Ces marques chic qui recyclent pour mettre un frein à notre surconsommation
Chaque année, une quantité incalculable d’invendus et de surplus de tissus finit à la déchetterie. Pour y remédier, un nombre croissant de marques de mode désirent s’engager, et plutôt que de les jeter, cherchent à leur donner une seconde vie.
HERMÈS: À rebours
Depuis dix ans, en précurseur, Hermès redonne vie à ses « matières endormies » par la grâce de petit h. Son directeur de la création, Godefroy de Virieu, était partie prenante du projet dès ses débuts. Une histoire de bon sens, de justesse, de responsabilité et de créativité à rebours.
Installé à Pantin, ce projet qui marie le luxe et l’upcycling a vu le jour en 2010 grâce à l’impulsion de Pascale Mussard. Depuis, les matières non utilisées des métiers d’Hermès ne sont plus condamnées à disparaître. Ces bouts de cuir, cette soie, ce cachemire, ces sangles, ces cordes, cette porcelaine, ce cristal, cet émail, ces pièces métalliques, ces arçons, ces boutons de nacre délaissés se réinventent en objets du quotidien. A l’époque, la grande dame créatrice avait réuni autour d’elle des artistes invités et des artisans maison. Godefroy de Virieu en était, jeune designer formé à l’Ecole nationale supérieure de Création Industrielle, depuis toujours « guidé par ce désir de révéler l’intelligence et la beauté des objets usuels ayant traversé le temps ». Il se souvient qu’elle n’avait eu guère besoin de le convaincre de la beauté de son projet. En « conteuse » hors pair, elle lui avait parlé de son enfance au 24, Faubourg Saint Honoré, des ateliers Hermès aux étages, de son grand-oncle qui l’y emmenait en voyage. Un jour, il avait ramassé un morceau de cuir tombé de la table d’un artisan qui fabriquait une selle, l’avait plié en deux, d’un geste simple, le bout de matière que l’on aurait pu croire inutile était devenu, comme par enchantement, un petit porte-valeurs. Sitôt transformé, il s’était retrouvé dans la vitrine de ce même 24, Faubourg Saint-Honoré, les chalands s’étaient arrêtés devant, ravis, ils avaient désiré ce nouvel objet Hermès qui était encore unique. La démarche était belle, propre, pleine de bon sens, respectueuse des artisans, des savoir-faire et de l’environnement. Pascale Mussard avait retenu la jolie leçon, même tacite. Elle n’a jamais hésité à la partager.
Voilà pourquoi depuis plus de dix ans, Godefroy de Virieu se plaît à suivre ses traces. Désormais directeur de la création d’Hermès – petit h, et ce depuis février 2018, dans un intense dialogue avec les artisans et les artistes, il s’attache à inventer de « nouvelles typologies d’objets », en une « archéologie de la maison » fascinante. Chaque année, en « une approche décalée », dans « la précision du geste », 200 modèles d’objets différents sont réalisés, en pièces uniques ou petites séries, avec patience, jamais dans la précipitation. On y trouve une luge et une guitare électrique créées avec un arçon, un terrazzo incrusté de boutons venus du prêt-à-porter et de la bouclerie, une balançoire faite de bois et d’étriers… « C’est très spontané, ce sont des assemblages d’idées, de matières pour créer des objets utiles qui s’inscrivent ensuite dans un nouvel art de vivre. » Forcément, la durabilité est au coeur du processus. Godefroy de Virieu n’ignore pas que c’est une « nécessité » – « petit h est l’une des réponses créatives à cette problématique mais Hermès n’en fait pas un argument ». De la discrétion en toutes choses. Et du respect. Ne lui dites pas qu’il s’agit d’une métamorphose façon trash to treasure: « Je ne peux pas considérer les matières provenant des ateliers Hermès comme des déchets, elles sont tellement précieuses. Nos artisans les appellent parfois des matières endormies. Je les considère comme des trésors. »
ARCHIVIST: Dans de beaux draps
La marque Archivist, originaire d’Amsterdam, transforme d’anciennes literies d’hôtels en chemises élégantes. Rencontre avec sa fondatrice, Eugenie Haitsma.
