Sep Verboom est notre Designer de l’Année 2020: « Apprendre à consommer intelligemment »

Chez Sep Verboom, le tapis Rope Rug pour Papilio occupe une place centrale. © AARON LAPEIRRE

Avec sa Livable Platform, ce concepteur globe-trotteur entend prendre le contrepied de l’industrie du design traditionnelle et invite la prochaine génération à affûter son sens critique.

 » Certains trouveront sûrement que mes idées ont un côté très hippie, mais quand on ne croit pas au changement, on se condamne à piétiner « , conclut Sep Verboom dans un sourire à l’issue de notre entretien. Tout en concédant que son comptable reste parfois critique, le designer belge souligne que sa vision sociale et durable a de plus en plus de succès… et pas seulement auprès des autres créateurs et des étudiants: les pouvoirs publics, hautes écoles et entreprises également saluent aujourd’hui son approche hors normes.

Le jury composé de la Biennale Interieur, du CID Grand-Hornu, du Designmuseum de Gand, du Vif Weekend et de Knack Weekend a lui aussi rendu un verdict unanime, au moment d’élire son Designer de l’année:  » En cette année aussi particulière que cruciale, Sep Verboom incarne l’importance de l’engagement social des créateurs de design. Son oeuvre reflète non seulement cette implication sociétale, mais aussi la recherche d’un monde plus beau au sens le plus large du terme. Le mariage du durable et du collectif, unis par de la récup’ de rotin.  »

Partout où il passe, Sep Verboom trouve le moyen, en collaboration avec la communauté locale, de coupler une forme d’artisanat traditionnel à une problématique sociale ou écologique pour développer une nouvelle création

Son envie de changer le monde n’était pourtant pas innée. Sa rencontre fortuite avec une envoyée politique de Cebu – l’une des villes jumelles de Courtrai, où il suit sa formation de designer de produits – lui offre la possibilité de se rendre aux Philippines. Il passe ainsi six mois dans un quartier défavorisé de la métropole pour y analyser la stratégie de gestion des déchets. Ces travaux donneront naissance à FAN, une lampe fabriquée à partir de vieux ventilateurs et d’une structure en rotin artisanale dont la production lui permet de soutenir les magasins de seconde main, de stimuler l’emploi et de renforcer la cohésion sociale du quartier.

Sep Verboom est notre Designer de l'Année 2020:
© AARON LAPEIRRE

Son projet de fin d’études est immédiatement primé et devient la première pièce d’un puzzle qui le mènera en Indonésie, au Brésil et au Pérou. Partout où il passe, Sep Verboom trouve le moyen, en collaboration avec la communauté locale, de coupler une forme d’artisanat traditionnel à une problématique sociale ou écologique pour développer une nouvelle création. Son tapis Rope Rug (en photo) remobilise ainsi des tisserands désoeuvrés pour transformer des cordages usagés, son fauteuil Aya insuffle une nouvelle jeunesse à une technique traditionnelle oubliée, la série Jiwi met en avant l’importance du bois certifié pour la population péruvienne. Il est toutefois aussi actif dans notre pays: pour sa première collection  » vol+maakt « , il met par exemple à l’honneur les tailleurs de pierre de l’entreprise de travail adapté gantoise Compaan.

La lampe de table Alix fait partie de la première collection vol+maakt, taillée dans la pierre par Compaan.
La lampe de table Alix fait partie de la première collection vol+maakt, taillée dans la pierre par Compaan.© AARON LAPEIRRE

Votre stage à Cebu a été le tournant dont rêve tout étudiant, non?

Absolument. A 21 ans, je n’avais encore jamais quitté l’Europe, encore moins réfléchi à une gestion locale. Ma Nida Cabrera – la femme politique qui m’a offert un toit, guidé dans son quartier et poussé à réfléchir à la stratégie de gestion des déchets – a été un modèle pour moi. Cette première expérience m’a mené vers d’autres communautés, qui m’ont à leur tour inspiré d’autres projets. Ces neuf dernières années ont été pour moi la meilleure des écoles. Certains de mes condisciples ont choisi de suivre une formation de master à Courtrai, j’ai fait la mienne aux quatre coins du monde.

Dès votre premier projet, vous avez clairement affiché votre volonté d’aller à l’encontre de l’industrie traditionnelle du design. Auriez-vous l’âme d’un révolutionnaire?

Plutôt d’un réaliste. Chacune de mes expériences m’a ouvert de nouvelles perspectives et fait découvrir combien notre réalité peut être différente suivant l’endroit où nous sommes nés. Ce contexte sans cesse changeant et les défis qui en découlent m’ont fait prendre conscience que nous devons utiliser autrement nos processus existants. C’est en partie à cause de notre mode de vie que les choses vont si mal ailleurs dans le monde. Quand on prend le temps de le voir, on retombe forcément les pieds sur terre.

A quel point votre propre approche de créateur est-elle différente?

La vision du créateur qui se borne à dessiner des objets, qui imagine des produits tout faits dont le seul but est d’être consommés, est complètement dépassée. Le résultat sera dans l’air du temps, bien sûr, mais aussi éphémère: d’ici au prochain Salone del Mobile, il sera déjà obsolète. On nous pousse encore trop à fonctionner de cette manière. En principe, tout le circuit du  » Collectible Design  » se veut une contestation de ce système, en proposant en lieu et place de la création commerciale et industrielle des objets artisanaux produits en petites quantités. Entre-temps, ce bel enthousiasme est en train de se muer en un mouvement réservé à un petit groupe de privilégiés et où, là encore, c’est le visuel qui prime. Comme les objets doivent être attrayants pour les galeries et les consommateurs, on retombe dans un système commercial. En tant que créateur, je ne fais ni l’un ni l’autre. Je veux prouver qu’on peut aussi générer des bénéfices autrement.

