L’ouverture du Corinthia signe-t-elle le retour en force des palaces ?

corinthia Brussels
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L’ouverture du Corinthia Brussels, mieux connu sous le nom d’Astoria dans le passé, laisse-t-elle présager la renaissance de ces grands établissements de luxe à la Wes Anderson, en Belgique aussi?

Le film The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson a maintenant 10 ans. Il a sans aucun doute contribué à la représentation du grand hôtel dans l’imaginaire collectif: des grooms en uniforme rouge, une armée de femmes de chambre, d’illustres clients aux desiderata excentriques et un concierge arborant une moustache finement taillée et un costume sur mesure. Ce dernier est toujours aux petits soins et affiche une patience infinie. Le tout dans un intérieur majestueux où des lustres en cristal ornent des salles de bal grandioses, dissimulées derrière une splendide façade Belle Epoque.

De tels hôtels n’existent pas seulement dans l’univers fantasmagorique du réalisateur américain. Leur avènement, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, était surtout lié au Grand Tour, explique le professeur Jan van der Borg, directeur du master en tourisme à la KULeuven. Il s’agissait d’un voyage éducatif de plusieurs mois, voire années, que de jeunes aristocrates accomplissaient dans les villes culturelles européennes.

Ce voyage très prisé contribuait non seulement à l’éducation culturelle des jeunes élites, mais il leur conférait aussi un statut social. «C’était la première forme de tourisme. Ont ensuite fait leur apparition les vacances de plus courte durée, que seuls quelques rares élus pouvaient se permettre. Les premiers grands hôtels ont vu le jour dans des villes balnéaires, de Nice à Scheveningen, et plus tard, dans les villes patrimoniales, je pense au Krasnapolsky à Amsterdam et au Bauer à Venise. A l’époque, les hôtels ultraluxueux où les clients nantis pouvaient se faire chouchouter étaient légion», précise le professeur. 

Un hôtel mythique

C’était également le cas à Bruxelles. Le plus ancien, l’Hôtel Métropole, situé place De Brouckère, a ouvert ses portes en 1895. L’architecte, Alban Chambon, un Français, a combiné Art nouveau et Art déco dans un immeuble fastueux qui est rapidement devenu l’hôtel de référence de la capitale. D’innombrables clients renommés, dont le président américain Dwight Eisenhower, Albert Einstein et Marie Curie y ont logé. Winston Churchill, Salvator Dali, Andy Warhol, James Joyce, Bob Dylan et Serge Gainsbourg ont opté quant à eux pour son concurrent, le Grand Hôtel Astoria, inauguré en 1910, qui vient de renaître en tant que Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels. A l’époque, sa construction avait été rendue possible sous l’impulsion et grâce au soutien financier du roi Léopold II qui voulait impressionner royalement des invités de marque de l’Expo internationale. 

Les grands hôtels de ce genre ont longuement connu des temps fastes, affirme notre expert louvaniste, même lors des deux Guerres mondiales. «C’est finalement l’avènement du tourisme de masse dans les années 60 qui a eu raison de leur succès», poursuit-il. Les congés payés ont permis à des gens qui ne faisaient pas partie de l’élite de s’offrir des vacances. Résultat: des chaînes d’hôtels fonctionnels et des établissements bon marché ont poussé comme des champignons dans le monde entier.

En conséquence, certains grands hôtels ont connu des périodes (plus) difficiles, d’autres sont tombés en désuétude et ont fermé leurs portes, puis ont été réaffectés en banques ou en bureaux. Certains ont même été détruits. En Belgique, la pandémie a donné le coup de grâce à l’Hôtel Métropole, en 2020, après 125 ans d’existence. Le Grand Hôtel Astoria, lui, avait déjà mis la clé sous la porte en 2006. Une autre perle, le Grand Hôtel Regnier à Waulsort, a été démoli en 2022, après des années de décrépitude. Quant à l’Ostendais Thermae Palace, la grande dame du secteur hôtelier de la côte belge, il tient le coup.

L’image d’une ville

A Londres qui, comme Paris, est connue pour ses grands hôtels, ce segment connaît une véritable renaissance depuis la pandémie. Après des années de rénovations, des immeubles protégés offrent de nouveau un toit à des touristes privilégiés. Selon The Guardian, il s’agit surtout d’Américains aisés et de nouveaux riches en provenance de Chine et du Moyen-Orient. Depuis l’an dernier, ils peuvent, outre les classiques The Savoy, The Ritz et le petit préféré des familles royales Claridge’s, séjourner au Peninsula, situé à proximité de Hyde Park, et au Raffles London sur Whitehall. Au cours des prochains mois, la liste s’enrichira d’un Waldorf Astoria Admiralty Arch, d’un Six Senses, d’un Chancery Rosewood et d’un troisième Mandarin Oriental. 

