Kathleen Wuyard
Luxe recherche définition désespérément
Pour Karl Lagerfeld, jamais avare d’une tournure de phrase mémorable, il s’agissait de la liberté d’esprit, de l’indépendance, «bref du politiquement incorrect». Antoine de Saint-Exupéry affirmait quant à lui qu’il n’était qu’un luxe véritable, «celui des relations humaines», tandis que selon Pierre Cardin, il était plutôt synonyme de «rareté, créativité et élégance».
Voyez donc, le dictionnaire lui-même oscille entre deux définitions, lui prêtant le caractère de ce qui est coûteux et raffiné, mais aussi ce qu’on se permet de manière exceptionnelle, pour se faire plaisir. On l’aura compris, l’essence même du luxe est insaisissable, et pas seulement parce qu’il est par définition relativement inaccessible. Et ce, plus que jamais à notre époque de contrastes et de paradoxes, où le faste n’a jamais été montré de manière plus ostentatoire, alors même que ceux qui scrollent avidement d’un étalage de richesse à l’autre sont toujours moins nombreux à pouvoir se le payer.
Consommer moins mais mieux fait figure de mantra, mais a aussi des accents, si pas d’aveu d’échec, tout du moins de concession faite au système.
La faute à l’inflation, la guerre en Ukraine, la relance post-Covid ou encore l’essor des prix de l’énergie, entre autres coupables pointés du doigt sans relâche ces derniers mois. Mais aussi à un changement progressif de paradigme: épinglés par leurs aînés, les membres de la Gen Z et des suivantes refusent de s’inscrire dans la course à l’argent qui a essoufflé les générations qui l’ont précédée. Et contribuent ce faisant non seulement à redéfinir le luxe, mais aussi, à changer progressivement le visage de l’industrie qui s’en revendique.
Laquelle dit non à la fourrure (pas aspirationnelle, la souffrance animale), fluidifie les normes de genre (rien de moins raffiné que d’avoir l’esprit étriqué) et s’inscrit dans une dynamique toujours plus circulaire: le faste, oui, les dérives environnementales et sociétales de la fast fashion, non. Une définition résolument a contrario de celle qui a régné sur les Trente Glorieuses, les eighties flamboyantes et les nineties de tous les excès, par choix ou par contrainte: consommer moins mais mieux fait figure de mantra, mais a aussi des accents, si pas d’aveu d’échec, tout du moins de concession faite au système.
D’après une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Stanford, les personnes nées entre 1980 et 2000 sont les premières pour qui il est moins probable de percevoir un revenu plus élevé que leurs parents. Un constat qualifié par un des auteurs de la recherche, le professeur d’économie Raj Chetty, de «menace pour la cohésion sociale» aux conséquences «potentiellement dévastatrices», à commencer par un ralentissement de la croissance économique, faute d’acheteurs.
Et pourtant, d’après les chiffres compilés par le cabinet Bain & Company, en 2022, le marché global du luxe a progressé d’environ 14%, atteignant les 1 140 milliards d’euros. Coco Chanel avait-elle donc raison quand elle affirmait que le luxe n’était pas tant le contraire de la pauvreté que celui de la vulgarité? En ces temps incertains, il fait en tout cas office de valeur refuge, qu’elle soit financière − certains sacs à main présentent un retour sur investissement de +70% – ou métaphorique: après tout, rêver, cela ne coûte rien.
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