Les nouveaux artisans du flower power

© ARTURO ARITA / CASTEL

Une jeune génération d’artistes bouscule les codes de la composition florale classique. Et ambitionne de créer des oeuvres qui expriment la liberté, comme en pleine nature.

 » Des motifs floraux pour le printemps ? Quelle idée révolutionnaire ! « , ricanait Miranda Priestly, incarnée par Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada. Cette réplique cinglante soulignait alors l’indignation de la rédactrice en chef qu’elle interprétait dans ce film culte face au sempiternel retour des jupes et imprimés fleuris dans les rayons des boutiques dès que se pointent les beaux jours. C’est qu’en matière de pâquerettes et bégonias, le genre peine parfois à se réinventer. Et ce qui est vrai en mode l’est aussi en art floral. Au grand dam d’une nouvelle génération de fleuristes en vogue sur Instagram qui entend bien bousculer les codes.  » Cela fait des années que je vois la même chose partout dans le monde « , regrette Violeta Gladstone. En 2016, l’Espagnole a troqué son job de créatrice graphique contre une carrière parmi les corolles.  » Le style romantique façon jardin à l’anglaise, les tapis de fleurs esprit champêtre, les bouquets de fleurs sauvages cueillies  » spontanément « … Ces compositions sont particulièrement prisées pour les mariages et les événements. A juste titre, car elles sont magnifiques. Mais elles ne sont pas du tout subversives. Lorsqu’on imite la nature, la répétition est inévitable. Or, je ne veux pas imiter, je veux créer « , insiste-t-elle.

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violetagladstone.com© SDP

Chez ces artistes floraux ou végétaux, on ne commande pas de bouquets. Car ces avant-gardistes refusent délibérément d’assembler les tiges en cône, à la façon de grotesques pièces montées composées de couches de fleurs. Ils se moquent même des principes de l’ikebana, l’art séculaire japonais de la composition florale.  » Les règles traditionnelles sont trop restrictives à mon goût « , explique la New-Yorkaise Sophie Parker. En deux ans, ses expériences botaniques lui ont valu 27 000 followers sur Instagram.  » Les codes déterminent très précisément la manière d’assembler des organismes vivants afin de créer un microcosme de perfection. Ils édictent un canon esthétique général que je refuse de suivre. La beauté n’est pas l’essence. Je préfère de loin surprendre mon public ou le titiller.  »

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Mais ces fleuristes 2.0 ont beau vouloir se distinguer par leur travail, ils ont néanmoins un point commun, celui de considérer leurs créations comme des sculptures certes temporaires, mais autonomes. En cela, non seulement ils rompent avec les attentes liées à l’art floral décoratif, mais aussi avec le monde de l’art, immuable.  » On dirait que nous surfons sur une vague nouvelle, explique Sophie Parker. A l’instar du dadaïsme qui, à l’époque, voulait réinventer le monde de l’art de manière ludique, fantaisiste, voire extravagante, nous redécouvrons les fleurs et les plantes. Nous cherchons à composer avec audace, sans devoir entrer dans le moule romantique classique pour nous faire accepter. Et en ce sens, nous pouvons être aussi libres que la nature.  »

Violeta Gladstone, 40 ans, Barcelone

L’artiste aime se limiter à une seule fleur, une couleur unique ou encore des nuances de celle-ci. Elle explore surtout l’aspect formel de ses compositions.

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Violeta Gladstone qualifie son travail de  » minimalisme sculptural « . Elle précise :  » Mon amour de la sculpture et de la peinture abstraites est clairement perceptible, tout comme ma formation de créatrice graphique. Mais ce qui caractérise sans doute le plus mon travail, c’est que je me révolte contre toutes les normes qui m’ont été inculquées pendant mes études. Tout simplement parce qu’elles m’ennuient. Pourquoi créer de banals bouquets ronds alors que les fleurs se prêtent parfaitement à un jeu de hauteurs et largeurs ? Et pourquoi travailler avec des fleurs en boutons si je trouve que les fleurs complètement épanouies, presque fanées, sont les plus belles ? Le fait que j’opte toujours pour une seule couleur peut être considéré comme une forme de rébellion. Contrairement à ce que les règles affirment, un bouquet dans une teinte spécifique n’est pas ennuyeux ; il accentue les atouts et le caractère d’une fleur. Cela peut paraître un peu futile, mais je trouve qu’il est important de dialoguer avec les fleurs. Cela permet d’évaluer leurs limites, leur endurance de la pesanteur et leur bien-être dans le vase où elles trouvent place. Maintenant que je maîtrise l’art de donner forme, le nouveau défi consiste à trouver l’équilibre parfait.  » Les créations de l’Espagnole ne font pas l’objet de commandes et ne sont pas destinées à la vente.  » Je les vois plutôt comme un projet de recherche ou une bulle d’air personnelle. Cela me permet de concrétiser mes envies « , conclut-elle.

