La chronique de Grégoire Polet: Marie (micro-fiction)

Toutes les deux semaines, l’écrivain Grégoire Polet nous dévoile ses coups de coeur et coups de griffe.

La scène se déroule à Bruxelles, 1000. Appartement au quatrième étage, vues dégagées, fenêtres sans vis-à-vis, par où passe un jour blanc. Une femme, la trentaine certainement, débarrasse la table du petit déjeuner. Elle a trois enfants : l’un est dans la baignoire et sa mère lui demande de ne pas faire déborder l’eau ; l’autre joue aux quilles dans le hall et elle lui dit de cesser, que ça va réveiller la petite soeur qui dort dans la chambre à côté. Elle tient en équilibre instable deux pots de confiture, le beurre, les assiettes et les couteaux, elle dépose les assiettes dans l’évier et s’accroupit, elle range les confitures dans le frigo. La cuisine est exiguë. À vrai dire, tout l’appartement est exigu.
– Michel, l’eau ! Ferme le robinet, le bain va déborder ! Michel !
Elle – elle s’appelle Romane – traverse le petit hall, de la petite cuisine vers le petit séjour, une grande lavette en main, bifurque de deux pas sur le côté pour fermer le robinet de la baignoire puis de deux pas sur l’autre côté pour serrer le bras de son fils, Maxime je t’ai dit d’arrêter les quilles, Marie dort ! Puis elle frotte la table du petit déjeuner, comme une maîtresse d’école efface son tableau, tout son corps se dandine, ses fesses dans le jean bleu, ses seins dans le chemisier blanc, son chignon tourné rapidement autour d’un crayon, ses chevilles sur ses pieds nus. Elle ramasse les miettes dans le creux de sa main, elle retourne dans la cuisine. Elle s’appuie bras tendus sur le rebord de l’évier, ferme les yeux, soupire.
– Michel, l’eau ! Maxime, Les quilles !!
Elle penche la tête. Son collier sort du chemisier et balance.
– Ça y est, Marie pleure.

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