Designer

Lucile Soufflet, designeuse: « Les espaces publics sont les derniers lieux de rencontres sans monétisation »

© Rebecca Fertinel
Isabelle Willot

Diplômée de La Cambre, Lucile Soufflet (50 ans) fait aujourd’hui autorité en matière de mobilier urbain. Mais elle s’épanouit aussi dans des créations plus intimes qui invitent le beau dans le quotidien. L’exposition Common Grounds consacrée à son travail se tient au CID Grand-Hornu jusqu’au 24 août.

Le goût de faire

L’idée de vivre en autonomie m’a toujours fascinée. Ma mère a tout le temps beaucoup bricolé, elle était très autonome et créative. Elle m’a très vite offert une caisse à outils. Je cousais aussi mes vêtements. Elle m’a transmis ce goût de faire. De fabriquer. Et de comprendre comment cela se passe. Ça ne m’a jamais quittée. A Bruxelles, j’ai même désormais un petit potager.

Priorité au beau


La beauté ne doit pas être un luxe. Mes parents avaient demandé des couverts Mono A de Peter Raacke plutôt que de l’argenterie lorsqu’ils se sont mariés. Nous mangions avec tous les jours. Il y avait déjà cette idée de donner la priorité à quelque chose de beau, de simple et de fonctionnel. De choisir avec attention ce dont on s’entoure. Vivre au quotidien avec de belles choses, c’est une manière de prendre soin de soi et des autres.

I love London


Etudier à Londres m’a appris à comprendre le fonctionnement d’une ville. C’est là, pendant que je faisais un échange Erasmus, que m’est venue l’envie d’intervenir sur les espaces. De voir comment on pouvait y reprendre sa respiration. Et la maîtrise du temps qui passe souvent trop vite. J’aimais la dimension sociale que cela impliquait. Le côté sculptural aussi – adolescente, j’étais fan de Camille Claudel – des pièces que je pourrais créer.

Faire des compromis

Etre designer, c’est mettre son univers artistique au service de l’humain. La question de l’altérité est omniprésente. On n’arrive à rien si l’on n’est pas capable de faire des compromis. A mon échelle, il faut penser aux personnes qui vont s’approprier mes pièces. Rester constamment dans l’échange avec les artisans qui vont concrétiser mes idées. C’est l’une des grandes joies de ce métier mais aussi une bataille constante. Il faut chercher des solutions pour rester dans le budget. Relever des défis techniques pour que l’on ne devine pas le travail derrière un objet qui ne dit pas tout à fait ce qu’il est. Pour qu’on puisse le faire sien.

Occuper l’espace


Les espaces publics sont les derniers lieux de rencontres sans monétisation. Je suis la première à adorer prendre un café ou manger en terrasse. Mais il faut conserver des endroits libres de toute obligation de consommation. On me demande d’ailleurs de plus en plus souvent des bancs, des tables, des abris où les enfants peuvent jouer. Où les gens peuvent manger, occuper tout simplement l’espace. Librement. Nous vivons tous enfermés dans nos petites capsules. C’est bon que l’on se réveille un peu, que l’on se regarde et que l’on prenne à nouveau conscience de l’autre.

‘S’entourer de belles choses, c’est une manière de prendre soin de soi et des autres.’

Mettre en forme


J’aime mettre en forme la matière de la manière la plus pure possible. J’ai une prédilection pour le bois brut mais aussi le métal, le verre ou la céramique. Des matériaux qui deviennent ce qu’ils sont en subissant une transformation moléculaire, en passant de l’état liquide à l’état solide. C’est magique et palpitant d’ouvrir un four. De courber un élément au chalumeau.

La justesse


Créer du mobilier urbain, c’est un travail très anonyme. Et cela me convient très bien. Je n’ai jamais voulu devenir une superstar. Seulement que mon travail soit juste, cohérent. Qu’il me permette de vivre et qu’il me remplisse. Lorsque je passe à côté de l’un de mes bancs, rien ne me fait plus plaisir que de voir des gens assis qui sourient. Ils deviennent des endroits identifiables – j’adore que des enfants que j’ai un jour croisés près d’une de mes créations l’ait surnommée la baleine –, des objectifs de promenade où la vie se passe.

Une récréation


Je trouve assez jouissif de concevoir des pièces monumentales. Mais aussi de travailler à petite échelle sur du micro-intime. Dès que j’ai quitté La Cambre, je me suis lancée dans des séries d’objets en céramique dans lesquels j’insère l’une ou l’autre variable. Comme les tasses que j’ai créées pour Royal Boch dont chaque anse emprunte sa forme à une collection historique de la maison. Cela contrebalance bien le côté parfois lent et laborieux des projets publics. C’est un peu ma récréation.

lucile.be et cid-grand-hornu.be

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