Granito, vitraux ou céramique: trois artisans de haut vol racontent l’art du sur-mesure
Un savoir-faire inégalable et beaucoup de temps. C’est ce qu’il faut à ces trois artisans de l’habitat pour répondre aux demandes de leurs clients. Des ouvrages sur mesure, et souvent coûteux, qui une fois terminés donnent parfois l’impression d’avoir toujours été là.
Les passeurs de lumière
Démodés, les vitraux? L’Atelier Mestdagh tient à prouver le contraire. En restaurant d’anciennes oeuvres verrières mais aussi en en créant des originales, il entend donner un nouveau souffle à cet artisanat qui ne laisse personne indifférent.
Le jeune Albert Mestdagh a 13 ans lorsqu’il entre en apprentissage chez Hendrik Coppejans, l’un des plus grands maîtres-verriers actifs à l’époque à Gand. Après avoir travaillé pendant des années comme peintre-verrier, Mestdagh ouvre sa propre enseigne en 1947. « Aujourd’hui, l’atelier s’occupe, comme le veut la tradition, de la conservation et de la restauration des vitraux, mais il accepte aussi de grandes et de petites commandes de création et de réalisation de nouvelles pièces », explique Katrien Mestdagh, qui représente la troisième génération de maîtres-verriers. « Je crois fermement qu’une activité renforce l’autre, explique-t-elle. Notre travail de restauration nous apprend quels matériaux et quels styles ont été perdus au fil du temps. La création nous permet de continuer à pratiquer ce métier et de le mettre en valeur pour l’avenir. Il est important que ces techniques survivent et que nous osions les appliquer à des idées neuves. »
Aussi Katrien Mestdagh ne comprend pas que l’on puisse considérer les vitraux comme démodés. « Certes, ceux réalisés actuellement ne sont pas tous aussi beaux ou précieux. Mais ils peuvent aussi être jeunes et branchés lorsqu’on s’y prend convenablement. Il ne faut pas s’accrocher à tout prix à l’idée que ces ouvrages doivent être hauts en couleur. En optant, par exemple, pour un graphisme intéressant et un accent coloré seulement, et en appliquant les techniques existantes avec une certaine fraîcheur, on peut obtenir un résultat très moderne. »
Le premier rendez-vous avec le client a généralement lieu à l’atelier à Merelbeke car l’entreprise familiale y possède de nombreuses réalisations. « Nous lui demandons de faire un choix parmi des créations antérieures, ce qui nous permet de connaître ses goûts. Après une première estimation de prix, nous nous rendons sur place. Quelle y est la luminosité? Y a-t-il déjà du double vitrage? Y a-t-il certains meubles qui attirent l’attention et dont nous devrions tenir compte? Ensuite, notre créatrice maison, ma mère Ingrid Meyvaert, se met au travail avec tous les éléments dont elle dispose et réalise trois designs parmi lesquels le client peut faire son choix. Elle conçoit de petits tableaux qu’elle met en couleur à l’ecoline, car cette peinture s’approche le plus de l’effet d’un vitrail. »
Cet élément architectural connaît de nombreuses applications, poursuit la spécialiste. « Ainsi, dans le cas d’une maison de ville, un brise-vue ou un survitrage peuvent être de belles alternatives aux films sablés que l’on voit partout. » Comme décoration de fenêtre, dans une cage d’escalier, ou comme éclairage indirect dans le mur: la seule condition est qu’il y ait une luminosité suffisante. « Un vitrail ne prend vie que lorsque la lumière le traverse », souligne notre interlocutrice. Comme l’atelier constate une augmentation de l’intérêt de la génération montante, mais que son budget est souvent insuffisant, les verriers entendent proposer davantage de modèles standard à l’avenir. « Nous voulons que cela soit abordable pour une clientèle plus jeune », insiste Katrien Mestdagh. Elle pointe un vitrail que traverse justement le soleil de l’après-midi. « La lumière ne laisse personne indifférent. Comme certains accords musicaux, la lumière fera toujours vibrer les gens. »
Les petits plats dans les grands
Acheter un service unique? Aurélie Serck de Lili Pottery conçoit des céramiques personnalisées assorties à chaque intérieur. De quoi finaliser un projet réellement jusque dans les moindres détails de déco.