L’ouverture du Corinthia Brussels, anciennement Grand Hôtel Astoria, laisse-t-elle présager la renaissance des palaces en Belgique aussi? Après l’ouverture récente du Botanic Sanctuary à Anvers et de La Réserve à Knokke et celle, prévue d’ici 2025, de l’Hôtel Métropole, la tendance semble être amorcée.

Simon Casson, qui a travaillé pas moins de trente-cinq ans pour la luxueuse chaîne d’hôtels Four Seasons et est à présent CEO de Corinthia, qui vient d’ouvrir un établissement à New York et en inaugurera bientôt un à Bucarest et à Rome, voit les choses comme suit: «La Belgique, et surtout Bruxelles, a souvent été négligée par un public nanti prêt à dépenser des milliers d’euros pour passer une nuit à Paris, Amsterdam ou Londres. Pour eux, il est désormais temps de découvrir cette ville belge comme une pierre précieuse brute. »

Plusieurs raisons continuent de renforcer ce statut de joyau méconnu de Bruxelles selon notre expert. « En tant que capitale de l’Europe, elle voit déferler, d’une part, les gens les plus influents du monde, mais d’autre part, la ville a aussi beaucoup à offrir: histoire, architecture, un terreau artistique et design florissant, sans oublier une excellente scène culinaire. Il existe bien entendu déjà des hôtels hors pair à Bruxelles, mais en comparaison avec le luxe supérieur auquel ces clients sont habitués dans d’autres villes, l’offre bruxelloise était encore limitée.» Pour ce public, la Belgique restait alors un pays de passage. Le professeur van der Borg adhère à cette idée: «C’est une part de marché qui n’était pas encore exploitée jusqu’à présent. Je pense qu’il y a encore de la place pour le segment grand hôtel dans notre pays.»

Remettre Bruxelles sur la carte

Aujourd’hui, le Corinthia ne ménage ni ses dépenses ni ses efforts pour mettre notre capitale, et par extension la Belgique, sur le marché en tant que nouvelle destination de luxe à découvrir, déclare Sophie Clarke, marketing director de cet hôtel. Pour donner encore plus de force à l’inauguration de son nouvel établissement à Bruxelles, elle a organisé des événements à Las Vegas, New York, Dubai et Paris, mais aussi des dîners à quatre mains avec David Martin et Christophe Hardiquest, les chefs étoilés qui exploitent chacun un restaurant au sein de l’hôtel. Il y avait des créations florales de Daniel Ost, des bougies Baobab, du chocolat Pierre Marcolini, des articles de la maroquinerie Delvaux. Objectif: créer une vitrine de l’excellence belge. «Ce public ignore que la plus ancienne maroquinerie de luxe en Europe n’est pas Hermès, mais Delvaux. Il y a tant à découvrir», dit-elle.

D’ailleurs, tout cela n’est pas seulement positif pour le segment de l’ultraluxe, reconnaît Matthias De Caluwe, CEO de Horeca Vlaanderen. «De tels hôtels peuvent s’avérer une valeur ajoutée pour une ville. Ainsi, nous sommes régulièrement contactés par des organisations internationales qui cherchent un lieu dans le cadre d’un événement. Pour certaines, la présence de la catégorie «superior plus» est un atout majeur. Elles veulent offrir à leurs clients de vastes possibilités budgétaires. Si l’hôtel ne possède pas de catégorie supérieure, elles cherchent une autre ville qui offre un tel éventail.»

Recherche d’authenticité

On peut toutefois s’interroger sur cette démesure à l’heure où le monde ploie sous le poids de l’inflation vertigineuse et des mesures d’épargne. Mais notre spécialiste de la KUL a une explication: «On remarque une polarisation croissante dans la demande touristique. D’une part, celle en produits bon marché est forte. Pensez aux compagnies aériennes low cost, au succès du coachsurfing ou des vacances en van. En revanche, une demande tout aussi élevée en trips ultraluxueux se dessine. Le pic concernant les grands hôtels avec tout leur faste en fait partie, mais aussi la popularité croissante d’avions privés, de yachts ou de voiliers.» 

