Jane Birkin
Jane B. touche à ses lointains souvenirs anglais dans Enfants d’hiver, disque automnal dont elle a fabriqué les mots mélancoliques avec une conscience de chanteuse équitable…
Votre nouvel album vous montre en ado à cheveux courts au bord de la plage…
Je dois avoir onze ou douze ans, je suis en vacances à l’Ile de Wight avec mon frère Andrew dont le fils, Arno, artiste doué, est mort à l’âge de vingt ans dans un accident de voiture.
Avez-vous l’impression d’être une survivante ?
Oui (sourire). On l’est tous, dès le départ. Quand papa était vivant, je lui avais dit que je ne lui survivrais pas un jour. Il m’avait dit « Yes, you will ! ».
Votre père est mort la veille de l’enterrement de Serge (Gainsbourg) !
Oui, trois jours à peine entre les deux. J’ai survécu et puis, je me suis dit que j’admirais beaucoup ma mère qui avait surmonté tout cela avant de partir à l’âge de quatre-vingt huit ans. Moi, si je devais choisir ma mort, je serais morte la première…
Restez encore un peu en vie svp ! Quelle était votre passion d’écriture à douze ans ?
J’étais en internat à l’Ile de Wight, j’adorais Dickens et son casting incroyable de personnages secondaires. Tellement drôle ! Je le lisais le soir et cela m’apaisait. Je n’étais pas une littéraire mais, tous les jours, j’écrivais mon journal sur mes misères d’internat.
Y avait-il des choses formidables à l’internat ?
Il y a avait Jane Wellplay qui avait une longue natte et qui est devenue vétérinaire au Canada : elle me sauvait un peu des soeurs impitoyables qui pensaient qu’on allait toutes dans le lit des autres. Il n’y avait que des filles évidemment. On ne pouvait pas parler pendant les repas. On ne pouvait pas téléphoner. Quand Jane est partie, j’ai demandé à pouvoir danser avec elle et lui ai glissé un papier cul, qui était très glissant à l’époque (sic), avec un coeur d’arbre dans sa poche. Quand elle m’a revue au Canada, elle m’a dit qu’elle ne se souvenait pas de tout cela !
Imaginiez-vous en venir un jour à l’écriture complète d’un disque ? Et puis qu’y a-t-il de Dickens dans le disque ?
(sourire) Pas grand-chose de Dickens malheureusement et de ses délicieux personnages secondaires. Mais il y a une vraie nostalgie de l’enfance ! L’écriture de la chanson avec Souchon me semble assez fine dans les détails : la surprise des poils qui poussent sur le corps, les seins qui poussent. Il me semble qu’il y a une trilogie entre Oh pardon tu dormais, Boxes et ce disque-ci. Avec cette question de savoir s’il est possible d’avoir un dernier amour !
C’est une question que vous vous posez !
Oui, je me la pose. J’aimerais tellement.
Pourtant, il me semble que l’amour vous a déjà pas mal servi !
Je ne suis pas morose. Je trouve que quatre fois, c’est déjà énorme. Jacques Doillon (NDLR : le père de Lou) m’avait dit cela quand j’étais folle de lui et que je devais quitter Serge. Je lui avais dit que je pouvais compter mes affaires sur les doigts d’une seule main. Doillon m’avait rétorqué que j’étais fière de mes doigts : il a mis cela dans le film Comédie.
Voyez-vous un trait commun entre les hommes que vous avez aimés ?
Oui : ils avaient le cerveau bouillonnant d’idées que je n’avais pas.
Le cerveau masculin vous impressionne toujours ?
Oui et peu importe quelle spécificité, que ce soit les mathématiques modernes, les animaux -David Attenborough est mon héros- ou l’histoire. Les acteurs ou les réalisateurs, peut-être pas parce que je les connais trop. Mais les musiciens, oui.
Il y a une chanson où vous vous plaignez des hommes : Oh comment ça va ?
C’est de la fiction. Mais à la fin, je me suis déchaînée. Je connais assez de filles qui vivent les vacheries de la vie : les garçons peuvent avoir des bébés à cinquante ans et nous pas ! Peut-être le type que tu adorais, qui était cocooneur, change maintenant les couches du nouveau né ! C’est un grand classique. Mon frère Andrew, 63 ans, attend une petite Emily Jane. C’est normal qu’un homme de cinquante ans tombe amoureux d’une fille délicieuse de vingt ans. Un homme à soixante, soixante-dix, quatre-vingts ans, avec ses rides, est très séduisant ! J’aimerais juste qu’ils aiment aussi nos défauts !
Le cerveau reste donc l’élément sexuel primordial ?
Oui, bien sûr. Bien plus qu’un beau gosse sur une plage.
La voix aussi ?
Oui, bien sûr. Jacques (Doillon) avait répondu à la question « Que regardez-vous chez une femme ? » en disant « Son mari ! ». C’est difficile de voir quelqu’un d’épatant avec une fille qui ne pense qu’à la mode. Si le type est avec une fille passionnante, cela rend le couple plus passionnant encore. Je pense à Piccoli qui est avec Ludivine…
Il y a une chanson politique affirmée, Aung San Suu Kyii, dédiée à la résistante birmane…
Quand je l’avais rencontrée, elle m’avait demandé si je pouvais l’aider à libérer un poète de 75 ans, U Win Tin, qui était en prison, sans papier ni crayon. Voilà une femme extraordinairement séduisante par son culot et son sens de l’humour, tout comme Soeur Emmanuelle. Quand je suis partie de Birmanie, j’ai essayé de faire éditer U Win Tin, sauf qu’aucune maison d’édition n’était très intéressée. Et puis, j’ai entendu des choses inquiétantes quant à la santé de Aung San… donc j’ai décidé de faire quelque chose : cette chanson et puis je suis allé voir Sarkozy pour que Total se retire de Birmanie.
C’est courageux mais un peu naïf !
J’ai reçu une lettre de Total parce que cela fait six mois cette chanson est sur I-Tunes : ils se dédouanent en disant qu’ils entretiennent un orphelinat là-bas, mais oublient de dire qu’ils donnent un million de $ par jour à la junte militaire depuis vingt ans ! Je pense que les gens qui ont des actions dans le secteur doivent agir comme en Norvège où les petits vieux (sic) ont retiré leurs actions de Total en Birmanie ! Il faudrait demander aux politiciens combien de personnes on fait souffrir pour vivre un peu mieux !
Quel est le point commun entre Hermès et Converse, deux marques avec lesquelles vous collaborez ?
Je porte des Converse depuis trente ans et quand je leur ai demandé de faire une pub, je trouvais cela drôle, d’autant plus que ma fille Kate a fait les photos. Mais notre complicité s’arrête là. J’essaie de ne pas acheter des choses fabriquées en Chine, même s’il ne faut pas boycotter les petites gens là-bas : c’est une cause extrêmement compliquée. Hermès dont j’ai dessiné un modèle de sac, me donne une certaine somme d’argent par an, pour les causes. Et j’ai mis aux enchères mon sac qui a gagné une fortune pour la Fédération Internationale des Droits de l’Homme.
Qu’avez-vous envie d’amener avec ce disque comme sentiment nouveau ?J’aimerais que les gens se sentent moins seuls, qu’ils n’oublient pas les images magnifiques de la vie même quand les relations s’arrêtent !
Propos recueillis par Philippe Cornet
CD Enfants d’hiver chez EMI.
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