Que devient Alain Gossuin, le mannequin belge superstar des années 90?

Il est l’une de nos gloires nationales, et depuis longtemps déjà. Alain Gossuin fut le top des tops models au siècle dernier. Il posait pour les plus grands photographes et défilait pour Dries Van Noten débutant. Aujourd’hui, le mannequin est au meilleur de sa forme, la preuve par ce shooting mode incarné et par sa pole position lors de l’ultime show du créateur anversois.
Il s’était avancé sur le catwalk recouvert de confettis argentés dans un silence presque religieux. Il portait un pantalon cargo couleur de désert, un marcel blanc, un long manteau noir et une barbe poivre et sel. Trouant la délicate mélancolie qui régnait dans cet immense hangar désaffecté de l’usine Babcock à la Courneuve, la voix de David Bowie et de son Sound and Vision fit frissonner toute l’assemblée, l’émotion en apothéose. C’était le 22 juin 2024, le dernier défilé de Dries Van Noten, sa 129e collection, l’ultime.
Pour ouvrir ce show, le créateur âgé de 66 ans avait choisi un homme de sa génération, qui de loin ou de près avait toujours été là. Dès le premier défilé, il y a plus de 40 ans, c’était le printemps-été 1992, Alain Gossuin jouait déjà les mannequins pour Dries – la boucle était bouclée. «J’ai trouvé extrêmement touchant qu’il me demande d’ouvrir ainsi son dernier défilé, confie le mannequin belge. J’ai trouvé l’idée très belle de se retrouver tous ainsi, de terminer en beauté ensemble. C’est une vraie histoire professionnelle et humaine… Je suis sentimental!» Et avec ce sourire juvénile et un peu frondeur qu’on lui connaît depuis les années 80, il confesse: «D’habitude, je n’aime pas trop défiler, j’ai un peu peur, mais pour la première fois de ma vie, je me suis senti très à l’aise… Je me suis étonné moi-même et je me suis dit que si je pouvais faire ce show-là, désormais je pourrais faire tous les autres.» Cette invitation a eu pour lui valeur de bénédiction, un peu comme si le créateur anversois avait «tamponné» son curriculum vitae, cela confirme qu’il a compté et qu’il compte toujours.
Backstage
C’est dans le matin gris que commence ce shooting mode à Anvers, sur la terrasse du showroom de Dries Criel, l’homme qui bijoute Lady Gaga commence. L’équipe qui photographie Alain Gossuin est à pied d’œuvre, pour notre spécial Homme. Il porte beau sa soixantaine. Il a enfilé la même silhouette que celle de l’ouverture du défilé de Dries Van Noten. Il s’assied sur une marche, plante son regard dans l’objectif de Zeb Daemen, le front plissé, mature et un peu bad boy à la fois. Il a du métier. Il déboutonne son manteau, avec pour tout commentaire un «c’est plus arty» qui n’appelle pas de contradiction, il a juste raison. Il propose qu’on travaille en musique, aussitôt dit aussi fait, «Don’t you wonder sometimes about sound and vision?», chante David Bowie.
On lui demande à brûle-pourpoint quel est son meilleur profil, il rit, il ne sait pas. Ilja De Weerdt, notre styliste, lui relève le col, on capte au vol quelques mots de leur conversation. De quoi parle un tel duo fashion, pensez-vous? De mode, évidemment, du prochain show de Tom Ford lors de la Fashion Week parisienne et du concert de Tamino juste après… Pause, Alain grille une cigarette, histoire de se réchauffer. Il regarde la succession de photos déjà dans la boîte en cette matinée de travail intense mais joyeux. Sur l’écran de l’ordinateur, les images s’additionnent, il trouve qu’«il y a quelque chose d’August Sanders dans ces clichés», c’est un joli compliment.
Souvenirs d’antan
«Fils, fais ce que tu veux. Mais pas la mode.» C’est ce que sa mère lui répète depuis qu’il est enfant. Elle sait de quoi elle parle, elle est alors styliste dans un petit atelier de confection, à Forest. «J’y allais souvent, je courais entre les rangées de machines et les étagères remplies de cônes de fil. J’ai grandi avec le bruit des ciseaux de coupe et des couturières qui parlaient entre elles, j’aimais cette ambiance.» Dans ses cahiers d’écolier, il dessine des voitures, de face, de dos, de profils, des tableaux de bord et des bateaux mais pas de fleurs – cet apprentissage lui servira plus tard, quand il étudiera la coupe-couture à l’institut Bischoffsheim puis à l’école de la Chambre Syndicale de la Haute Couture parisienne. Et aujourd’hui encore, quand il s’agit de construire sa collection à son nom.
‘C’était extrêmement touchant que Dries Van Noten me demande de participer à son dernier défilé. J’ai trouvé l’idée très belle de terminer en beauté ensemble.’