C’est en 2019, alors que vous passiez la nuit dans un hôtel, que l’idée vous est venue. Expliquez-nous…
Comme beaucoup de gens, j’ai toujours été fascinée par ces draps emblématiques, tellement douillets. Pendant la nuit, je me suis demandé ce que les hôtels en faisaient lorsqu’ils étaient tachés ou troués. Il s’avéra qu’ils les jetaient simplement. J’ai voulu en faire quelque chose. Grâce à un ami, j’ai rencontré la créatrice de mode Johannes Offerhaus, qui a tout de suite été emballée par le projet.
Fabriquer des chemises à partir de vieux draps, une vraie bonne idée?
Ces draps sont lavés quelque 300 fois. Le tissu est d’excellente qualité. En plus, nous n’utilisons que les literies d’hôtels de luxe, fabriquées en coton égyptien moelleux. Il y a des petits défauts, comme des trous ou des taches ; ces imperfections rendent chaque chemise unique. On brode par-dessus.
Il y a donc un travail à la main?
C’est compliqué de confectionner des vêtements à partir de literies. C’est beaucoup plus complexe qu’à partir d’un simple rouleau de tissu. Et nous devons contrôler et retoucher chaque drap à la main. Cependant, nous maintenons le prix délibérément bas, fixé à 125 euros, dans le but de toucher un large public tout en concurrençant les entreprises textiles.
Comment convainquez-vous les hôtels de vous garder leurs draps?
En réalité, ce sont pour eux des chinoiseries. Habituellement, les linges abîmés partent directement à la poubelle. Alors que là, ils doivent les mettre de côté en attendant d’en avoir assez pour nous les envoyer. C’est pourquoi nous leur confectionnons des uniformes à partir de leurs propres draps, en échange. C’est ainsi que cela devient un projet circulaire.
Quels sont vos projets?
En avril, nous élargirons notre collection avec des pantalons, des jupes ainsi que des blouses. Toutefois, Archivist tend plutôt à devenir une plate-forme qu’une marque de mode. Notre objectif: réutiliser le plus de matière possible.
PAULE JOSEPHE
Après son stage chez Alexander McQueen, Hannah Vanspauwen a ressenti un dégout pour le monde de la mode. Mais pas pour la mode elle-même. Elle a donc monté, en collaboration avec la photographe Tiny Geeroms, une marque d’upcycling: Paule Josephe. Ensemble, elles rehaussent des pièces de seconde main en les brodant, en modifiant la coupe avec des rubans et du « smock », une technique qui consiste à plisser le tissu. La collection se compose principalement de chemises mais on y trouve aussi des pantalons, des jupes et des foulards, ces derniers permettant d’évacuer les surplus.
RENÉE BY ZOË
Alors qu’elle venait de confectionner une robe à partir d’une vieille chemise de son grand-père, Zoë De Cock, étudiante en technologie de la mode, reçut pour cette création des tonnes de réactions enthousiastes sur Instagram. En binôme avec sa maman, elles ont depuis fabriqué plus de 160 robes. Leur ambition annoncée: réduire la montagne de déchets grâce à la mode durable. A leur collection se sont ajoutées des salopettes composées des restes de manches, de cols et de poches de chemises.
FILIPPA K: Retourner sa veste
La marque suédoise est partie d’un vieux stock de vestes invendues pour en créer de nouvelles. Vieilleries revisitées ou upcycling malin?
