Le renouveau du cottagecore: quand des assiettes ornent nos murs

Le showroom de robes de mariée Mannda, à Metz, aménagé par Mélanie Trinkwell. © SDP
Yoris Bavier

C’est un fait: les assiettes pariétales reviennent au sein de nos foyers. Mais les ont-elles vraiment quittés un jour? Retour sur l’histoire riche d’une récurrence stylistique qui fut un temps l’apanage de ceux qui l’étaient tout autant.

Ce fut une échappatoire virtuelle évidente, une réponse tendre à la pandémie mondiale, à l’incertitude ambiante et aux confinements successifs qui ponctuent nos vies depuis un an et demi: le cottagecore. Derrière ce nom un poil barbare se cache une esthétique qui s’est épanouie, en temps de crise, sur les réseaux sociaux ; celle d’une vie pastorale idéalisée, d’un isolement édulcoré au coeur de la campagne – anglaise, de préférence. Si le mouvement est né sur le site communautaire Tumblr, il y a quelques années, c’est en 2020 que celui-ci a réellement explosé sur le réseau social TikTok où il cumule désormais 7,3 milliards de hashtags. Au programme: chaumières rassurantes, jardins sauvages, longues robes en coton ou en lin, chapeaux de paille, cueillettes diverses et occupations manuelles à l’instar de la poterie, de la pâtisserie ou de l’arrangement floral. Mais son expression quintessentielle est sans aucun doute le regain d’intérêt généralisé pour la vaisselle joliment travaillée. Moins pour ses fonctions d’usage que pour son pouvoir hautement ornemental, cependant. Et si cette appétence déco n’a rien de nouveau d’un point de vue historique, cette énième ferveur invite au questionnement. Quand et pourquoi les assiettes ont-elles migré de notre table vers nos murs?

La salle à manger privatisable Duomo de l'hôtel milanais Mandarin Oriental, décorée par l'Atelier Fornasetti. Au mur, se trouve la série Cupole d'Italia, imaginée dans les années 60, par l'artiste et designer italien.
La salle à manger privatisable Duomo de l’hôtel milanais Mandarin Oriental, décorée par l’Atelier Fornasetti. Au mur, se trouve la série Cupole d’Italia, imaginée dans les années 60, par l’artiste et designer italien.© SDP

Opulence et bon goût

« Cette mode possède des origines plurielles, prévient d’emblée Stéphane Laurent, historien des arts décoratifs et auteur de Le Geste & la pensée: artistes contre artisans de l’Antiquité à nos jours aux CNRS Editions. Tout d’abord, on retrouve la fascination des aristocrates européens pour la porcelaine asiatique. Il s’agit d’un savoir-faire très dispendieux que l’on surnomme même « l’or blanc » à l’époque et qui émerveille grâce à sa technique secrète. » A la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, les châteaux se parent de cabinets des porcelaines, comprenez de vastes salons d’apparat dont les murs sont ornés, du sol au plafond, d’assiettes, de coupelles, de théières et de vases chinois dits « bleu et blanc » et de trésors japonais similaires tant dans la composition que dans les tons.

« Il est aussi nécessaire d’évoquer une idée plus ancienne et plus pragmatique pour revenir aux fondements de cette typologie décorative, continue l’expert. Au XVe siècle, apparaissent, sur le Vieux Continent, les dressoirs ostentatoires. Ils servent à exposer des richesses, à savoir des plats en métal précieux ou des majoliques ( NDLR: des faïences italiennes précieuses). Lors de dîners rassemblant des hôtes de marque, les propriétaires huppés les présentent, dressés à la verticale. L’opulence comme décor sert alors à montrer son statut social ainsi que son rôle de mécène. » Au fil du temps, ce type d’ameublement évolue vers le vaisselier et, au XIXe, son usage se répand auprès de la bourgeoisie provinciale. L’envie n’est plus tellement d’étaler ses avoirs mais plutôt de prouver son propre raffinement à ses convives. Et le concept perdure de nos jours! En février dernier, la très influente présentatrice et productrice américaine Oprah Winfrey a partagé, sur Instagram, une photo d’elle assise devant un meuble vitré abritant et mettant en valeur un service de table qui imite des feuilles de chou vert frisé.

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Commémoration et art

Toujours au cours du XIXe, la collection de vaisselle se démocratise, sous l’impulsion de Patrick Palmer-Thomas, un noble d’origine néerlandaise et anglaise qui confectionne des assiettes-souvenirs commémorant des événements plus ou moins importants. « Ce glissement se poursuit dans la culture populaire, explique Stéphane Laurent. On retrouve, encore aujourd’hui, cette intention, sous la forme d’éditions limitées, à l’occasion des sacres ou des mariages de la famille royale britannique, par exemple. »

Au siècle suivant, l’objet utilitaire devient une toile blanche pour les artistes. Si bon nombre de céramistes talentueux se sont adonnés à l’exercice – à l’instar de Pablo Picasso, Fernand Léger ou Roland Brice, pour ne citer qu’eux -, c’est Piero Fornasetti qui marquera, de manière indélébile, l’histoire du design avec sa série iconique Tema e Variazioni s’articulant autour du visage parfait de Lina Cavalieri, sa muse. Imaginée, à l’origine, sur six supports en porcelaine, la physionomie de la célèbre cantatrice se retrouve, tour à tour, affublée d’une moustache, d’un loup, d’un cache-oeil, d’une cagoule ou d’une paire de jumelles… jusqu’à atteindre près de 400 variations différentes!