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Arturo Arita, 36 ans, Paris

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Le créateur privilégie les combinaisons sobres et graphiques de plantes tropicales, avec une prédilection particulière pour les heliconias et les palmiers éventails.

 » Il n’y a aucune rose dans ma galerie florale. C’est la seule fleur proposée vraiment partout. Je ne refuse pas une rose qui m’est offerte, mais je laisse aux autres le soin d’en acheter.  » Ce New-Yorkais, né au Honduras, a débarqué à Paris par amour et a dû s’y réorienter sur le plan professionnel.  » Dans mon pays, lorsque j’étais enfant, j’appréciais les jardins tropicaux qui m’entouraient, mais en raison de mon éducation, je n’ai pu continuer sur cette voie. Paris m’a offert l’espace artistique qui me permet de m’adonner à ma passion. « 

Son plus grand client est le créateur de chaussures Christian Louboutin. Ces hommes ont deux points communs : leur lieu de vie – ils habitent tous les deux rue Jean-Jacques Rousseau à Paris – et un talent pour la création de  » statement pieces « .  » Le vase est tout aussi important que les fleurs et les palmes qu’il contient. C’est une expérience totale. C’est pourquoi je me base toujours sur la structure du contenant, auquel j’ajoute une ligne graphique et une dynamique supplémentaire. « 

Aussi Arturo Arita est-il devenu un fervent collectionneur de vases. Impossible pour lui de s’en séparer. En tout cas pas pour le moment car il envisage de développer sa propre ligne destinée à accueillir ses somptueuses compositions florales.  » Et je veux surtout qu’ils soient abordables « , précise-t-il. Si les fleurs qu’il utilise peuvent coûter entre 2 et 50 euros la pièce, le créateur met un point d’honneur à imaginer des sculptures florales minimalistes… mais toujours flamboyantes.

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Sophie Parker, 32 ans, New York

L’Américaine peint à la main des feuilles d’alocasia et des fleurs d’anthurium et réalise des sculptures géométriques sur palme.

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 » Les fleurs sont souvent naturellement si belles et parfaites que je ne vois pas comment je pourrais créer une plus- value. En revanche, les feuilles sont les parents pauvres de l’art floral. Elles sont laissées pour compte parce qu’elles sont grandes et rigides, alors que, à mes yeux, elles représentent justement un canevas vivant unique.  » Sophie Parker est avant tout artiste peintre, mais elle qualifie son travail d’art botanique.  » Je n’utilise pas seulement de la peinture, j’ose aussi donner des coups de ciseaux dans une palme. La flexibilité, la rythmique et la structure des nervures et des feuilles offrent énormément de possibilités de modelage. Il est passionnant de découvrir des formes et des accents sur ces surfaces vertes qui semblent généralement si ordinaires.  » A condition d’en prendre bien soin, ses créations ont une durée de vie d’environ six à huit semaines. Certaines se fanent, d’autres se décolorent et sèchent, mais cela fait partie du processus.  » Mon travail est évolutif, c’est un cycle de vie. C’est pourquoi il est perçu comme très personnel et intime.  » L’Américaine n’a pas de boutique, mais un atelier dans lequel elle travaille pour ses clients.  » Je crée pour un lieu, une luminosité ou un moment personnel spécifique, car tous ces éléments influencent mon canevas, contrairement à un tableau, statique, accroché à un mur.  » Actuellement, comme les marchés aux fleurs new-yorkais sont fermés, tout comme chez nous, elle se fait du souci pour le secteur.  » Heureusement, j’ai la certitude que les plantes continueront à pousser et que je ne devrai pas refréner mon besoin d’expérimentation. Ce matin, en ouvrant mon frigo, j’ai tout à coup été subjuguée par un chou frisé. Et j’ai pensé que cette texture pourrait être matière à création.  »

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