Tous les visiteurs de la Design Week de Milan rêvent d’être conviés au cocktail donné dans la galerie de Nina Yashar. Nous avons reçu deux autres privilège: une invitation dans sa résidence milanaise, elle aussi dédiée à l’art et au design et la liste de ses adresses préférées à Milan. Une visite pleine de (belles) surprises.
Tout fan de design le confirmera: les expositions imaginées par Nina Yashar sont à la fois audacieuses et expérimentales, réunissant des créations qui traversent les époques et varient les styles. Bien sûr, il en va de même pour son exceptionnelle demeure milanaise.
Aucun architecte d’intérieur n’y a mis les pieds: la rénovation a été entièrement confiée au regretté Giancarlo Montebello, designer de mobilier auprès de Carlo Scarpa et des frères Castiglioni. L’homme, qui a notamment travaillé dans la joaillerie et collaboré avec de grands noms tels que Lucio Fontana, Hans Richter ou Niki de Saint Phalle, a ici transformé les plafonds et les murs en fresques évoquant l’Antiquité.
Des détails dorés et des motifs persans rappellent Téhéran, la ville natale de Nina Yashar, et s’étirent le long des voûtes et des sols. Le plafond bleu et blanc, composé de multiples couches de peinture, reflète le ciel au-dessus de l’univers.
La maison de Nina Yashar est aussi singulière que son œuvre. Pionnière depuis plusieurs décennies, elle a toujours défendu l’idée que le design, au même titre que l’art, pouvait être collectionné, porteur de sens et esthétiquement fort. Le concept de «collectible design», qui inclut désormais de nombreux noms belges, lui doit beaucoup. Depuis son ouverture en 1979, la Nilufar Gallery a acquis une aura incontournable.
Dix ans après l’inauguration de son Nilufar Depot – un entrepôt de 1.500 m² en périphérie de Milan – ce lieu est devenu un véritable temple du design, abritant plus de trois mille pièces qui sont le fruit d’une curiosité insatiable. Des objets intemporels, raffinés et disposés avec une extrême cohérence.
La garde-robe de Prada
Bien sûr, chacun de ces objets a son histoire et sa signification. «Mon appartement est un refuge, un lieu où je peux m’exprimer pleinement», dit notre hôte. Parmi les trésors qui la touchent, une armoire offerte par Miuccia Prada, une amie intime. Son cercle comprend aussi le galeriste Gio Marconi, le designer Martino Gamper – qu’elle lança il y a vingt ans autour d’un projet dédié à Gio Ponti – ou encore l’exubérante Bethan Laura Wood.
Elle aime les recevoir pour un apéritif ou un dîner sur sa terrasse dominant les toits de Milan.
Dès l’entrée, l’œuvre nocturne de Grazia Toderi impressionne: une vue aérienne de Londres dont les lumières scintillent comme des étoiles.
On remarque aussi l’art cinétique du Suisse Gerhard von Graevenitz, une toile transparente intégrant des vinyles signée Kerstin Brätsch, ou encore les «fleurs sonores» de Nathalie Djurberg et les vases colorés de Martino Gamper.
S’ajoutent un miroir en papier mâché de Gio Ponti et une collection de statuettes chinoises du XVIIe siècle. Des pièces très précieuses: «L’authenticité prime», insiste celle qui collabore étroitement avec des experts capables d’attester l’origine de chaque objet.
Un seul guide: l’intuition
Dans les années à venir, Nina Yashar veut continuer à miser sur la durabilité dans le design. Pour l’instant, elle conserve des chefs-d’œuvre historiques tout en soutenant des créateurs contemporains qui réinterprètent la tradition. Les accompagner n’est pas une obligation mais un désir: «J’admire la passion et la créativité instinctive des jeunes designers.»
Elle rêve également d’un Nilufar Hotel dont chaque chambre raconterait une histoire à travers des contrastes et des associations inattendues. Petite précision, tout de même: s’il lui arrive de conseiller des clients pour leurs intérieurs, elle ne souhaite pas être qualifiée d’architecte d’intérieur.
Son quotidien? Il débute très simplement, avec un verre d’eau chaude et un quart d’heure d’exercices physiques. «Pour le reste, j’évite les routines», dit-elle. Car chez elle, tout repose sur l’intuition. Art et design ne sont pas des démarches purement rationnelles, mais des processus où corps, esprit et sens s’entrelacent. «Une œuvre de qualité, qu’il s’agisse d’art ou de design, se reconnaît au sentiment qu’elle suscite. C’est à cela qu’il faut répondre.»
Ainsi, comme une évidence, Nina Yashar nous résume sa passion en citant l’écrivain Gustave Flaubert: «L’art, la seule chose vraie et bonne dans la vie!» Difficile d’imaginer meilleur credo pour définir la vie et l’œuvre de Nina Yashar.
