Sixième ciel: chez Kris Van Assche, à Paris, dans son appartement aux airs de musée

Dans le salon, le fauteuil et daybed sont recouverts de cuir Berluti patiné. Les tables basses sont de Ron Arad. Dessus sont posés des céramiques de Pol Chambost et des bols en argent recouverts de cuir de Berluti aussi. © JAN VERLINDE
Lut Clincke Journaliste

Le directeur artistique de Berluti réside à quelques enjambées de l’Arc de Triomphe parisien. Un appartement haussmannien qui baigne dans le siècle passé tout en hélant le meilleur de l’art contemporain.

L’ascenseur en fer forgé mène au dernier étage, le sixième, intégralement occupé par l’appartement construit autour d’une cour intérieure. Les nombreuses fenêtres et les espaces extérieurs décorés de plantes méridionales le baignent de lumière et de verdure. « J’habite à Paris depuis vingt-deux ans, et c’est mon troisième lieu de résidence, explique Kris Van Assche. Pendant longtemps, j’ai cherché la perle rare, avec une grande terrasse. Ce quartier n’était pas le premier sur ma liste, car je le trouvais trop bourgeois. Mais son style m’a convaincu. Tout comme le soleil présent toute la journée. Il s’agit d’un appartement parisien typique de la fin du XIXe siècle. J’ai conservé les espaces d’origine. Après tout, on ne touche pas à l’intérieur d’un « haussmannien ». Les moulures et le parquet sont magnifiques. Nous avons juste retiré une double porte entre deux pièces pour plus de perspective. La cuisine, la salle de bains et les conduites importantes ont aussi été refaites. »

L'agencement de l'appartement initial a été conservé, tout comme les parquets et moulures.
L’agencement de l’appartement initial a été conservé, tout comme les parquets et moulures.© JAN VERLINDE

Besoin de sérénité

La majeure partie du mobilier date des années 50. « Il y a dix ans, j’ai commencé à collectionner les créations de Pierre Jeanneret. Le Corbusier était son cousin, et ils ont beaucoup travaillé ensemble. J’aime la façon artisanale dont ses meubles ont été conçus. Les chaises ont toutes été construites selon le même plan, mais il n’y en a pas deux identiques. Le style de Pierre Jeanneret me parle car il est épuré et architectural. Il va droit au but, à la limite de l’industriel. Je ne m’en lasse pas. Ces lignes claires apportent du calme à mon lieu de vie. J’en ai besoin. Pour moi, un intérieur doit transmette une ambiance de week-end. C’est pour cette raison que je n’y ai consciemment pas installé de bureau. »

Sur la cheminée sont posées des oeuvres de Brian Rochefort et Morten Løbner Espersen.
Sur la cheminée sont posées des oeuvres de Brian Rochefort et Morten Løbner Espersen.© JAN VERLINDE

La sobriété du mobilier des fifties contraste avec les imposantes oeuvres d’art en céramique colorées ornant la cheminée. L’une d’elles est signée par l’artiste danois Morten Løbner Espersen. L’autre, d’aspect organique, est une création de Brian Rochefort, un jeune céramiste originaire de Los Angeles avec lequel Kris Van Assche a bossé pour la collection été 2021 de Berluti. Comme alternative à un défilé en ligne, le Belge a imaginé une vidéo de cette collaboration filmée entre l’atelier de l’artiste à L.A. et son propre salon.

Les meubles de salon sont de Pierre Jeanneret et, sur l'armoire, les céramiques de Pol Chambost.
Les meubles de salon sont de Pierre Jeanneret et, sur l’armoire, les céramiques de Pol Chambost.© JAN VERLINDE

