La chasse aux copies de meubles design, un combat mondial pour l’authenticité

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© yellows.dk

Partout dans le monde, des milliers de sites et de plateformes écoulant des copies de meubles design sont fermés chaque mois, et la cadence s’accélère. Quelle stratégie les marques adoptent-elles pour endiguer ce fléau?

Vous connaissez la scène: surpris par le prix d’une pièce iconique repérée dans notre magazine, vous consultez votre moteur de recherche. Une seconde plus tard, les résultats sponsorisés n’affichent pas seulement l’original, mais aussi toute une série d’alternatives qui lui ressemblent trait pour trait. À une fraction du prix.

Certaines boutiques en ligne font l’effort d’affubler leur exemplaire d’un autre nom, d’autres se facilitent la tâche en ajoutant «style» à l’appellation originale. Une autre catégorie ne prend même pas de gants, elle parle de «répliques» et y ajoute au passage quelques fautes d’orthographe. En cliquant sur la page de contact, on atterrit en Asie, en Amérique, mais aussi en Europe.

Pays du design par excellence, le Danemark est exaspéré par ces pratiques. Des marques comme Fritz Hansen, Louis Poulsen, PP Møbler, 101 Copenhagen et Carl Hansen & Søn ont, ces dernières années, rejoint la Danish Rights Alliance, une organisation de défense créée en 2011 pour soutenir le secteur créatif danois. Elle est active dans le cinéma, la musique, la littérature, la photographie, le design et les médias.

«Vous montrez votre véritable admiration en respectant l’original, et non en le copiant.» Roberto Minotti
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Lampe Snoopy Verde de Flos © DR

Fin 2024, l’organisation a mené une étude sur la consommation et l’attitude des Danois à l’égard du design contrefait. Résultat? Près d’un Danois sur dix a acheté au moins une contrefaçon d’un classique du design au cours des cinq dernières années. Et presque un sur cinq envisage d’acheter une copie dans les deux ans à venir.
Et ce n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg.

Au Danemark, le design est profondément ancré dans la culture. La devise «on achète l’original, ou on s’en passe» y est inculquée dès le plus jeune âge, et l’achat de répliques est considéré comme un «no go». Les jeunes Belges, entre 15 et 24 ans, se montrent, eux, moins scrupuleux.

Selon les chiffres de l’EUIPO (Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle), 43% d’entre eux ont consciemment acheté au moins un produit contrefait en 2021. Près de 8% de la population belge admet avoir acheté involontairement une imitation, induite en erreur par des pratiques trompeuses.

Radar à contrefaçon

«Nous voulons vraiment voir ces pourcentages baisser», confient d’un ton unanime Michael Schönwiese et Henriette Wett Jessen, responsables de la communication et des relations publiques internationales chez Carl Hansen & Søn. «Selon les données de la Danish Rights Alliance, près de 2.500 sites et plateformes, proposant des copies de nos emblématiques CH24 Wishbone Chair et CH07 Shell Chair, sont fermés chaque mois, soit deux fois plus qu’il y a deux ans.»

Et le problème ne se limite pas aux boutiques en ligne. «Dans le secteur de la location de mobilier événementiel, les grands classiques du design sont souvent présents, mais il s’agit presque toujours de copies. On n’imagine pas le nombre de fêtes de célébrités assises sur de fausses Wishbone Chairs. Des Kardashian à Justin Bieber. J’ai récemment écrit à l’équipe de Jo Malone, lors d’un événement presse à Londres car les invités avaient pris place sur de fausses Wishbone Chairs.

Cassina corbusier
Cassina Corbusier

Bien sûr, ils n’en avaient pas conscience. Or, pour une marque de prestige, il va de soi qu’organiser un événement avec du mobilier contrefait ne sert en rien ses intérêts. Désormais, ils sont au moins conscients du risque qu’ils prennent lorsqu’ils louent du mobilier.» Michael Schönwiese pourrait faire de ces avertissements un emploi à plein temps. Il repère des faux partout, des restaurants aux boutiques.

La différence tient souvent aux détails: la courbure typique du dossier en Y manquante, des essences de bois inexactes, des dossiers qui ne sont pas taillés d’une seule pièce ou un cannage au rendu différent. «Mais je l’avoue, il faut vraiment connaître l’original pour voir la différence.»