Les adresses préférées de Nina Yashar à Milan
Se restaurer
Mezè. «Quand j’ai envie de quelque chose de vivant et de savoureux, j’y vais. J’apprécie leur interprétation contemporaine de la cuisine libanaise et des plats à partager, mais aussi l’atmosphère intime et conviviale du lieu.»
19, via Pasquale Sottocorno, à 20129 Milan.
Via Stampa. «Une bistronomie élégante qui valorise les produits de saison et la simplicité. J’aime la sobriété de leur style et leur manière de réinventer les classiques.»
8, via Stampa, à 20123 Milan.
Trattoria Masuelli. «Une véritable institution restée fidèle à son identité. L’intérieur, avec ses lustres de Gio Ponti et son mobilier vintage, vous transporte vers une autre époque. Leur cotoletta alla milanese est une des meilleures de la ville!»
80, viale Umbria, à 20135 Milan.
Horto. «Mon adresse pour un apéritif avec vue. Situé au-dessus de la Galleria Vittorio Emanuele, le rooftop offre un panorama magique sur la Madonnina au coucher du soleil. Carte réfléchie et éthique, atmosphère élégante mais détendue.»
5, via S. Protaso, à 20121 Milan.
Bar Basso. «Un lieu iconique, surtout pendant la Design Week. On y va autant pour les cocktails que pour l’énergie, les rencontres, l’histoire. Leur negroni sbagliato est bien sûr un classique.»
39, via Plinio, à 20129 Milan.
À visiter
Fondazione Prada. «Incontournable pour qui s’intéresse à l’art contemporain. L’Osservatorio a une atmosphère unique; le site principal impressionne par son architecture et son contenu. J’en reviens toujours inspirée.»
Osservatorio, Galleria Vittorio Emanuele II, à 20121 Milan.
Fondazione Prada, 2, Largo Isarco, à 20139 Milan.
Shopping
10 Corso Como & Antonia. «J’adore l’œil infaillible de ces deux boutiques, qui mixent marques établies et jeunes talents. J’y croise toujours de l’inattendu.»
10, Corso Como, à 20154 Milan.
Antonia, 10, via Sant’Andrea, à 20121 Milan.
Nilufar Gallery & Depot. «Sans surprise, mes lieux de cœur. Galerie et dépôt réunissent des pièces de toutes époques et disciplines dans des dialogues surprenants entre design, art et architecture. Il est possible que vous m’y trouviez…»
Nilufar Gallery, 32, via della Spiga, à 20122 Milan.
Depot, 34, viale Vincenzo Lancetti, à 20158 Milan.
Spotti & La Rinascente. «Je dirais Spotti pour une vision contemporaine de l’intérieur, et La Rinascente pour son étage design avec des objets du quotidien élégants et soigneusement sélectionnés.»
Spotti, 27, viale Piave, à 20129 Milan. La Rinascente, piazza Duomo, à 20121 Milan.
Mazzolari. «Mon adresse pour des cadeaux raffinés et personnels. Leur choix de parfums de niche et de cosmétiques classiques est unique. Tout y est beau, choisi avec soin et magnifiquement emballé.»
2, Corso Monforte, à 20122 Milan.
Se détendre
Bulgari Spa. «Un havre discret au centre de Milan, niché dans les jardins de l’hôtel Bulgari. Compact mais complet: piscine, sauna, cabines de soins. J’y vais quand je cherche la sérénité et la discrétion.»
7B, via Privata Fratelli Gabba, à 20122 Milan.
Four Seasons Hotel. «Mon conseil pour séjourner à Milan. L’intérieur allie charme historique et raffinement contemporain, et le service est impeccable. Le jardin intérieur, lui, est une véritable oasis de paix au cœur de la ville. L’élégance discrète de Milan incarnée.»
6/8, via Gesù, à 20122 Milan.
EN BREF
Nina Yashar (68 ans)
Elle naît en 1957 à Téhéran (Iran).
Enfant, elle s’installe en Italie et reprend l’affaire familiale de tapis.
Elle fonde en 1979 la Nilufar Gallery dans la Via Bigli à Milan, d’abord dédiée aux tapis anciens. Un voyage à Stockholm suscite une nouvelle ambition: transformer la galerie en un lieu consacré au design expérimental et à l’art.
La galerie déménage Via della Spiga, en plein centre de Milan, à la fin des années 1990.
Le Nilufar Depot ouvre ses portes en 2015 en périphérie milanaise. L’accent est mis sur la découverte et la création, avec une grande place accordée aux jeunes artistes et designers contemporains. Les Belges Maarten De Ceulaer, Linde Freya Tangelder (Destroyers/Builders) et Bram Vanderbeke y ont déjà exposé.
Elle a deux filles: Nilu, qui a rejoint l’entreprise, et Lavinia, médecin de formation, qui a choisi une carrière médicale.
nilufar.com