Kaspar Hamacher, designer et artiste: « Notre société du gaspillage et de production de masse n’a rien de logique »
Fils de garde forestier et originaire des Cantons de l’Est, cet artiste et designer de 39 ans travaille le bois massif depuis 2008. Ses meubles et objets artisanaux seront mis à l’honneur cet été au Centre d’innovation et de design (CID), sur le site du Grand-Hornu, dans le cadre de l’exposition Terre Mère.
Le soir, je veux être physiquement épuisé. Sinon, il me reste trop d’énergie et mon cerveau en ébullition ne me laisse pas dormir. Chaque matin, je me lève pour travailler le plus possible, jusqu’à épuisement des batteries. C’était déjà le cas quand j’étais petit. Contrairement à mes frères, j’aimais aider à la maison, en coupant du bois et en nettoyant les écuries. J’étais souvent exclu de la classe pour surplus d’énergie. Je devais sortir et faire quelques tours de piste. Je l’admets, j’ai parfois donné du fil à retordre aux enseignants.
Aujourd’hui, les enfants ne peuvent plus sortir des sentiers battus. Ils sont catalogués, classés comme « penseurs » ou « faiseurs ». Les jeunes n’ont pas l’espace nécessaire pour trouver leur propre voie et leur bonheur en pâtit. J’ai trouvé la mienne à 24 ans. Aujourd’hui, plus personne n’exerce le même métier toute sa vie, et pourtant, l’enseignement reste bloqué sur ce modèle désuet. Tout le monde doit rentrer dans le même moule. La diversité des professions a disparu.
Tu peux toujours faire marche arrière si tu échoues. N’hésite jamais. Dépasse les limites. C’est ce que mon père et mon maître de stage, Casimir, n’ont eu de cesse de me répéter. Lorsque je cherchais un moyen d’évider des bûches, sans machine, j’ai découvert une vieille méthode consistant à mettre des charbons ardents dans les bûches, puis à les racler. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’utiliser cette technique de brûlage pour les tabourets. Casimir a été impressionné et m’a encouragé à continuer, même si l’idée semblait un peu folle. Bien sûr, les morceaux de bois brûlé s’effritent parfois. Ces cendres ne plaisent pas à l’utilisateur? Un petit coup d’aspirateur et le tour est joué.
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Les considérations pratiques ne doivent pas prendre le pas sur les choix artistiques. Heureusement, j’arrive de plus en plus à faire comprendre aux gens qu’une fissure dans le bois, par exemple, peut être très belle et spéciale. J’aime travailler le bois massif, car je veux pouvoir voir l’arbre dans le meuble. Le bois est mon matériau préféré, car je peux déjà apercevoir le résultat après une seule journée de boulot. Pour mon projet final, j’ai essayé de travailler la pierre dans le style du sculpteur Constantin Brâncusi, mais ça n’avançait pas assez vite à mon goût.
Ce qui est beau avec l’amitié, c’est qu’on grandit ensemble. Lorsque j’étudiais à l’Académie des beaux-arts de Maastricht, j’ai intégré un groupe d’amis. Un chouette ensemble de photographes, de dessinateurs et de designers. Le conservateur Jan Boelen nous a encouragés à présenter nos créations au public durant notre formation, car le regard de l’autre stimule le développement artistique. Nous avons donc organisé des expositions entre amis. Nous n’avions pas peur. Une oeuvre n’était pas encore parfaite? Pas de problème. L’objectif était de suivre le flux et de ne pas laisser s’échapper l’énergie créative.
L’excès nuit en tout. Je ne suis pas le premier à le dire. Quand va-t-on enfin le comprendre? Notre société du gaspillage et de la production de masse n’a rien de logique. L’homme va de pair avec la nature, et pourtant la société essaie de nous en détacher. Durant mes études, le recyclage et le concept du « berceau au berceau » étaient des mots magiques. De belles conneries, car la production ne change pas. C’est la même chose aujourd’hui avec les voitures électriques. Elles ne sont en rien une solution, puisqu’elles nécessitent la construction d’énormes usines. La quête de la croissance et du luxe n’a pas de fin, mais elle peut se faire différemment et à plus petite échelle.
Je n’ai jamais compris pourquoi les gens quittent la campagne pour travailler et vivre dans une ville. Où est l’amélioration? Lorsque je vivais à Bruxelles, je devais parfois faire la queue pendant des heures pour acheter des chaussures. J’ai besoin de beaucoup d’espace, et de préférence de peu de monde autour de moi. Si je reçois des visiteurs dans mon atelier, je suis immédiatement tendu. Je ne veux voir personne le vendredi. Je veux juste prendre le temps de réfléchir et de bricoler. J’en ai vraiment besoin.
Terre mère, CID – Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, à 7301 Hornu. cid-grand-hornu.be et kasparhamacher.be Du 27 juin au 26 septembre.
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