La série Tema e Variazioni de Fornasetti, véritable monument du design du XXe siècle.
La série Tema e Variazioni de Fornasetti, véritable monument du design du XXe siècle.© SDP

Et lorsque la marque éponyme – aujourd’hui supervisée par Barnaba, le fils du designer italien décédé en 1988 – est invitée à imaginer une salle à manger privatisable, au sein du luxueux hôtel milanais Mandarin Oriental, c’est une autre série griffée Fornasetti, plus confidentielle, qui est choisie pour sublimer le lambris foncé de l’espace intimiste. Intitulée Cupole d’Italia, elle s’érige en véritable hommage à l’architecture de la métropole lombarde, qui a vu naître l’atelier et son fondateur, et du pays entier, plus largement.

A plus ou moins 1 000 km de là, La Villa Victor Louis, une élégante maison d’hôtes en plein coeur de Bordeaux, a également été décorée en pensant chaque détail comme une déclaration d’amour à l’histoire et à la culture de sa ville. Ainsi, les douze assiettes murales, représentant les signes du zodiaque, qui trônent dans la verrière de la somptueuse demeure, proviennent de la fameuse manufacture J. Vieillard & Cie, « une industrie de faïencerie bordelaise qui fit la fierté de la région, de 1845 à 1895 », éclaircit Hélène Ginebre, fille des propriétaires et directrice de l’établissement.

Les assiettes représentant les signes du zodiaque et signées J. Vieillard & Cie qui ornent la verrière de La Villa Victor Louis, maison d'hôtes bordelaise datant du XVIIIe siècle.
Les assiettes représentant les signes du zodiaque et signées J. Vieillard & Cie qui ornent la verrière de La Villa Victor Louis, maison d’hôtes bordelaise datant du XVIIIe siècle.© SDP

Pour toutes les bourses

A l’évidence, les cas cités précédemment incluent des artefacts de collection possédant une certaine valeur. Dans le même ordre d’idées, il est de notoriété publique que la personnalité médiatique et femme d’affaires étasunienne Martha Stewart s’est pareillement laissée séduire par cette astuce déco. A la hauteur de sa fortune, certes. Ici et là, les murs de son salon sont ponctués d’ustensiles issus d’un service à dessert Drabware, d’inspiration botanique et agrémenté de dorures, manufacturé par l’entreprise anglaise Wedgwood, au début du XIXe. A titre d’exemple, un ensemble complet, dans un état impeccable, s’est récemment envolé pour la modique somme de 36 000 dollars (soit un peu plus de 31 000 euros) sur 1stdibs, un site de vente en ligne spécialisé dans les antiquités, la joaillerie fine, la mode vintage et l’art.

Néanmoins, Mélanie Trinkwell, fondatrice de M Well Studio, tient à rassurer tous ceux qui n’ont pas un budget illimité. « Evidemment, il est possible de chiner de la vaisselle de grand-mère pour cinq euros sur une brocante. C’est un moyen peu coûteux de produire un effet boeuf chez soi, d’ailleurs. » Il est vrai que la créatrice d’espaces intérieurs apprécie tout particulièrement ces garnitures murales qu’elle intègre aussi bien dans ses projets professionnels que dans son foyer. A ses yeux, elles sont parlantes – voire carrément bavardes -, empreintes de sentiments, riches de souvenirs et fédératrices par leur essence même puisqu’elles appartiennent à l’univers généreux et rassembleur de la cuisine.

Une vision très probablement partagée par une longue liste de sommités dans le domaine de la décoration qui ont fait de cet élément l’une de leurs signatures: Susan Deliss, Frank de Biasi, Penny Morrison, Carlos Sánchez-García, Veere Grenney… Et Cordelia de Castellane. Dans le beau livre Life in a French Country House: Entertaining for All Seasons – à paraître chez Rizzoli, cet automne -, nous découvrons, au fil des pages, que la directrice artistique de la ligne Maison de Dior a placé des assiettes décoratives dans plusieurs pièces de sa résidence campagnarde, à la manière d’un fil rouge à la fois chic et poétique.

Une assiette fleurie de la boutique Wedgwood.
Une assiette fleurie de la boutique Wedgwood.© SDP

Énième come-back

Si la vaisselle pariétale semble bel et bien faire son grand retour dans nos intérieurs, Mélanie Trinkwell préfère parler de récurrence plutôt que de tendance fugace. Et Stéphane Laurent abonde dans son sens: « Le concept avait déjà connu une petite relance durant les seventies parce que les hippies s’intéressaient à l’artisanat, au travail manuel ; la décennie suivante, c’est le côté nostalgique des objets qui plaisait. » Pour l’historien, ce nouveau come-back s’apparente à celui qu’a opéré le papier peint. « Il s’agit tout simplement d’une recherche de diversification du décor tant au niveau de la matière que du relief et du coloris. Il y a une volonté ambiante de sortir du diktat du mur blanc, de la neutralité, du minimalisme imposés par les modernistes. » Et ce n’est pas Mélanie Trinkwell, maximaliste dans l’âme, qui dira le contraire: « Je trouve qu’on évolue dans de plus en plus d’environnements aseptisés. La maison est le dernier espace de liberté qu’il nous reste. A l’extérieur, tout est terriblement normé. Il faut donc en profiter pleinement, expérimenter et, surtout, s’amuser ». Et ce, même si, inspiré par la collection d’assiettes animées de Dolores Ombrage – affreuse bureaucrate du ministère de la Magie qui tourmentera un certain Harry Potter lors de sa cinquième année à Poudlard -, vous décidez, vous aussi, d’en commencer une sur le thème des chats. Parce que des goûts et des couleurs, on ne discute pas.

Une assiette Hippomobile à dessert d'Hermès.
Une assiette Hippomobile à dessert d’Hermès.© STUDIO DES FLEURS

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