La chronique de Grégoire Polet: Autoportrait en hérisson

Je me pose beaucoup de questions. Je n’arrête pas. Je suis une cible sans cesse atteinte par un nuage de flèches de questions, un véritable saint Sébastien.

Au point qu’il semble bien qu’elles ne viennent pas de moi, mais qu’un peloton d’archers se relaie jour et nuit pour me les lancer, me prenant pour victime ou pour proie, jusqu’à faire de moi cet oursin d’interrogations, ce hérisson lent et taciturne progressant, discret, dans le fond des jardins, promenant, en ligne droite, souvent interrompue, toujours reprise, son étrange ignorance parmi les feuilles mortes.

Le hérisson va de jardin en jardin, méconnaissant l’artificielle limite des propriétés, au crépuscule, voyant, maison après maison, les fenêtres éclairées, les vérandas, le spectacle domestique des familles, le soir, au chaud, dans les fauteuils, autour des tables, levant des verres étincelants de vin, s’agitant dans des conversations dont ne me parviennent ni son, ni parole, seulement des visages mouvants et des bouches articulant sans bruit et riant en silence. Des gens, des gens, encore des gens, gesticulant derrière les fenêtres flamboyantes, et dont je croise en même temps les âmes, toutes pareilles à moi, hérissées de piquants et progressant, taciturnes, dans le fond des jardins. On se salue vaguement, hérissons tous autant que nous sommes, on va son chemin, tandis que les corps auxquels nous appartenons continuent à rire, là, derrière les grandes fenêtres et les vérandas. Eux, au chaud, dans la lumière ; et nous dans le noir, au fond des jardins, avec les feuilles mortes.

G.P.

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