnelle en une scène à la hauteur de la gastronomie avant-gardiste qu’il pratique. Pour opérer cette profonde révolution formelle, Gauthier a fait appel à un architecte discret mais brillant, connu pour ses réalisations dans le monde de la culture. Le Parisien Patrick Bouchain a signé des lieux prestigieux comme le théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers, la Condition Publique à Roubaix, le Lieu Unique à Nantes ou encore le Channel à Calais. L’homme avait donc le profil parfait pour imaginer un décor en phase avec l’approche de ce chef qui cite 12 années de scoutisme parmi les influences majeures de son travail.

Ensemble, ils ont détruit la moitié de La Grenouillère pour reconstruire deux salles aux allures de chapiteau (photo 2). La première, dans laquelle les convives prennent place, déploie des tables en cuir Hermès, un réseau complexe de fibres optiques en guise d’éclairage ainsi qu’une antique table à feu servant de rôtissoire grâce à un ingénieux système de contrepoids. La seconde salle, en inox, où officie la brigade prend tout son sens le soir. On y observe à la lueur d’un clair-obscur religieux (cliquez ici pour voir la vidéo) le chef et son équipe ciseler une cuisine brute aux intitulés laconiques – persil plat persil frisé, concombre verveine, marjolaine citron… – inspirée par la nature contigüe. « Bien sûr, les fournisseurs sont locaux mais l’idée est d’aller bien plus loin que cette démarche qui sonne désormais comme un poncif… A travers le menu 11 services, je veux que les gens puissent communier avec la région de façon unique et intense. »

Dans l’esprit de ce rapprochement quasi mystique avec l’environnement, le tandem Gauthier-Bouchain réserve une autre surprise de taille au visiteur d’un soir. La Grenouillère fait place à un hébergement atypique, soit 8 chambres conçues comme des huttes de chasseurs à moitié enfouies dans le sol (photo 3). Recouvertes de végétation et identifiée non pas par habituels numéros mais par des indications d’orientation de type 83,9°ou 74,2° Est, ces cabanes en bois s’ouvrent au loin sur les remparts de Montreuil. Comme le trappeur harassé par une longue journée de travail, on s’y replie le temps d’une sieste réparatrice… pour mieux resurgir l’estomac en éveil.

C’est dans le jardin que l’on prend l’apéritif. Au programme, des oeufs, des mauvaises herbes et du pain servis sur glace (photo 4). Une mise en bouche sans concession. Arrive ensuite le menu qu’on vous tend froissé (photo 5 et 6). On se dirige ensuite vers le restaurant. Tout commence avec une interpellante eau de mer, avocat (photo 7) qui donne le goût des embruns et des paysages iodés – après tout, on ne se trouve qu’à 20 minutes de la côte. Viennent ensuite fraise verte, concombre, basilic (photo 8)…, asperge blanche rôtie coquillages… (photo 9), mais également homard genièvre…, coussins de chanvre… (photo 10), lotte…, langues de canard, moutarde et moutarde verte…, ainsi qu’une série de préparations inédites, sortes de work in progress dont Gauthier aime farcir ses menus. Sans oublier, un beau geste en guise de final : une bulle d’oseille en forme de concentré de fraîcheur éclatée sur l’assiette par le maître d’hôtel. Le tout accompagné d’une sélection de vins opérée par Pascal Garnier, le bras droit de Gauthier qui a le don de rester dans des budgets raisonnables – on pointera notamment un élégant blanc classé en Vins de Pays du Lot, le Domaine Belmont cuvée Dolmen-Montaigne (2009). On sort de cette chevauché sauvage, frappé au visage, le corps cinglé et surtout blessé dans ce que l’on croyait savoir de la gastronomie… mais heureux d’avoir enfin vibré, un vrai luxe à une époque où trop souvent les tables affichent un électroencéphalogramme plat.

Michel Verlinden

La Madelaine-sous-Montreuil, à 62170 Montreuil-sur-Mer, Tél. : +33 3 21 06 07 22. Ouvert de 12h à 13h45 et de 19h15 à 21h30, fermé mardi et mercredi (sauf en juillet et août).

Cliquez sur l’onglet VIDEO pour voir Alexandre Gauthier aux fourneaux

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