A part un atelier suivi pendant l’adolescence, Aurélie Serck n’avait encore jamais touché à l’argile. Après ses études d’arts plastiques, elle a commencé à travailler chez un antiquaire bruxellois, puis dans le commerce de détail de luxe, avant d’avoir envie de renouer avec sa créativité. C’était il y a six ans. « Une crise de la quarantaine avant l’heure, peut-être, rit-elle. Une amie m’a proposé de suivre avec elle un cours de poterie. J’ai décidé de l’accompagner et à la fin, je me suis adressée à la prof: « Vous ne pourrez plus vous débarrasser de moi », lui ai-je dit. »
Une activité que la céramiste qualifie de passe-temps ayant dérapé, lorsqu’elle nous accueille dans son atelier à deux pas du Gravensteen, à Gand. Au bout de six mois, elle a acheté son premier tour, suivi bientôt d’un four. « Les gens étaient de plus en plus nombreux à m’interroger sur mon job. Aujourd’hui, je travaille entièrement sur commande. Ceux qui souhaitent un nouveau service peuvent choisir chez moi, sur mesure, le type de matériau et la couleur qu’ils désirent. Généralement, le processus commence par une visite. Il suffit de voir un intérieur pour savoir quelle direction emprunter. Classique ou au contraire très minimaliste? On sait alors tout de suite ce qui peut le faire, et ce qui ne convient pas du tout. J’emporte un étui contenant toute une série d’échantillons d’argile couverts de divers types d’émaux. Le client m’expose ses souhaits et je montre d’emblée quelques formes de base. Souvent, il commence par me commander un service, mais il revient plus tard pour des pièces complémentaires assorties, des saladiers par exemple. »
Outre son propre travail pour les particuliers et les restaurants qui souhaitent un service unique, Aurélie Serck travaille aussi avec l’architecte d’intérieur Evelyn Moreels. Après lui avoir commandé un service, cette dernière lui a proposé une collaboration. Ce n’est pas parce qu’elle privilégie le sur-mesure que la céramiste accepte n’importe quoi. Elle refuse résolument de copier des designs existants, et au niveau du style également, elle veut assumer entièrement son produit. « Je suis toujours très honnête à l’égard du client. Je suis tout simplement incapable de fabriquer quelque chose de moche. Je vais dès lors toujours imposer en douceur mon propre style (elle rit). Et cela fonctionne: je n’ai jamais eu autant de commandes que ces derniers mois. A tel point même que j’ai dû demander à certaines personnes d’attendre. »
Le maître mot d’un service sur mesure? « La patience, répond Aurélie Serck. Je conseille toujours de me contacter à temps lorsqu’on vise une occasion particulière. Je compte environ un mois par ouvrage. En effet, on ne peut pas forcer le processus de séchage, car cela provoquerait des fissures. L’attente est terrible, mais heureusement, la plupart des gens peuvent être patients. » La fabrication de services à la main, activité chronophage s’il en est, n’est pas bon marché. Pour un service complet, il faut compter environ 1.500 à 2.000 euros. « J’essaye d’offrir toute une expérience en envoyant des photos pendant le processus. Mais ce n’est qu’à la livraison finale que l’on sait si un projet est vraiment réussi, lorsque le commanditaire commence à sourire spontanément pendant le déballage. »
Une gamme de sols majeurs
Longtemps avant qu’il ne retrouve à la fois ses lettres de noblesse et les faveurs des férus d’aménagement intérieur, le granito avait piqué l’intérêt de Marc Dochain, qui n’a pas attendu d’en revoir dans les magazines pour s’en faire une spécialité.
Comment Marc Dochain en est-il arrivé à travailler le granito? Par une suite de hasards, au gré de chemins détournés. Tout commence il y a une vingtaine d’années, à la Marmomac, la grande foire du marbre de Vérone, où un excellent conseil vient le détourner de ses envies marbrières: « Pense béton! », lui glisse-t-on. « J’ai alors rencontré des Suédois qui faisaient des machines pour poncer le béton, je suis allé les voir en Suède, je leur ai acheté une machine, et je me suis lancé dans cette activité, raconte notre homme. C’est là que tout a commencé. » Et ce, grâce au concours inattendu de « vieux maçons italiens » croisés sur des chantiers, qui s’intéressent alors à son boulot et répètent que ça leur fait penser à l’antique technique du granito – qui, pour rappel, est un « matériau de construction constitué de fragments de pierre naturelle et de marbre colorés agglomérés à du ciment, le tout poli jusqu’à lui donner le brillant d’une pierre naturelle ». Intrigué, le Bruxellois décide de s’initier à cette pratique millénaire, et finit rapidement par se prendre au jeu, bien que ce type de finition soit alors un peu tombé en désuétude. « Le granito a disparu dans les années 70. Quand la construction s’est industrialisée, on a commencé à tout carreler, au lieu de fabriquer les sols sur place », nous explique l’artisan. Qu’à cela ne tienne, il s’accroche à son amour pour Venise, mère-patrie du « terrazzo alla veneziana », et pour les « extraordinaires sols des palais vénitiens », apprenant en partie le métier en effectuant des réparations.
Aujourd’hui, ces réparations constituent encore une part importante de son activité, mais il conçoit également de nouveaux sols, par définition sur mesure, hélas trop rarement à son goût cependant. D’autant qu’il tient à sa liberté créative, préférant que le client arrive « sans idée trop précise », pour éviter de de n’avoir « plus grand-chose à proposer ». « J’aime bien avoir ma part d’improvisation, admet-il. J’essaye d’avoir un espace pour moi, où je peux développer quelque chose qui m’est propre, pas seulement copier un mélange existant, que le client aurait repéré quelque part. »
Quant aux contrats plus extraordinaires, il nous dira que c’est avant tout une question de hasard et d’opportunité. Heureusement, même dans le cas de réparation, l’artisan parvient à insérer « sa petite signature » et retravaille « dans l’esprit ancien, mais différemment, à ma sauce ». Des projets exceptionnels s’inscrivent néanmoins à son agenda de temps à autre, en témoigne cette terrasse de mosaïque, une autre de ses spécialités, réalisée dans l’hôtel Veuve Ciamberlani – chef-d’oeuvre de l’Art nouveau de Paul Hankar, situé au 48 de l’avenue Defacqz à Ixelles.
On s’en doutera, un tel artisanat n’est pas à la portée de toutes les bourses: « Dès qu’il est question de mosaïque, c’est cher », résume-t-il sans équivoque. Au vu des services proposés, du sur-mesure dans le sur-mesure, il pourrait difficilement en être autrement: « J’ai fait une terrasse en pierre bleue de 100 m2, composée de triangles tous différents. Découper et inclure les pièces une à une, en veillant à ce qu’aucun triangle ne soit identique et que tout soit raccord, donc avec un niveau de détail incroyable, cela prend du temps, et, forcément, cela a un prix », termine-t-il.
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