« Dans la collection été 2018, une veste s’est très mal vendue. C’est dommage car les bases étaient bonnes: tissu de qualité, très belles couleurs et éléments workwear sympas. Le problème, c’est qu’elle se trouvait entre la veste et le veston et que la longueur était très étrange », raconte Emilia Castles, créatrice de la ligne Homme chez Filippa K. Plutôt que de dessiner un nouveau modèle, la marque a décidé de corriger l’article. « Je voulais respecter le produit de base et le rendre plus actuel en intervenant le moins possible. » La pièce a été raccourcie et dotée d’un nouveau col, de boutons supplémentaires et d’une doublure amovible. « Nous avons fabriqué le col à partir de la bande coupée en bas. Et puis, nous avons réussi à obtenir un autre lot de boutons identiques. Ce n’est pas facile, mais sur le plan créatif, c’est un bon exercice. Et ça marche: la veste est en rupture de stock. »
Dans la collection Femme, on retrouve une chemise en coton blanc classique avec un faux col en soie. Ce dernier est fabriqué à partir de foulards invendus. Une telle transformation est-elle possible dans tous les domaines? « Ce processus ne s’inscrit pas dans le mécanisme de production classique et est donc un peu plus coûteux. Par exemple, ces vestes ont été fabriquées dans le service d’échantillonnage », explique Emilia Castles. Toutefois, ces coûts supplémentaires ne semblent pas entacher les ambitions d’upcycling du label. « En février 2020, nous avons lancé Filippa K Studio, un labo où nous faisons des essais de mode circulaire. Tous les vêtements rapportés par nos clients se retrouvent ici. Ce que nous ne pouvons ni réparer ni vendre, nous le métamorphosons en pièces uniques pour la collection Remake en addition à la transformation des invendus. »
AMERICAN VINTAGE: La récup’ à nos pieds
La marque varoise fabrique de nouveaux tapis à partir de vieux vêtements.
Après seize années d’existence et plus de trente collections, American Vintage se retrouve, comme bien d’autres labels, avec une quantité incroyable d’invendus sur les bras. Des vêtements, des surplus de tissu ou encore des prototypes. Début de l’année dernière, la maison marseillaise s’est donc rendue au coeur du Moyen Atlas, où une coopérative de femmes marocaines tisse des tapis traditionnels boucherouites, à partir de chutes de textile. A l’origine, ces tapis servaient à garder le froid hors des maisons berbères. Cependant, depuis une dizaine d’années, ces derniers sont très convoités en Occident pour leurs couleurs vives et leurs imprimés graphiques. Aujourd’hui, c’est une petite collection de trois tapis différents qui est fabriquée.
- Prix entre 250 et 750 euros
- americanvintage-store.com
STUDIO AMA: Local et social
Fabriquer des vêtements à partir des déchets de l’industrie textile du coin dans un atelier social local. C’est ce qui a valu à ce label de remporter le prix Henry Van de Velde dans la catégorie Climate Challenge.
La styliste gantoise Soraya Wancour a déjà sauvé du rebut plus de 4 200 m2 de tissu. Elle récupère cette matière auprès de six industries textiles belges. « Nous fabriquons des vêtements à partir de restes de housses de matelas, de serviettes de bain et de linge de maison. Ce sont de beaux tissus de très bonne qualité. Sans notre initiative, ils auraient été jetés ou brûlés », explique la créatrice. Acheter des invendus, en revanche, n’est pas son truc. « Je ne veux pas donner l’idée aux entreprises que ce n’est pas grave de produire trop. Sinon, elles vont compter sur le fait que les autres rachèteront les stocks. »
L’année dernière, le Studio AMA a travaillé pour la première fois avec des vêtements existants. Il ne s’agissait pas de nouvelles pièces, mais d’articles chinés au magasin de seconde main Kringwinkel. « La plupart du temps, ces habits sont encore en bon état, mais ils ne sont plus portés ou étaient des achats compulsifs. Nous avons créé une petite collection à partir de chemises d’hommes trouvées là-bas. » C’est grâce à cette ligne que le Studio AMA a remporté le prix Henry Van de Velde, un award qui récompense la création dans tous les secteurs, au nord du pays. « En tant que créatrice, je désire inverser la tendance et fabriquer des pièces à l’épreuve du temps. C’est fantastique que mon travail soit maintenant reconnu. »
Soraya Wancour a étudié la mode à Bruxelles avant de faire des stages chez divers créateurs. Elle ne s’épanouissait toutefois pas dans l’industrie textile. Désirant entamer autre chose, elle a lançé son studio en 2018, qu’elle qualifie de « laboratoire pour la mode éthique ». Depuis, la marque circulaire a vendu près de 440 pièces, qui ont toutes été fabriquées par un atelier social de son quartier. « Ils avaient seulement déjà réalisé quelques coussins et housses de lit. Au départ, ce n’était pas évident mais ça va de mieux en mieux. »
Studio AMA ne travaille ni avec les saisons ni par collections. Chaque vêtement est une pièce unique: « De temps en temps, un projet est ajouté. Mais nous essayons d’éviter le surstockage. Ce n’est que lorsqu’un modèle est presque épuisé que nous le commandons à nouveau. »
- Disponible sur studioama.be Aussi, temporairement, le vendredi et samedi midi à l’O’yo, bar branché à Gand. Et jusqu’à la première semaine d’avril, chez Lokal, à Bruxelles.
