Luxe, drame et pauvreté, ou pourquoi La Parure de Maupassant continue de me hanter 20 ans après

La Parure de Maupassant
La Parure de Maupassant
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores, et voyage cette fois dans le temps. Celui, lointain, de La Parure de Maupassant, pourtant toujours si brillante aujourd’hui.

«Ma pauvre Mathilde! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs!» Dire que ces mots ont marqué ma psyché est un euphémisme, et si j’en crois les réactions exaltées des personnes avec qui j’ai parlé de La Parure, je suis loin d’être la seule à avoir été impactée par cette nouvelle de Guy de Maupassant, que j’ai pourtant lue pour la première fois il y a plus de vingt ans.

Paru en 1884 dans la revue Le Gaulois, le texte relate l’histoire d’une parure, celle prêtée par la bourgeoise Madame Forestier à son amie Mathilde Loisel, de condition plus modeste. Mais ce collier scintillant n’est qu’un prétexte. Parce que la plume de Maupassant, certes loué pour sa concision, est bien trop affûtée pour se contenter de polir quelque joyau imaginaire.

Et, surtout, parce qu’un bijou n’est jamais simplement un bijou, cette chronique n’offrant malheureusement pas suffisamment de place pour énumérer tous les rôles que tiennent les fantaisies de métal dont on se pare. Qui peuvent aussi bien être une promesse qu’une armure, un déguisement, un talisman, un rêve ou une blessure.

« Comme la vie est changeante!« 

Pour Mathilde Loisel, la parure empruntée est tout ça.

Car voyez-vous, bien que sans dot ni espérances, la Bretonne est «une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d’employés». Erreur? Oui, car comme le souligne Maupassant, il s’agit pour elle de rester «simple, ne pouvant être parée, mais malheureuse comme une déclassée; car les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur charme leur servant de naissance et de famille».

Ces mots ont près d’un siècle et demi, et on voudrait que leur substance appartienne au passé, mais ils trouvent encore un écho aujourd’hui.

Tout comme la volonté de cette beauté frustrée de jouer, le temps d’une soirée, à être exceptionnelle, grâce au pouvoir conféré par l’étreinte chatoyante de pierres sur sa nuque. Après tout, stars et autres célébrités ne se font-elles pas, elles aussi, prêter de précieux accessoires pour fouler les tapis rouges? Certes, on gagne bien sa vie à Hollywood, mais pas au point de s’offrir pour plusieurs millions d’euros de diamants, ou du moins, pas à chaque nouvelle tenue de gala qu’il s’agit d’agrémenter.

Heureusement, les grandes maisons prêtent bijoux et autres aux personnalités qui brillent autant qu’elles – avec, en prime, la présence d’un garde du corps pour s’assurer que rien n’arrive à ces faveurs hors de prix. Une protection à laquelle Mathilde Loisel n’a pas accès quand, parée comme jamais, elle danse sur la piste, «plus jolie que toutes, élégante, gracieuse, souriante» avec sa gorge ornée d’une rivière de diamants, triomphant de se savoir enfin appréciée à sa juste valeur.

Mais il s’agit d’une nouvelle de Maupassant, pas d’un film de Walt Disney. Le grand soir tourne au grand drame.

Plus de rivière, plus de diamants, et à la place de leur luxueuse lueur, la pénombre de l’angoisse, de la honte, et de la misère dans laquelle bascule le couple quand, plutôt que d’avouer, ils décident de remplacer à grands frais le bijou perdu sans rien dire à sa propriétaire. Laquelle, quand elle croise son amie des années plus tard, ne la reconnaît pas – des années de dur labeur ont le don de métamorphoser l’apparence. C’était pourtant justement pour la sauver que le couple Loisel n’avait rien dit, et déboursé 36.000 francs qu’il ne possédait pas pour suppléer un bijou qui n’en valait que 500.

«Que serait-il arrivé si elle n’avait point perdu cette parure? Qui sait? Qui sait? Comme la vie est changeante! Comme il faut peu de chose pour vous perdre ou vous sauver!», remarque l’inoubliable auteur du Horla. Non, décidément, un bijou n’est jamais accessoire. Surtout quand, en le portant, on espère changer d’essence.

La Parure et autres contes cruels, par Guy de Maupassant, Folio Junior.

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