Dans l’appartement de monsieur Edouard Vermeulen, à Ixelles

Un peu de New York et de Paris, mais à Bruxelles. Voilà comment l’homme derrière la griffe Natan décrit son appartement situé aux étangs d’Ixelles. Bienvenue chez le créateur préféré des têtes couronnées.

C’est certainement l’un des plus agréables quartiers d’habitations de notre capitale, une oasis de verdure nichée dans le creux d’un vallon à l’arrière de la très fréquentée avenue Louise. Autour des étangs d’Ixelles proprement dits se dressent d’élégantes façades Art nouveau et Art déco, les styles en vogue à la veille et au lendemain de la Première Guerre mondiale. Voici des années, Edouard Vermeulen, à la tête de l’enseigne Natan, y a acquis, dans un hôtel de maître néoclassique, un majestueux appartement conçu par Adrien Blomme (1878-1940), qui signa entre autres les brasseries Wielemans-Ceuppens, édifice emblématique de Forest abritant aujourd’hui un centre d’art, le Wiels.

 » Ce type d’architecture me correspond, surtout en ville, confie le propriétaire. A la campagne, je préférerais une bâtisse du XVIIIe siècle.  » L’homme ne passe pas énormément de temps chez lui puisqu’il se trouve le plus souvent dans l’atelier et les bureaux de son label, sur l’avenue Louise.  » Je rentre chez moi fort tard et repart très tôt, poursuit-il. Depuis tout ce temps, je n’ai encore jamais cuisiné chez moi. Je n’ai pas besoin d’un endroit pour me détendre. Je recherche au contraire la vitesse et la dynamique propres au monde de la mode. Elles me donnent l’énergie qui me permet d’avancer. Il n’empêche que j’aime m’entourer de beaux objets. Mon cadre de vie doit m’inspirer.  »

ESPRIT COUTURE

Edouard Vermeulen a donc prolongé l’esthétique des façades dans son intérieur, qui rappelle les salons des couturiers parisiens des années 30 et 50, avec leurs nombreux éléments néoclassiques et une touche surréaliste. Il se compose de trois grandes pièces en enfilade : une salle à manger, un coin salon et une grande bibliothèque. L’impression d’espace est encore renforcée par la géométrie épurée des lambris :  » Il règne ici un esprit couture, confirme le Bruxellois d’adoption. Lorsque j’ai acheté ce bien, il était complètement délabré. Le logement n’avait pas été occupé depuis six ans, sauf par quelques squatteurs et des pigeons. Nous sommes pratiquement partis de zéro, seuls quelques détails d’origine ont été conservés. Je les ai complétés avec l’aide de l’antiquaire Michel Ceuterick. Une partie importante des meubles viennent du décorateur Gert Voorjans, qui a un feeling certain.  »

Et de mettre en avant les boiseries qui donnent à l’ensemble beaucoup de caractère.  » Mon goût pour ces ouvrages remonte à mon enfance, lorsque je visitais régulièrement, avec mes parents, le superbe hôtel Merghelynck à Ypres, un musée qui en recèle de splendides, datant du XVIIIe siècle, explique-t-il. Il s’agit bien plus que de simples revêtements muraux, ils proportionnent et structurent l’espace. Deux notions que je poursuis identiquement dans mon travail de couture. Dans un aménagement, les lignes les plus importantes sont celles qui donnent de la profondeur, de la perspective. Il en va de même dans ma discipline. Un vêtement n’est pas unidimensionnel : lorsqu’on se regarde dans un miroir, on tourne sur soi-même pour s’observer sous tous les angles.  »

 » J’aime m’entourer de beaux objets. Mon cadre de vie doit m’inspirer.  »

Celui qui se destinait initialement à l’architecture d’intérieur attache une grande importance à la symétrie et à la rupture de celle-ci :  » J’estime par exemple que toutes les hauteurs de portes doivent être constantes, mais à l’excès, cela peut être lassant. Un aménagement ne deviendra génial que si l’on ose briser le carcan. En jouant avec les objets, comme avec les accessoires en mode.  »

LE BOIS ET LA SOIE

Accessoires. Le mot est lâché. Edouard Vermeulen ne l’utilise pas seulement lorsqu’il parle de son job –  » une robe sobre acquiert du punch lorsqu’on la combine avec des escarpins bleu Klein  » -, mais aussi lorsqu’il évoque son home sweet home. Des coupes et des vases remarquables sont disposés partout. Les tables et les banquettes reposent sur d’intrigantes pattes d’animaux.

 » Plus un intérieur est sobre, plus on porte son attention sur la finition et l’exécution.  »

 » J’achète au coup de coeur et l’article en question trouve alors naturellement sa place. Les accessoires font vivre un intérieur. Mais je ne suis pas non plus pour les décors surchargés. Ils m’empêchent de me concentrer et je me lasse par ailleurs assez vite d’un papier peint avec un motif imposant, par exemple. Je préfère les murs unis – ils peuvent être joliment patinés – et je réfléchis bien à l’emplacement où j’accroche ou pose quelque chose.  » Une constante dans cette composition savamment pensée : les fleurs.  » Une maison sans fleurs est une maison sans vie, déclare le propriétaire. Pas besoin de mettre des grands bouquets partout, une simple orchidée peut suffire.  »

Les belles matières caractérisent également le projet.  » Vu leur côté intemporel, elles sont à la base de toute chose, affirme-t-il encore. Plus un intérieur est sobre, plus on porte son attention sur la finition et l’exécution.  » Dans cette bâtisse ixelloise, c’est le bois qui domine… La soie étant, elle, reine dans l’atelier de l’avenue Louise.

De leur côté, les teintes jouent la carte de la neutralité, à l’exception de quelques touches plus flashy.  » Je pars d’un ton, dans ce cas un blanc cassé parchemin, que je rehausse de coussins et d’oeuvres d’art, souligne Edouard Vermeulen. Pour ma couture, j’opte volontiers pour le nude. J’utilise toutefois davantage de couleurs qu’autrefois. Personnellement, j’apprécie le noir et le blanc mais ce ne sont pas des tonalités commerciales pour des vêtements de circonstance. Chez Natan, l’orange est l’une des nuances qui se vend le mieux. Pour la saison prochaine, nous combinons le nude avec le jaune chaud.  »

 » Dans un aménagement, les lignes les plus importantes sont celles qui donnent de la profondeur, de la perspective.  »

La symétrie, l’harmonie, le bois… Tous ces éléments, ainsi que le style néoclassique, rappellent en réalité l’oeuvre du décorateur préféré d’Edouard Vermeulen, Jean-Michel Frank (1895-1941). Ce Français, d’autre part concepteur de meubles, a imaginé au début du XXe siècle des projets exquis pour les familles Rockefeller et Guerlain notamment. Ainsi, la salle à manger ressemble ici à s’y méprendre au salon que le comte et la comtesse de Noailles, célèbres mécènes dans le milieu de l’art, avaient fait installer dans leur maison, à Paris :  » La finition de leurs murs avait été réalisée avec du parchemin ; ici, j’ai fait peindre les murs en trompe-l’oeil. Mon intérieur est en effet un hommage à Frank, que j’admire à l’instar de nombre de ses contemporains, tels que son confrère Paul Dupré-Lafon. Leur style était tellement élégant. Et pour moi, l’élégance est synonyme de chic.  »

PAR ELLEN DE WOLF ET PIET SWIMBERGHE / PHOTOS : JAN VERLINDE

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