Détail du fauteuil lounge Aya que le designer a créé pour Vincent Sheppard, en collaboration avec des tisserands de rotin en Indonésie.
Détail du fauteuil lounge Aya que le designer a créé pour Vincent Sheppard, en collaboration avec des tisserands de rotin en Indonésie.© AARON LAPEIRRE

Faire rimer durabilité, préoccupations sociales et profit n’est pas une évidence…

C’est pourtant possible. Simplement, il est plus compliqué de coller une valeur économique sur ce bénéfice, puisqu’on parle ici d’un gain social plutôt que financier. Des lignes de production plus efficientes, des conditions plus respectueuses des travailleurs et de l’environnement, une diversification intelligente: ça aussi, ça rapporte. Tout commence par une attitude qui peut déboucher sur un produit… mais un produit qui conservera longtemps sa pertinence, qui apportera quelque chose sur le plan de la société, de l’éducation ou de la durabilité.

Depuis cette année, vous enseignez aussi la création durable, une nouvelle matière proposée à l’académie de Gand (KASK). La nouvelle génération s’intéresse-t-elle aux aspects sociaux et durables du design?

La motivation des jeunes à s’y investir personnellement grandit. Dans ce groupe, la volonté d’avoir un impact sur la société et sur l’environnement est pratiquement devenue la norme, ce qui trahit bien la pertinence croissante qu’aura cette thématique dans le futur. En Belgique, malheureusement, le soutien dont elle jouit reste mitigé. Nous sommes clairement en retard sur les Pays-Bas, où il existe des subsides et des prix qui permettent de faire plus rapidement la différence en tant que créateur.

C’est pour cette raison que vous lancez votre nouvelle plate-forme Livable.World?

J’y ai rassemblé les processus et les choses à faire et à ne pas faire pour tous les projets auxquels j’ai participé jusqu’ici. C’est une manière de partager ma propre vision, mais aussi une façon de travailler commune que je mets à la disposition des étudiants et même des collègues ou des entreprises qui voudraient l’implémenter. Je vais aussi organiser par ce biais des ateliers et des appels à projets pour encourager d’autres créateurs à chercher des réponses à des problématiques sociales ou écologiques. Je crois en cette collaboration. En impliquant d’autres personnes et en associant nos forces, nous irons plus loin que chacun de notre côté, sans compter que dévoiler a posteriori qui a été impliqué dans un projet lui donne plus de valeur. Ce n’est qu’ainsi que les gens prendront conscience du temps et de l’énergie que demande la fabrication d’un objet et apprendre à consommer plus intelligemment. Je veux transformer l’industrie au départ de la base.

Détail d'un masque Joias Olho, conçu lors d'une résidence au Brésil en compagnie de Linde Freya Tangelder (Destroyers/Builders) et Laura Caroen.
Détail d’un masque Joias Olho, conçu lors d’une résidence au Brésil en compagnie de Linde Freya Tangelder (Destroyers/Builders) et Laura Caroen.© AARON LAPEIRRE

WONDER, le parcours design organisé jusqu’au 15 novembre à Courtrai, sera l’occasion pour Sep Verboom de présenter ses créations et projets à travers une installation à l’Interieurhuis. Il y lancera également deux initiatives grâce auxquelles il espère rallier à lui d’autres créateurs – l’une globale, qui vise à revaloriser la nacre de Capiz issue de l’industrie de la pêche philippine, une autre locale, qui s’articule autour d’un nouvel écomatériau en collaboration avec Pro Natura et Circular Matters.

Interieurhuis, 37, Groeningestraat, à 8500 Courtrai. wonderkortrijk.be et livable.world

En bref

– Naît à Gand en 1990.

– Etudes de design industriel à la haute école Howest, puis de développement durable à la haute école Vives à Courtrai.

– Remporte dès 2012 un Ovam Eco Award pour FAN, son projet de fin d’études.

– S’investit dans divers projets de design à vocation sociale, dont des collaborations avec Papilio (Rope Hope), Vincent Sheppard (Aya) et Artesol (Caro Barro).

– En 2018, il remporte le prix Henry Van de Velde du meilleur jeune talent et le RecyclingDesignpreis du musée Marta Herford en Allemagne.

– Le « Well Distance Being » qu’il imagine en réponse à un appel des Nations Unies à trouver des solutions créatives à la pandémie, est relayé par la presse internationale. Ce costume en rotin impose d’une façon ludique le respect de la distanciation sociale. Le jeune créateur n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai en matière de « guerilla design »: lors de Collectible, début mars, il avait déjà imaginé une action de sensibilisation ludique avec la poubelle publique « Collect-it Design ». @livable_world

Sep Verboom est notre Designer de l'Année 2020:
© AARON LAPEIRRE

Fan du luminaire FAN

La suspension FAN, le tout premier projet de Sep Verboom, est le fruit de l’association entre une gestion locale de déchets à Cebu et le tissage artisanal de rotin philippin. En exclusivité pour les lecteurs du Vif Weekend, 15 pièces ébénées en une édition limitée et unique sont disponibles au prix de 340 euros, frais d’envoi inclus. Rendez-vous sur shop.livable.world avec le code FANFANFAN pour profiter de l’offre.

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