TRES SIS ZERO: Cercle vertueux
La Belge Sybil Mortelmans habite à Madrid, où elle crée des chaussures en free-lance depuis vingt ans déjà. En 2018, elle a décidé de lancer sa marque de sacs, fabriqués à partir de restes de cuir de grande qualité.
Que signifie Tres Sis Zero?
Littéralement, cela signifie 360, faisant référence à un cercle. Je commence avec une matière qui se trouve au bout de la chaîne, les déchets de cuir, pour en faire quelque chose de neuf. En tant que créatrice de chaussures (pour Vanessa Bruno, Paule Ka, Thiron…), je me rends régulièrement dans les usines de cuir. J’y vois de mes propres yeux tout ce qui est jeté. Cela fait donc très longtemps que l’idée me trotte dans la tête.
Où trouvez-vous votre matière première?
Je collabore avec environ quatre fabricants espagnols dont je suis sûre de la qualité. L’un d’entre eux confectionne les sacs à main de Loewe. Le problème, c’est que les marques de luxe utilisent généralement uniquement le milieu de la peau, gaspillant le reste. Ces déchets sont parfaits pour la fabrication de petits articles. Parfois, les artisans se retrouvent aussi avec une trop grande quantité d’une certaine couleur de cuir. Cela peut être dû à une teinte qui s’est mal vendue ou qui était destinée à un seul défilé.
Pourquoi avoir choisi les sacs et non les chaussures, votre spécialité?
La production de chaussures est plus complexe, à cause des tailles par exemple. Il est vrai que j’avais peu d’expérience dans la confection de sacs. Je savais toutefois réaliser un patron et j’ai reçu énormément d’aide de la part de mon fabricant à Barcelone. Puisque je travaille avec des matériaux résiduels, non seulement pour le cuir mais aussi pour les fermetures Eclair, la doublure et les boutons, j’ai réalisé très peu de pièces identiques. Au grand regret des fabricants. C’est pourquoi nous avons convenu que je remplirais les blancs. S’ils ont une période plus calme, j’ai un créneau. De cette manière, ils peuvent garder leur personnel au travail et je peux produire mes accessoires.
Cela influence-t-il également votre collection?
Je travaille avec un nombre fixe de modèles, confectionnés à chaque fois dans une autre couleur ou matière. De temps en temps, un modèle vient s’y ajouter. Mon intention n’est absolument pas de sortir une nouvelle collection tous les six mois. C’est pourquoi mes sacs possèdent un style intemporel. Fin mars j’aurai à nouveau un créneau. Mon stock sera alors complet. A l’avenir, mon but est d’élargir la marque en travaillant avec d’autres matériaux récupérés que le cuir.
- Prix entre 65 et 240 euros
- tressiszero.com
ON: On tourne en rond
Le petit nouveau de la marque suisse On tourne littéralement en rond, car Cyclon est 100% réutilisable. Ce qui est encore plus révolutionnaire, c’est que cette sneaker zéro déchet n’est pas vendue mais bien louée. Pour 29,95 euros par mois, vous disposez d’un abonnement grâce auquel vos chaussures usagées sont transformées en matières premières, qui sont ensuite utilisées pour la fabrication de nouveaux modèles. Les matériaux entièrement végétaux sont, entre autres, élaborés à partir d’huile de ricin, une plante tropicale à croissance rapide. Le service débutera au second semestre de cette année, mais il est possible de s’inscrire dès à présent.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici