Bioplastique: quand le design surfe sur la vague verte, à juste titre (ou pas)
Les polymères pétrochimiques ont mauvaise presse, et l’industrie du design semble n’avoir d’autre choix que de les réinventer. Futur en marche ou poudre aux yeux? On se penche sur ces « néoplastiques » avec l’aide bienvenue d’un expert, Renaud De Bruyn. Exemples à l’appui.
>> A lire également: Les ambitions écolo des grands de la mode
Après une lune de miel longue de près d’un demi-siècle, le divorce est consommé: fini d’user et abuser de ce matériau pourtant si pratique et si polyvalent, un temps synonyme de démocratisation et de modernité. Pour rester dans nos vies, le plastique va devoir montrer patte verte, poussant les marques et éditeurs à estampiller leurs nouveautés de logos certifiant la greenitude des choses. Problème: entre déclarations de louables intentions et considérations techniques, limite ésotériques, il devient très vite compliqué de s’y retrouver. D’où notre tentative, que l’on espère circonspecte et nuancée, de faire le point sur la question avec Renaud De Bruyn, expert chez Ecoconso. « Depuis un an ou un an et demi, c’est devenu un thème quasiment quotidien dans les médias, alors que la problématique remonte à nettement plus longtemps, constate celui qui est en charge du pilier « déchets, eau et alimentation » auprès de l’ASBL namuroise. Ce qui est nouveau, c’est qu’on en parle autant. »
Ingénieur agronome de formation, l’éco-conseiller dispose de la « bonne base technico-scientifique » qui fait largement défaut au quidam pour tenter d’y voir plus clair. « Le plastique est à éviter dans beaucoup d’objets du quotidien, mais il n’a rien de mal en lui-même, explique-t-il. C’est même un produit relativement écologique dans le sens où il a une longue durée de vie, il est costaud et s’use peu. Il peut être intéressant dans pas mal de cas. Mon ordinateur est en plastique, et il n’est pas sûr qu’un PC avec une coque en magnésium soit meilleur en termes d’utilisation d’énergie. Il reste difficile de faire la balance entre les deux: on doit parfois choisir entre la peste et le choléra. Quand on parle de matières ou de processus de fabrication, on a rarement une solution parfaite, qui va présenter l’ensemble des avantages. » D’où l’attirance des consommateurs et consommatrices pour des articles labellisés éco, green ou bio, sans malheureusement que ces acheteurs puissent juger du bien-fondé de telles allégations. Dépourvu des connaissances scientifiques et rarement assez motivé pour entamer des recherches plus poussées, le client lambda se contentera de faire confiance au discours des industriels, et de débourser un supplément pour souscrire à l’une des deux options proposées actuellement: le plastique recyclé ou le bioplastique.
Des procédés en question
Au dernier Salon international du meuble de Milan, grand-messe mondiale où se presse le gotha du design, l’éditeur scandinave Houe a marqué les esprits avec ses jarres de débris de plastique, que l’on disait « récoltés sur les plages danoises » pour fabriquer la chaise Falk. Une affirmation qui fait lever les sourcils de notre interlocuteur, peu convaincu par la viabilité d’un tel modèle: « Ça n’a pas beaucoup d’intérêt d’éditer des chaises au départ de tels déchets. Il vaudrait mieux éviter d’en générer, et puis éventuellement proposer des sièges en plastique, à partir de matières propres, vierges, susceptibles d’être recyclées. Utiliser ce matériau pour faire une chaise plutôt que des emballages « évitables », ensuite transformés en chaises, c’est un détour. Dans ce cas précis, ils ne dévoilent rien de leur méthode. Donc, soit ils ne s’intéressent qu’à un type de plastique – lequel et quid des autres? – soit ils les utilisent dans leur ensemble, mais alors je ne vois pas comment on peut techniquement arriver à quelque chose de correct avec sept catégories de plastiques (lire encadré), dont les propriétés s’avèrent très différentes. »
Voilà l’un des points cruciaux de la problématique: on oublie trop souvent que les polymères n’ont rien d’un ensemble homogène. « Certains produits se recyclent facilement, comme le verre: quand on le collecte, on sait que l’on est face à quelque chose de relativement homogène, et donc que l’on obtiendra un résultat valable. Par contre, pour le plastique, on a beaucoup de mal à aboutir à un matériau de qualité. » Si critiquable soit-il, ce type d’initiative fait pourtant partie du cheminement pour arriver à une filière « green » bien pensée. « Au cours du processus, il va y avoir des bonnes et moins bonnes idées, ainsi que de la poudre aux yeux, mais ça contribue à l’évolution », abonde Renaud De Bruyn.