L’importance de l’humain

« J’ai de plus en plus envie que mon intérieur soit chaleureux, confie notre compatriote. J’aspire à un équilibre entre couleur et sobriété, même pour les oeuvres d’art. Avec mon premier salaire conséquent, j’ai acheté White Gauze de Robert Mapplethorpe. Une photo en noir et blanc de deux corps enveloppés dans de la gaze blanche. Grâce à cela, j’ai découvert l’oeuvre de Peter Hujar, un contemporain de Mapplethorpe qui évoluait dans l’underground gay de New York. J’aime les images de cette époque: les photographes réglaient eux-mêmes la luminosité et développaient leurs propres clichés. Je suis très sensible aux touches philanthropiques dans l’art. Plus le monde se numérise et avale tout sur son passage, plus je suis attiré par l’aspect humain. J’apprécie ceux qui se salissent les mains, comme Rinus Van de Velde, avec qui j’ai travaillé pour une campagne Dior Homme. C’est via lui que j’ai fait la connaissance de l’artiste belge Ben Sledsens. Les créations de ce dernier sont pleines de couleurs, c’est fantastique de les combiner avec celles, plus sombres, de Rinus Van de Velde. »

Des baies s'ouvrant sur la terrasse verdoyante cadrent un autoportrait de Rinus Van de Velde. Sur la table de Pierre Jeanneret, des céramiques de Kristin McKirdy et une lampe de Pol Chambost.
Des baies s’ouvrant sur la terrasse verdoyante cadrent un autoportrait de Rinus Van de Velde. Sur la table de Pierre Jeanneret, des céramiques de Kristin McKirdy et une lampe de Pol Chambost.© JAN VERLINDE

Le Dior de la céramique

Pendant son temps libre, Kris Van Assche aime visiter des galeries d’art. « J’ai des adresses où je retourne fréquemment. J’achète de manière très ciblée. Ma préférée se trouve à Anvers, c’est la Tim Van Laere Gallery. Je suis tous ses événements de près, tout comme pour la galerie bruxelloise Pierre Marie Giraud. A Paris, je visite souvent Downtown de François Laffanour, Jousse et Thomas Fritsch, qui se trouvent toutes rue de Seine. Thomas Fritsch est spécialisé dans la céramique des années 50. Vu que je possède beaucoup de mobilier de cette époque, j’ai également commencé à en collectionner des céramiques. Ma quête porte surtout sur Pol Chambost, dont le style complet est presque comparable à la haute couture de Christian Dior. Cela devient d’ailleurs très compliqué de trouver de nouvelles pièces qui portent sa signature. Heureusement, mon intérêt pour l’art est en constante évolution. Plus le temps passe, plus je me rends compte que j’en ignore encore beaucoup de choses… »

En bref: Kris Van Assche

Kris Van Assche et son chat Frida.
Kris Van Assche et son chat Frida.© JAN VERLINDE

– 1976 Naissance et jeunesse à Londerzeel, en Brabant flamand.

– 1994-1998 Etudes à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, section mode.

– 1998-2004 Départ à Paris, comme stagiaire chez Yves Saint Laurent, puis comme assistant d’Hedi Slimane, qu’il suivra chez Dior.

– 2005 Il présente sa première collection Kris Van Assche. Sa marque vivra dix ans.

– 2007 Il est nommé directeur artistique chez Dior Homme.

– 2018 Il devient directeur artistique de Berluti.

– Décembre 2019 Présentation d’un projet design à Art Basel Miami en collaboration avec la galerie Downtown.

– Avril 2020 Il lance une collection déco pour Berluti.

La déco selon Berluti

En décembre dernier, lors de l’Art Basel Miami, Berluti a présenté du mobilier issu du projet Chandigarh, l’odyssée indienne de Le Corbusier. Une série de meubles originaux signés Pierre Jeanneret, qui a conçu ces pièces modernistes pour des bâtiments publics de cette ville. A l’époque, elles étaient recouvertes de similicuir bariolé. En collaboration avec les coloristes de chez Berluti, Kris Van Assche a fait remplacer cette matière endommagée par du cuir patiné en dix-sept teintes différentes.

Depuis, l’homme a déjà écrit le second chapitre de cette immersion dans le design: une collection reprenant des créations de fabricants toujours en activité, comme San Lorenzo et Ghianda. Les structures des pièces restent inchangées, elles sont juste recouvertes de cuir coloré Berluti, ce qui leur donne un côté surprenant, à l’instar des bols en argent et des vases en cuir. La collection sera mise en vente dès novembre dans les boutiques Berluti. L’étape suivante? Il s’agira d’une série d’objets imaginés par Van Assche en personne. « Lentement mais sûrement, je vais développer cette collection. Nous prenons notre temps pour trouver les bons partenaires. » Rendez-vous fin 2021.

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