Tadao Ando: « l’architecture est un être vivant »

Ando © Reuters

Une « église de lumière », un « musée dans la terre »: l’architecture ne se conçoit pas hors la nature, elle est elle-même « un être vivant, un être mouvant ». Par ces mots l’architecte japonais Tadao Ando résume la philosophie d’une vie consacrée à concevoir des espaces « qui touchent l’âme des gens ».

Son parcours, son oeuvre sont présentés à partir de mercredi au Centre National des Arts de Tokyo qui lui consacre une immense rétrospective jusqu’au 18 décembre, avec maquettes, croquis, photos et vidéos.

L’histoire de Tadao Ando débute à Osaka, entre des ateliers d’artisans que le petit garçon regarde avec intérêt, elle se poursuit dans une librairie où il découvre un ouvrage sur Le Corbusier, dont il recopie un à un les schémas architecturaux, elle passe par la France, pendant les manifestations de mai 1968, puis elle fait le tour du Japon et celui du monde.

Il oublie son envie de devenir boxeur, mais garde ses gants rouges bien visibles dans son immense bureau-bibliothèque d’Osaka.

« Sans avoir suivi d’études, sans avoir fréquenté d’école spécialisée, je suis devenu architecte, à force de regarder, d’expérimenter, de ressentir, d’être marqué », raconte lors d’un entretien accordé à l’AFP cet autodidacte qui côtoie ses compatriotes Kenzo Tange, et Shigeru Ban, ou bien encore Jean Nouvel et Christian de Potzamparc parmi les lauréats du « Nobel de l’architecture », le prix Pritzker.

Pour M. Ando, « l’architecture n’est pas qu’une question de budget ou de fonctionnalités. Il faut concevoir des choses qui touchent l’âme des gens ».

Son nom appelle tout de suite des images: le béton armé gris, la lumière, le vent, les figures géométriques entrelacées.

Le béton, que l’on oppose souvent à la nature, « symbolise l’époque moderne. Tout le monde peut s’en procurer partout, aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Angleterre… C’est avec ce matériau accessible à tous que j’ai voulu concevoir une architecture comme personne », explique-t-il.

– Architecture = humain –

Comment? « En restreignant volontairement la liberté infinie qu’offre ce matériau ». Rien de farfelu dans ses créations: tout découle de formes somme toute simples, comme en témoigne le Poly Théâtre de Shanghai, rectangulaire, percé de grands puits de lumière, en façade, au-dessus.

« Mon objectif n’est pas la liberté des formes. Je me suis toujours efforcé de concevoir des architectures calmes qui procurent la simple satisfaction d’y vivre ».

Et de préciser sa pensée: « l’architecture est un être vivant, un être mouvant. La lumière peut y entrer par dessus ou par dessous, elle peut être directe ou reflétée. La lumière donne du mouvement à l’architecture, lui insuffle la vie ».

Recréée grandeur nature spécialement pour la rétrospective Ando à l’extérieur du Centre national des Arts de Tokyo, l’Eglise de Lumière d’Ibaraki (ouest) résume cette philophie, avec sa croix ajourée dans le mur derrière l’autel, qui laisse flitrer la lumière et passer le vent à travers la nef.

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« L’architecture, en photo, ne se comprend pas. Il faut l’expérimenter », insiste M. Ando pour expliquer cette réplique parfaite.

Son « musée dans la terre » (plusieurs bâtiments distincts ouverts sur le ciel, enterrés au ras du sol au milieu d’une végétation abondante) sur l’île japonaise de Naoshima, ses autres églises au Japon (la Chapelle d’eau à Hokkaido, avec une croix dressée sur un immense plan d’eau devant la nef) et maints édifices sont conçus avec le même état d’esprit: des formes géométriques simples dont les lignes jouent avec les filets de lumière et ombres projetées, modifiant la perception de l’espace, les profondeurs, au fil des heures de la journée.

La nature est consubstantielle à l’architecture: dans l’idéal, il voudrait que la seconde « ne consomme pas d’énergie, ne dégage pas de gaz carbonique ».

Tadao Ando s’est exprimé de diverses façons mais a un faible pour les habitations: « tout commence là », dit ce dynamique septuagénaire.

« L’architecture c’est savoir où asseoir un enfant pour qu’il se sente au mieux dans une maison, ce n’est pas la beauté, c’est penser ensemble, vivre ensemble », dit celui qui mène de front actuellement plusieurs projets dont la réfection de la Bourse de Commerce à Paris.

Au moment où tous les secteurs d’activité sont concernés par l’émergence des robots et de l’intelligence artificielle, l’architecture rationnelle pourrait en théorie être l’oeuvre des ordinateurs, mais pour Tadao Ando, c’est une ineptie, elle est humaine avant tout.

« L’intelligence artificielle va certes changer le monde, mais il faut que l’intelligence de l’homme soit au-dessus », conclut M. Ando, qui est non seulement vu comme un des plus importants architectes contemporains, mais aussi un philosophe auteur de plusieurs essais dépassant le cadre de l’architecture

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