Les faussaires, par ailleurs, se perfectionnent sans cesse. «Quand nous ouvrons notre showroom pendant les 3 Days of Design (nom de la semaine du design annuelle de Copenhague, ndlr), nous avons toujours des visiteurs au comportement suspect. Ils ont une certaine manière d’examiner les meubles, de les retourner, de photographier et filmer chaque petite pièce.

Sont-ils simplement très intéressés ou sont-ils en train de voler, ouvertement? Qui peut le dire? Ce que nous savons, en revanche, c’est qu’il existe en Chine des usines entières qui ne copient que des Wishbones. Elles sont très difficiles à tracer.»

Des pertes financières

Les produits de réplique ne menacent pas que le design danois. Des maisons françaises comme Roche Bobois et Ligne Roset, et des acteurs italiens comme Cassina, Flexform et Minotti connaissent le même problème. Tout le monde ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet, parler du monde parallèle des répliques, c’est lui faire, indirectement, de la publicité. Certains préfèrent se concentrer sur un récit positif et mettre en avant les ateliers où les meubles sont fabriqués, le savoir-faire, les matériaux et la vision qui sous-tend chaque création. En coulisses, des démarches juridiques sont évidemment entreprises.

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Le siège Libra de l’architecte Giampiero Tagliaferri pour Minotti. © sdp

Chez Carl Hansen & Søn, tout commence par une lettre de l’équipe juridique. «Nous avons un taux de réussite de 98 à 99% avec ce type de courrier. Personne n’ose laisser la situation s’envenimer, raconte Michael Schönwiese. Pas même de grandes plateformes en ligne comme Alibaba. Elles tiennent à pouvoir affirmer que l’on peut acheter en toute sécurité chez elles aussi. Mais on sait très bien que le vendeur bloqué sur une plateforme réapparaîtra probablement le lendemain sous un autre nom.»

Ce sont principalement les entreprises de taille moyenne ou grande, appuyées par un solide bataillon d’avocats, qui sont en mesure d’emprunter cette voie. Mais selon la Danish Rights Alliance, seuls trois designers sur dix confrontés à de la contrefaçon entreprennent des actions en justice.

La raison: la procédure est lourde, coûteuse et aléatoire. En outre, les dommages et intérêts couvrent rarement le préjudice réel. Dans 38% des procès au Danemark, la compensation accordée est même inférieure au profit de l’auteur de l’infraction.

Peut-on, ne fût-ce qu’approximativement, chiffrer l’impact financier des répliques sur le secteur? Les fabricants interrogés peinent à répondre. «Ce serait de la spéculation, reconnaît Schönwiese. Nous ne savons pas exactement combien de répliques sont vendues dans le monde ni à quels prix. Il n’est donc pas évident de déterminer combien nous perdons du fait de leur existence.»

La Danish Rights Alliance tente néanmoins un calcul, la perte moyenne par création s’échelonnerait de 51.000 à 482.000 euros. La perte sociétale est estimée entre 254 et 322 millions d’euros sur six ans, dont jusqu’à 64 millions d’euros de recettes fiscales manquées pour l’État danois à lui seul. En Europe, l’ensemble des produits contrefaits entraîne chaque année une perte de 121 milliards d’euros.

Mauvaise publicité

«Quand on vous imite, il faut y voir un compliment», dit-on parfois. Personne, après tout, ne se donne la peine de copier la médiocrité. Mais les marques se sentent-elles flattées par toutes ces contrefaçons? Pour Roberto Minotti, co-CEO de la maison éponyme, ce n’est pas le cas. «C’est un raccourci vide de sens. La véritable admiration se manifeste en respectant l’original, pas en le copiant.» Et ceux qui pensent que les répliques servent de publicité indirecte se trompent.

«Elles sont toujours nuisibles, car elles manquent toujours d’authenticité et de qualité. Elles ne peuvent donc jamais être considérées comme une bonne publicité.» Michael Schönwiese, de chez Carl Hansen & Søn, renchérit: «Surtout lorsqu’il s’agit de produits vus dans un restaurant, un bar ou une boutique, cela est néfaste. Si quelqu’un pense reconnaître l’une de nos chaises mais fait ensuite l’expérience de la mauvaise qualité d’une copie, cela rejaillit négativement sur notre marque.»

Ailleurs, on avance que les répliques démocratiseraient le design. Les marques qui combattent l’industrie de la copie chercheraient surtout à protéger leurs marges. C’est du moins le raisonnement de la boutique britannique Designer Editions.

«Des meubles conçus il y a plus de soixante ans devraient être accessibles à tous. Aujourd’hui, des décennies après la mort des créateurs, les prix sont si élevés que seul un public restreint peut se les offrir. Nous proposons donc ces pièces de design à un prix abordable, pour tous», peut-on lire sur leur site.

«Les entreprises d’événementiel louent souvent des classiques du design, mais il s’agit toujours de répliques.»Michael Schönwiese, Carl Hansen & Søn

Pour Roberto Minotti, c’est précisément l’inverse. «Protéger nos créations, c’est préserver la culture du design, l’histoire d’une marque et l’intégrité d’un travail artisanal. Le profit est une conséquence, pas un objectif.»

Luca Fuso, CEO de Haworth Lifestyle (qui regroupe Cassina, Zanotta, Cappellini et Karakter), souligne lui aussi la valeur des originaux. «Ils racontent l’histoire d’un génie créatif et d’un savoir-faire irréprochable. Investir dans une telle création, c’est choisir la qualité, la durabilité et une valeur qui s’inscrit dans le temps. De plus, nous avons délivré pour la première fois de nombreux chefs-d’œuvre de designers modernes. Sans nous, ils n’auraient jamais atteint un large public.»

L’avocat Xander van Hoof (AContrario), spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, rappelle le droit en vigueur. «Dans l’UE, les créations sont protégées par le droit d’auteur lorsqu’elles présentent une originalité suffisante, et par le droit des dessins et modèles pour leurs caractéristiques apparentes. Le droit d’auteur s’applique en outre jusqu’à septante ans après la mort de l’auteur. En l’occurrence, la reproduction des chaises de Hans J. Wegner restera donc certainement punissable jusqu’en 2077.»

De retour chez Carl Hansen & Søn, Henriette Wett Jessen résume avec acuité. «Nos produits ne sont pas bon marché, mais ils ne sont pas pour autant antidémocratiques. Voler ne pourra jamais être mis sur le même plan que démocratiser. Je ne crois d’ailleurs pas que nos ventes exploseraient s’il n’existait plus de copies. Les gens achèteraient simplement autre chose.

Qui veut un original mais trouve le prix trop élevé a tout intérêt à choisir une pièce vintage plutôt qu’une copie. Elles sont tout aussi bien faites et coûtent généralement un peu moins cher que du neuf. Et, si nécessaire, on peut les faire restaurer chez nous. Ou, encore plus durable, chez un canneur local en Belgique. Nous n’en retirons rien. Mais l’essentiel, pour nous, est ceci: nous opposer au vol d’idées.»

Vintage ou contrefaçon?

Comment distinguer une trouvaille vintage d’une contrefaçon? Dans un monde saturé de copies, distinguer le vrai du faux n’est pas simple. Surtout quand on aime écumer les plateformes de seconde main. Nous avons donc demandé conseil aux experts du design du site d’enchères Catawiki.

Tout est dans les détails
Première étape: une inspection minutieuse. En cas de doute, vérifier: matériaux, dimensions, savoir-faire et état général. Ce qui rend les pièces de designers iconiques si particulières, ce sont précisément les matériaux qui les caractérisent: bois massif, types spécifiques de cuir, verre soufflé à la bouche, techniques de tissage ou de nouage. Le veinage du bois correspond-il à ce qui est attendu? Le palissandre n’est pas un simple placage de noyer bon marché. Le type de tissu ou de cuir est-il conforme aux usages de l’époque de fabrication? Et pour les luminaires, les interrupteurs et le câblage sont-ils d’origine ou ont-ils été remplacés à bas coût?

Tout mesurer La moindre différence de dimension, de hauteur ou de profondeur peut révéler une contrefaçon. Les faussaires n’hésitent pas à modifier subtilement des proportions pour réduire les coûts ou parce qu’ils n’ont pas eu accès à un original. Pour retrouver les dimensions exactes, consulter les catalogues des marques.

Attention au savoir-faire Les pièces authentiques sont assemblées à la main ou réalisées avec des procédés industriels spécifiques, difficiles à reproduire. Une observation méticuleuse des assemblages est nécessaire, s’agit-il d’ingénieuses et solides queues d’aronde, ou de panneaux de particules collés? Les coutures et la finition de la structure sont-elles robustes et qualitatives? Prudence également avec les pièces retapissées, qui peuvent masquer des dommages ou des défauts propres aux copies. On rencontre souvent, sur les répliques, des assemblages absents des produits vintage authentiques.

Vérifier l’état L’usure correspond-elle à l’âge annoncé? La patine se forme au fil du temps à la surface des métaux comme le cuivre, le laiton et le bronze, mais aussi sur le bois, le cuir et les textiles. Elle résulte de l’exposition à l’air, à l’humidité, à la transpiration ou à un usage intensif. C’est un processus naturel. Si la patine paraît artificielle, il faut tirer la sonnette d’alarme.

Poser des questions Plus on réunit d’informations, plus on a de chances de reconnaître une contrefaçon. Aussi, il faut demander systématiquement des reçus d’origine, des certificats ou des photos de numéros de série, des gros plans d’étiquettes de marque, de labels ou de gravures. Mais aussi s’enquérir de la provenance: d’où vient la pièce, le vendeur peut-il expliquer comment il l’a obtenue et pourquoi il s’en défait?

Faire appel à un expert Les check-lists aident beaucoup, mais rien ne vaut l’examen approfondi d’un spécialiste. Mieux vaut s’adresser à un connaisseur de confiance, à une plateforme reconnue et/ou réputée qui, à l’aide d’outils technologiques, détermine si une pièce peut être proposée aux enchères. Et rester vigilant face aux vendeurs particuliers ou non vérifiés.

5 raisons de laisser le faux de côté

1. Acheter de la contrefaçon, c’est du vol.
Point. Par ailleurs, importer, vendre ou même offrir de la contrefaçon dans l’UE est illégal. Les sanctions vont de l’octroi de dommages et intérêts, de la restitution des profits indûment perçus et jusqu’à cinq ans de prison et/ou 100.000 euros d’amende en cas d’infraction malveillante. Souvent, les profits de la contrefaçon alimentent en outre des organisations criminelles actives aussi dans le trafic de drogue et la traite d’êtres humains.

2. Ça nuit à la planète.
Derrière un original, on trouve souvent une vision durable: bois certifié FSC ou issu de forêts gérées durablement, réduction maximale des déchets, priorité à la qualité, sécurité du produit, réparabilité et longévité sur plusieurs générations. Ces informations se vérifient sur les sites des marques concernées. Les faussaires, eux, n’ont pas développé une telle approche et ne sont pas soumis aux mêmes contrôles. Leurs produits peuvent contenir des substances chimiques et des matériaux nocifs pour l’être humain, l’animal et l’environnement.

3. Mieux vaut éviter les situations dangereuses à la maison.
Les designs originaux sont longuement testés: ergonomie, robustesse, usage intensif, en interne comme par des organismes externes. Les copies, elles, sont souvent fabriquées avec des matériaux bon marché, sans considération pour la sécurité de l’utilisateur. Passer à travers une chaise, constater l’affaissement immédiat des coussins d’un canapé, ou encore s’exposer à un risque d’électrocution avec une lampe: personne n’aime ce genre de mésaventure.

4. Personne ne doit être exploité.
Dans la production contrefaite, il n’existe généralement pas de normes en matière de conditions de travail. Cela peut mener à l’exploitation, y compris de mineurs.

5. Préserver des emplois et des savoir-faire locaux.
Les produits contrefaits coûtent de l’argent aux entreprises et donc des emplois et des postes de formation. Tout cela se retrouve sous pression à cause d’une concurrence déloyale. On estime que 700.000 emplois légitimes en Europe sont menacés par l’industrie de la contrefaçon.

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