A 17 ans, quand Alain termine ses humanités, il ne sait trop quoi faire, il s’inscrit en droit à l’ULB, sur les conseils de son père. Les Trente Glorieuses ont alors pris fin, les punks ont essaimé et la mode est devenue à la mode – c’est l’époque florissante de nouveaux magazines qui s’emparent du sujet, formant ainsi le pilier central d’une culture pop qui enflamme tout. Alain Gossuin les dévore de A à Z, il connaît par cœur les visages des mannequins et les noms des photographes. Il ne sait pas encore que bientôt, il sera lui aussi un «cover boy». Il s’est trouvé un job d’appoint dans une boutique de la Galerie de la Toison d’or, qui vend Armani, Jean Paul Gaultier, Missoni, Mugler et Montana. Il accompagne les deux propriétaires à Milan pour la Fashion Week. «Même pas en rêve que j’aurais imaginé d’aller voir un défilé, s’amuse-t-il. Et puis lors d’une soirée de l’agence Fashion Model, un type vient me parler dans un anglais atroce, avec un accent français. Il me demande dans quelle agence de mannequins je suis, j’étais alors hyper timide, c’est à peine si je ne rougis pas et il ajoute: «Je veux que tu fasses mon défilé à Paris, voilà mon numéro de téléphone, appelle-moi.» Je ne savais pas s’il voulait me baratiner ou autre, j’ai pris le petit papier avec son numéro et je l’ai mis dans ma poche. Il a fallu que mes «patrons» me disent qui était ce type qui m’avait abordé, c’était Claude Montana.»
Il commence une carrière placée sous le sceau des heureuses rencontres. Même si cela ne lui était jamais passé par la tête de devenir modèle. «J’étais maigre, j’avais les dents de travers et un pif comme ça. J’étais un peu trop osseux, pas super bien foutu. Je ne ressemblais pas à un mannequin, surtout à l’époque, les mecs, c’était plutôt des Chippendales, rien à voir avec moi…»
‘Je n’étais pas un mannequin typique: j’étais maigre, j’avais les dents de travers et j’avais un pif comme ça.’
Dans sa mémoire, tous les souvenirs sont rangés, avec foule de détails, il n’a rien oublié, à part les dates exactes – ce qui complique le travail biographique. Il s’excuse élégant et primesautier: «Parfois, je mélange, je cale un truc avant l’autre, je deviens vieux, faut pas m’en vouloir!» Il passe du coq à l’âne et comme c’est un conteur hors pair, on lui en redemande. A la fin, cela donne un chapelet de noms et d’anecdotes «hallucinantes», où il est question, notamment, de Thierry Mugler, de Claude Montana, d’Herb Ritts, de Madonna, de Keith Haring, de Los Angeles, de Carla Bruni, de monsieur Valentino, d’une Maserati achetée avec l’argent de son premier grand shoot…
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Une vie avec lui-même
Presque quarante plus tard, Alain Gossuin peut aligner dans son CV les noms de Herb Ritts, Paolo Roversi, Olivier Toscani, Ellen von Unwerth ou Peter Lindbergh; les campagnes de pub pour Katharine Hamnett, Levis, Cerruti 1881, Valentino, Zegna et les shows de Kenzo, Zegna, Officine Générale ou Dries Van Noten.
Dans la rubrique «Profession», on trouve les mots mannequin et créateur, avec le nom de son label, Gossuin, lancé en 2004, qui comprend les essentiels de la garde-robe masculine, des chemises qui aiment la patine et des pulls tout doux, qui se bonifient avec le temps. Sous la case «hobby», on lit «écouter David Bowie en boucle» quand il ne partage pas son temps entre Paris, Knokke (où vivent ses parents), Lisbonne, («parce qu’il y fait beau et que la vie y est douce») et toute autre ville où son métier l’appelle.
Comprenez donc pourquoi dans cette vie-là, il n’y pas vraiment de place pour une personne qui partagerait tout avec lui, ni pour des enfants, un chien ou un poisson rouge – « Je n’arrive pas à me gérer moi-même, alors une famille… », fait-il un chouia fanfaron. Il a connu le temps, c’était au siècle dernier, où les agences de mannequins vendaient des posters de top models dédicacés au «prix unique de 39 francs». Il a connu les jours sans shootings façon traversée du désert. Désormais, il enchaîne les défilés et les séances de photos et tâche de rassurer sa maman. Elle s’inquiète pour son fils de 62 ans et elle lui répète de «surtout, bien travailler sur sa marque, car on ne sait jamais, mannequin, ce n’est pas un métier sûr».
Alain Gossuin, en bref
Le 18 décembre 1962, Alain Gossuin naît à Bruxelles.
A 17 ans, il a fini ses secondaires, il pose pour ses premières séries de mode pour Sarma et Bruphils.
En 1986, il défile pour Montana, c’est sa première fois.
1987 Il pose en caleçon américain et chaussettes hautes pour la campagne printemps-été de Valentino par Olivier Toscani.
En juin 1991, il défile pour Dries Van Noten, qui présente sa première collection printemps-été 1992.
En 1994, il chante avec 5 autres mannequins stars dont Cameron Alborzian, Greg Hansen et Werner Schreyer pour les enfants d’ex-Yougoslavie, Enfants de la Bosnie à l’abri.
En 2004, il lance sa marque appelée Gossuin.
En janvier 2019, il défile pour Junya Watanabe durant la fashion week homme.
En 2023, il joue aux côtés de Marisa Berenson dans Dégénérer, court-métrage de Tess Lochanski.
Le 22 juin 2024, Alain Gossuin ouvre le dernier défilé de Dries Van Noten.
En mars 2025, il est le top model de notre spécial Homme.
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