Mais en réalité, toujours selon le professeur, ces deux extrêmes recherchent en fin de compte la même chose: l’authenticité et l’unicité. «Ils offrent cela chacun à leur manière. Les hôtels, et par extension les établissements fades, anonymes et banals du secteur horeca vont dès lors perdre en importance.»

Comment un grand hôtel tel que le Corinthia Brussels se distingue-t-il sur ces plans des autres hôtels lifestyle ou de luxe de la capitale? Pour Simon Casson, «ce qui fait d’un bon hôtel un grand hôtel, outre son site qui a lui aussi toute son importance, ce sont les gens qui y travaillent. La manière dont le personnel anticipe un souhait et met tout en œuvre pour créer un moment mémorable et offrir des services, et ce, de manière attentionnée, chaleureuse et humaine.»

On parle d’une certaine intuition, d’une attitude. Avoir le talent de voir des occasions de surprendre les gens de manière très personnelle. Recoudre un bouton décousu sur une veste, proposer une étole à une cliente que l’on voit frissonner. «Le défi pour un hôtel comme le nôtre est de créer un environnement dans lequel le personnel peut et veut offrir ce petit plus avec enthousiasme», résume notre interlocuteur.

L’hôtel en question compte 126 chambres, dont les prix varient entre 750 et 20.000 euros par nuit. 240 membres du personnel sont à la disposition de leurs clients, jour et nuit. Vu le coût de la main-d’œuvre que cela implique, une telle proportion fait partie des exceptions en Belgique. 

Ouvert à tous

Il y a cent ans, l’accès aux grands hôtels était réservé à l’élite. En Angleterre, on les appelait «monkey houses» dans le langage populaire, car le commun des mortels, qui était maintenu à distance, avait la possibilité d’admirer ou d’insulter par les fenêtres, comme au zoo, les aristocrates, divas et stars de cinéma qui dégustaient leur afternoon tea.

Actuellement, il n’est presque plus question de ségrégation de classes et de mentalité guidée dans les grands hôtels. Il est désormais inutile de redouter d’être regardé de haut ou mis dehors dès qu’on pénètre dans le lobby d’un tel établissement sans avoir payé de chambre ou si on ne porte pas une tenue hors de prix. Du moins pas dans cet Astoria 2.0.

Pourquoi ce revirement? D’après Jan van der Borg, «le profil socio-économique qui a longuement été utilisé pour prédire quels produits sont consommés sur la base des revenus est dépassé. Il s’est complexifié. Les super riches peuvent tout aussi bien louer un van ou opter pour des vacances plus sobres, dans la nature. Mais il se peut que les gens qui ont moins de moyens économisent ou contractent un emprunt pour pouvoir séjourner dans un tel endroit. De plus, les fortunés d’aujourd’hui sont des rappeurs ou des footballeurs, des influenceurs ou des cryptomillionnaires. Et pas des nobles. Il y a tant de types de voyageurs de luxe différents, et ils n’ont pour ainsi dire pas besoin de manger tous avec une fourchette et un couteau.»

Simon Casson qualifie déjà ce glissement formel de positif: «Mahatma Gandhi a dit: un invité n’interrompt pas notre travail. Il est le but de celui-ci. Ce n’est pas nous qui lui rendons service en le servant, c’est lui qui nous rend service en nous donnant l’opportunité de le servir. En résumé, je veux qu’un jeune homme aux cheveux longs et tatoué se sente autant le bienvenu dans nos hôtels qu’un homme en costume-cravate ou quelqu’un qui ressemble à Mark Zuckerberg. Quels que soient son salaire et sa fonction.»

De la même manière qu’on ne peut pas se permettre une tenue complète chez Chanel, mais bien un rouge à lèvres, au Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels il est d’ailleurs possible, sans réserver de chambre, de profiter du même service premium en sirotant un cocktail au bar de Hannah Van Ongevalle, en passant un après-midi dans le spa de 1.200 m2, en s’inscrivant à un atelier ou en venant faire du shopping dans le concept store qui propose exclusivement des labels belges. 

Entre-temps, la chaîne de luxe se bat pour obtenir le label français de palace prestigieux pour son établissement bruxellois. Il est réservé aux hôtels «superior plus» qui proposent des services exclusifs à leurs clients. Pour l’heure, seuls 31 hôtels font partie de cette catégorie. «Nous nous faisons le plaisir d’endosser le rôle de pionniers pour ouvrir la voie à une nouvelle ère du luxe à Bruxelles», conclut Simon Casson.

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