À Liège, Tijen Taskin fait dialoguer passé et présent dans l’hôtel particulier Keppenne

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Dans la cuisine, des meubles épurés en acier inoxydable et en marbre tempèrent les boiseries du XIXe siècle. © Caroline Dethier

Dans son imposant hôtel particulier du XIXe siècle, en plein cœur de Liège, l’architecte d’intérieur Tijen Taskin a choisi de ne pas rivaliser avec le clinquant d’antan. Elle y oppose une sobriété réfléchie, transformant le lieu en une maison familiale vivante, loin du musée figé.

Sur le site de l’agence immobilière, le bien était décrit comme un «majestueux hôtel particulier de 1875, de style éclectique, offrant 1.700 m² habitables et vingt chambres». De quoi impressionner les candidats les plus exigeants. À l’intérieur, des pièces dignes d’une salle de bal, avec des parquets à perte de vue, des boiseries en chêne à foison, des cheminées massives ornées de sculptures artisanales, des vitraux, un escalier en marbre glamour et une fresque monumentale dans le hall.

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Le mur miroir, dans le couloir, interpelle toujours les visiteurs. © Caroline Dethier
«Au début, j’ai été submergée par l’espace. Je me suis donc donné du temps pour apprivoiser la maison.»

L’hôtel Keppenne, signé Jules-Jacques Van Ysendyck, architecte belge notamment des maisons communales de Schaerbeek et d’Anderlecht, fut construit pour une famille aisée et servit longtemps de consulat italien. C’est l’un de ces bâtiments iconiques connus de tous les Liégeois, y compris de l’architecte d’intérieur Tijen Taskin et de son mari. À la recherche d’un lieu pour accueillir leur famille recomposée et leur bureau, ils ont un jour décidé de visiter la maison, ne fût-ce que par curiosité.

Un réveil en douceur

«Le bâtiment avait été divisé en bureaux, mais il dégageait toujours la même grandeur que du temps où il avait été construit pour le notaire Keppenne. Ce qui m’a frappée ce jour-là, c’est surtout l’atmosphère. Comme si la maison vivait encore et, bien qu’endormie, pouvait rapidement être tirée de sa torpeur.»

Entre conte de fées et réalité, le réveil s’est pourtant fait attendre. Il a fallu trois ans, soit aussi longtemps que sa construction, mais avec raison. «Réaménager une maison de fond en comble est une formidable opportunité pour une architecte d’intérieur. Toutefois, après l’enthousiasme initial, j’ai progressivement pris conscience de l’ampleur du défi.

Ici, tout est si démesuré et imposant que j’ai été, au début, submergée par l’espace. Je me suis donc donné du temps. C’est d’ailleurs le conseil que je donne aussi à mes clients pour apprivoiser la maison. J’ai d’abord observé la lumière, puis la manière dont les espaces communiquent entre eux.

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Tijen Taskin a donné à sa maison un style sobre et contemporain. © Caroline Dethier
«Une maison doit être le reflet de votre personnalité, pas un décor où vous faites semblant.»

Il faut d’abord voir et sentir comment une maison «fonctionne», même vide, avant de se l’approprier. J’ai également mené une recherche historique avec un étudiant en architecture. On a en exploré les archives, les anciens plans et des maisons comparables de Van Ysendyck à Bruxelles.»

Le défi consistait à donner une nouvelle identité à la maison et à en faire un lieu de vie. «Comment pourrions-nous y habiter, y circuler, comment recevoir des clients ou inviter des amis sans déranger mes enfants? Voilà le type de questions que je me posais sans cesse. Il fallait trouver un équilibre entre privé et professionnel, fonctionnel et esthétique. Finalement, chaque fonction a trouvé sa juste place, et aucun espace de cette maison n’est perdu.»

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© Caroline Dethier

La force de la sobriété

La demeure a été conçue avant tout pour impressionner les visiteurs. Comme en témoigne la façade néo-renaissance pompeuse. «En tant que nouveau propriétaire, deux options s’offrent à vous. Tenter de surpasser cette grandeur avec des lustres en cristal, du velours et du laiton, et transformer la maison en musée, ou bien chercher un contrepoids contemporain, respectueux du passé.

Durant la rénovation, je n’ai jamais aspiré à un contraste marqué ni aux interventions tape-à-l’œil. Les sols abîmés, par exemple, ont toujours été restaurés ou reproduits à l’identique, jamais remplacés par du béton moderne. Le nouveau vestiaire du hall a été conçu à partir de portes récupérées dans l’arrière-cuisine et semble avoir toujours été là.

La salle de lecture avec ses canapés Le Bambole de Mario Bellini, recouverts d’un tissu Stella McCartney. Le tableau au mur est signée Charlotte Beaudry. © Caroline Dethier

L’endroit le plus difficile à aménager fut sans doute la cuisine, située dans la plus vaste mais aussi la plus sombre pièce de la maison, dominée par une cheminée monumentale en bois sculpté du XIXe siècle. Ma réponse fut contemporaine mais discrète: un îlot dont les proportions répondent à celles de la cheminée, avec un plan en marbre vieilli et un habillage en Inox reflétant la lumière. Lui aussi, on dirait qu’il a toujours existé.»

Faire dialoguer les époques

L’aménagement réunit époques, goûts et styles. «Je voyage souvent en Italie pour mon travail et ce qui m’étonne toujours, c’est la façon dont les habitants des palazzi historiques associent sans complexe mobilier vintage, design moderne et art contemporain. Comme s’ils disaient: nous respectons le passé, mais il faut vivre à son époque.

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La chambre parentale, avec son plafond richement décoré et son aménagement minimaliste. © Caroline Dethier

Faire dialoguer l’ancien et le nouveau, plutôt que les opposer, voilà aussi le fil conducteur de mon travail, que ce soit pour une maison privée ou un hôtel. Poser une lampe vintage italienne sur une cheminée du XIXe siècle surchargée, ça fonctionne parce que les deux se complètent au lieu de s’annuler. Cela dit, j’ai souvent dû freiner et aménager les pièces le plus sobrement possible, sinon ça devenait vite trop chargé.»

Tijen Taskin a également offert une nouvelle fonction fédératrice aux espaces du rez-de-chaussée, où elle a installé son bureau et reçoit ses clients. «Le notaire Keppenne était collectionneur d’art et son épouse peignait. À intervalles réguliers, ils invitaient des artistes à exposer leurs œuvres ici. J’aimerais à l’avenir en refaire un lieu d’exposition, avec une sélection personnelle d’art, de design et d’artisanat, des choses qui me tiennent à cœur et qui ont toutes une histoire. Je le répète toujours à mes clients: une maison doit être le reflet de votre personnalité, pas un décor où vous faites semblant.»

En bref, Tijen Taskin

– Née à Liège.
– Diplômée en architecture d’intérieur de l’Institut Saint-Luc à Liège en 1999.
– Pendant plusieurs années, elle enseigne l’art.
– Elle fonde son bureau d’architecture intérieure en 2009, se spécialise dans l’aménagement d’hôtels (dont le récent Vedette à Profondeville), boutiques et résidences privées.
– Elle travaille actuellement sur le réaménagement du château du Trumly à Trooz et d’un gîte dans l’ancienne commanderie de Villers-le-Temple.
– En 2021, elle achète avec son mari l’ancien consulat de Liège et le transforme en maison familiale, incluant le gîte La Secrète.

tijentaskin.be
@tijen.taskin

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