Au coeur de la Jamaïque, les secrets d’un rhum de légende

La distillerie Appleton à St. Elizabeth, vallée de Nassau, Jamaïque. © Ryan Mattis/Arrc Media

Appleton Estate, prestigieuse rhumerie jamaïcaine établie en 1749, a été rachetée il y a quelques années par Campari qui tente de l’implanter chez nous. Visite backstage de la confection du subtil nectar. Ya man.

« Ne vous étonnez pas si je passe de gauche à droite sur la route. En Jamaïque, on conduit du côté « no problem », celui où il n’y a pas de trous. » Notre premier contact avec un Jamaïcain, outre une proposition furtive de ganja dès la sortie de l’aéroport, aura été avec un chauffeur de bus qui n’a pas la langue en poche. Ya man. Et son petit bus de fortune, on l’empruntera à foison durant notre séjour éclair au pays du rhum et du reggae. Soit quelques jours sur les traces de l’un des meilleurs rhums jamaïcains, Appleton, qui s’implante doucement mais sûrement chez nous.

Les Jamaïcains ne rigolent pas quand il s’agit de parler rhum. Après tout, même si ses origines sont sujet à polémique, ce serait bien dans les Caraïbes qu’est né le subtil nectar, quand les premières distillations de cannes à sucre y ont été testées au XVIIe siècle. La bouteille de rhum, compagnon du pirate des Caraïbes, pas tellement un cliché que ça: à la fin du XIXe siècle, 150 distilleries sur la petite île caribéenne (environ un tiers de la superficie de la Belgique) produisaient quelques… 7 millions de litres de rhum par an. Aujourd’hui, industrialisation aidant, seules 6 distilleries ont subsisté, mais produisent ensemble 20 millions de litres de celui-ci. Ya man.

Appleton est le seul estate jamaïcain à disposer de sa propre source.
Appleton est le seul estate jamaïcain à disposer de sa propre source.© Ryan Mattis/Arrc Media

Des six distilleries restantes, si c’est Appleton Estate qui a tiré son épingle du jeu, c’est sans doute entre autres parce que la nature l’a gâté: outre les vastes plaines propices à la culture de canne à sucre, en plein milieu de l’idyllique vallée de Nassau faite de poljés et de karsts, Appleton est la seule distillerie à disposer d’une source à ciel ouvert: les autres ont accès à l’eau via des puits. Naturellement filtrée par la roche calcaire, l’eau jamaïcaine est d’une pureté à toute épreuve (pas pour rien que les navires en transit y remplissent systématiquement leurs cuves), et le spectacle de cette source naturellement bleue-turquoise est tout simplement à couper le souffle (aucun filtre Photoshop n’a été utilisé sur la photo ci-dessus, ndlr). Ya man.

De la canne à la bouteille

Mais le rhum n’est évidemment pas qu’une histoire d’eau: la canne à sucre, dont dix variétés sont cultivées et participent amplement aux saveurs du rhum, en reste l’ingrédient principal: jus de canne, mélasse et bagasse (résidu fibreux) sont tous utilisés de près ou de loin dans le processus de fabrication. C’est la mélasse, résidu de l’extraction du jus de canne, qui servira néanmoins de base à la fabrication. Proche en texture du sirop de Liège, et au goût rappelant la réglisse, c’est celle-ci qui sera distillée, avec ajout de levure, pour donner la base du spiritueux: on évitera les détails trop techniques, mais il faut savoir que, chez Appleton notamment, plusieurs techniques de distillation -à l’ancienne et plus moderne- sont utilisées en parallèle. Histoire, in fine, de pouvoir disposer d’un large éventail de « marques » (c’est le nom qu’on donne aux bases du rhum) que l’on laissera vieillir avant de les mélanger.

Au coeur de la Jamaïque, les secrets d'un rhum de légende
© Ryan Mattis/Arrc Media

Car l’étape la plus cruciale dans la fabrication du rhum est sans aucun doute son mélange. Ya man. À la manière du champagne, le rhum que l’on trouve en bouteille n’est pas issu d’un seul fût, ni même d’une seule récolte ou d’une seule année: il est la combinaison subtile, orchestrée par un ou une master blender, des différentes « marques » vieillies dans des fûts à bourbon en chêne. Vanille, orange, chocolat, café ou encore noix de muscade: autant d’arômes que le vieillissement apportera naturellement. C’est que le vieillissement en fûts et sous climat tropical agit trois fois plus vite que par chez nous: certes, beaucoup de rhum est perdu au passage (6% d’évaporation par an, la fameuse « part des anges »), mais la saveur se développe aussi proportionnellement plus vite. Un sérieux avantage face aux whiskys écossais… Ya man. Du reste, pour s’y retrouver dans les indications sur les bouteilles, il faut savoir que les règles diffèrent d’un rhum à l’autre: certains indiquent l’âge minimum des « marques » utilisées, d’autres font une moyenne, quand d’autres encore utilisent la méthode Solera, qui n’est pas à proprement dire une indication d’âge…

Au final, c’est donc un ou une master blender qui mélangera jusqu’à 20 « marques » de rhum différentes pour créer les différents rhums qu’on retrouve en bouteille. Chez Appleton, c’est une femme, Joy Spence, qui occupe ce poste prisé, ce qui a fait d’elle la première femme master blender au monde: seule Lorena Vasquez, chez Zacapa (nous la rencontrions il y a un an), a embrayé le pas, bien plus tard, de la féminisation du métier. Nous vous dévoilerons d’ailleurs prochainement la technique de Joy pour profiter pleinement de l’arôme d’un bon rhum…

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