« L’homme a introduit un déséquilibre »: entretien avec l’infectiologue Nathan Clumeck

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Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste

Bien qu’ayant officiellement pris sa retraite il y a quelques années, l’infectiologue qui a diagnostiqué les premiers cas de sida lorsque la maladie est arrivée en Belgique n’a pas vraiment arrêté d’exercer. Entre deux consultations au CHU Saint-Pierre, entretien à bâtons rompus avec le professeur de l’ULB Nathan Clumeck.

Quand on est malade et vulnérable, le droit à la santé est un droit humain essentiel. C’est pour ça que j’ai choisi de consacrer ma carrière à la médecine publique, parce qu’elle permet de donner à tout le monde les meilleurs soins possibles. En Belgique, on a la chance d’avoir un principe de l’égalité d’accès aux soins qui n’existe pas dans beaucoup de pays, et c’est une chance qu’on ne réalise pas toujours si l’on en croit les débats sur le financement des hôpitaux publics ou le soutien à la recherche. Viser la rentabilité d’un service public dédié à la santé de la population est une erreur, avec le risque de basculer dans une caricature de système américain ou russe, où il y a d’un côté la médecine privée qui permet de recevoir les meilleurs soins et de l’autre, la médecine publique abandonnée.

La Covid-19 illustre une réalité à laquelle nous allons être confrontés de manière de plus en plus rapprochée. En bouleversant son milieu, en détruisant les forêts et en diminuant la biodiversité, l’homme a introduit un déséquilibre qui fait que des virus d’ordinaire bien tolérés par certains animaux sortent du répertoire animal et infectent l’homme. On peut craindre d’autres pandémies similaires à l’avenir, et à cet égard la Covid est un signal d’alarme très sérieux, parce qu’elle a montré qu’on n’était pas préparés.

La pandémie a rappelé à quel point nous sommes tous interdépendants. C’est quelque chose qu’on s’est refusés à croire, mais la vérité est que si demain tous les transporteurs routiers, tous les caissiers et caissières ou tous les agriculteurs sont malades, on ne peut plus vivre. C’est important de mettre en place une solidarité entre les individus, tant au niveau sociétal qu’international, mais malheureusement l’approche de la pandémie a été très individualiste.

On ne peut pas penser la liberté individuelle au détriment de la santé publique. Lutter contre la désinformation est très difficile, raison pour laquelle je suis favorable à l’obligation de vaccination pour le personnel soignant, parce que si on est au contact du public il faut le protéger. Bien sûr qu’un vaccin peut avoir des effets secondaires, mais quand on envisage un médicament, il faut peser les avantages et les inconvénients, et si les avantages l’emportent, on l’administre.

‘La nature joue un ru0026#xF4;le primordial pour apporter une forme de tranquillitu0026#xE9; par rapport u0026#xE0; l’agitation du monde.’

Le discours antiscience est difficile à comprendre, surtout lorsqu’il vient de soignants. Ceci étant, le fait d’être médecin ne met pas à l’abri des opinions incorrectes ou fausses. Si on prend les antivax, par exemple, le plus souvent, ils partent de demi-vérités: c’est vrai qu’un vaccin ne protège pas à 100%, vu qu’on l’administre à une population hétérogène qui ne fabrique pas des anticorps de la même manière, mais c’est faux de dire « regardez, il est malade quand même donc le vaccin ne fonctionne pas ». Didier Raoult aussi est parti d’une semi-vérité avec la chloroquine, active contre le SARS-CoV-2 in vitro, mais le modèle ne reproduisait pas la réalité du virus in vivo. A sa place, j’aurais été un million de fois plus prudent: il a eu une production scientifique valable dans sa carrière, mais ce que l’histoire retiendra de lui, c’est qu’il avait tort.

Quand on est médecin, on ne prend jamais vraiment sa retraite. Officiellement, je suis retraité depuis 2014, mais j’ai gardé une activité clinique liée à mes patients VIH, dont certains que je suis depuis plus de trente ans. J’ai toujours pratiqué une activité artistique à côté de ma carrière, je dessine, je sculpte, cela me permet d’ouvrir mes horizons à d’autres personnes. Je me passionne aussi pour la lecture et le voyage, particulièrement le Japon. Ce qui est certain, c’est que bien que retraité, je ne m’ennuie jamais.

J’aime Bruxelles parce que c’est une ville à taille humaine. Cela fait une dizaine d’années que j’habite la même maison, j’ai la chance d’être dans un quartier où je peux avoir un petit jardin. Bruxelles a su entreprendre les transformations nécessaires ces dernières années, pour diminuer la pollution liée au trafic par exemple. C’est important car la nature joue un rôle primordial pour apporter une forme de tranquillité par rapport à l’agitation du monde et tout ce qu’on peut ressentir comme désespoir existentiel.

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