Ecobilan mon amour
Toujours à Milan, le fabricant américain Emeco – qui n’en n’est pas à son coup d’essai (voir encadré ci-dessous) – dévoilait sa dernière collaboration avec le duo Barber & Osgerby: la collection On & On, en PET recyclé. Si l’on constate un progrès par rapport au « fourre-tout » en vigueur chez Houe, après examen détaillé du résultat, on déchante un peu: la proportion de PET n’est que de 70%, auxquels doivent s’ajouter 10% de pigments (non-toxiques) et 20% de fibre de verre. L’avis de notre expert: « C’est recyclé ou recyclable, donc on pourrait se dire que c’est déjà bien. Seulement, s’il n’y a pas de filière ad hoc, ça ne sert à rien » – car, oui, il existe des produits théoriquement recyclables sans circuit susceptible de les traiter, comble de la com’ cynique et de l’absurdité. « En outre, poursuit-il, un produit recyclé n’est pas nécessairement recyclable – même si dans ce cas-ci, on vise à terme le « chair to chair », soit fabriquer de nouvelles chaises avec des anciennes. Mais pour cela, il faut encore savoir si l’objet peut être traité plusieurs fois, et rien ne le garantit. A l’heure actuelle, recycler en boucle, dans l’optique d’une économie circulaire, est toujours une gageure. »
Pour compléter notre panel, direction Anvers et le fabricant de jouets et mobilier recyclés et recyclables pour enfants EcoBirdy, pas peu fier de sa méthode brevetée éponyme. Ici, les rebuts de polymères – en l’occurrence, de vieux jeux – sont soigneusement triés à la main et traités par un procédé de haute technologie qui leur est propre. Le matériau ainsi obtenu, baptisé ecothylene, révèle dans sa masse une multitude de paillettes colorées, comme autant de souvenirs des détritus revalorisés. « Ça a l’air intéressant, commente Renaud De Bruyn, mais je demande à voir un écobilan du processus en question. Il est très difficile d’obtenir une info concrète, technique, derrière le vocabulaire marketing et la publicité – or, c’est justement ce qui démontre un intérêt potentiel pour l’environnement… ou pas. Je peux comprendre que les entreprises protègent leurs secrets de fabrication, mais cela rend d’autant plus importants les labels et législations encadrant ces procédés. » En résumé, toutes les méthodes ne se valent pas, et il est difficile de les comparer en connaissance de cause, ce qui replonge le consommateur, malgré sa bonne volonté, dans la perplexité. « Personne n’a de solution clé-en-main, on est obligés de réfléchir et d’avancer en même temps. Mais si le processus de recyclage a un impact supérieur à son bénéfice, on peut se demander si cela en vaut vraiment la peine. »
Biopolymères, fausse bonne idée?
Alors que se multiplient les initiatives, des voix s’élèvent pour en critiquer le principe même. Curateur de la Biennale d’Istanbul, notre compatriote Jan Boelen avait jeté un fameux pavé dans la mare l’an dernier, arguant que les designers devaient carrément oublier le recyclage, ce « bullshit » juste bon à soulager notre conscience. Selon lui, le salut passera par le bioplastique… mais encore faut-il savoir ce que l’on entend par là. « Le terme n’est pas protégé, nous apprend Renaud De Bruyn, et pas univoque; c’est soit du biosourcé, soit du biodégradable ou compostable. » Faute de définition plus claire, on s’en contentera. Et plutôt que de s’attarder sur les supposées vertus du mobilier compostable, on se bornera à étudier la première proposition à base de matières renouvelables, typiquement des végétaux. « Ici, on note à nouveau une différence entre le fait d’en cultiver expressément dans ce but, ou de recourir aux résidus de plantes. Or, utiliser des terres agricoles pour faire du plastique, et pas pour nourrir les populations, c’est une fausse bonne idée. » Et l’exemple n’est pas pris au hasard : on estime en effet qu’en Europe, 40% de la fabrication est destinée aux emballages, qui présentent par définition une durée de vie limitée et aucune réutilisation intéressante. Dernier détail, et non des moindres: le plastique biosourcé peut causer des dommages équivalents à celui qui est issu de la pétrochimie: « On peut autant obtenir du polyéthylène à base de pétrole que de végétaux, et il conservera des inconvénients identiques: pas biodégradable, source de fumées toxiques, etc. » Donc pas vraiment un progrès, surtout si c’est pour un résultat plus cher. Pas étonnant, dès lors, que l’on estime la part « bio » à seulement 1% de la production totale.
Un cahier des charges crédible
S’il y a un éditeur qui a beaucoup à perdre dans l’histoire, c’est bien Kartell, empire plastique par excellence, qui n’a pas attendu 2019 pour prendre les devants – que ce soit en sortant ses premiers meubles en bois, ou en entrant dans le capital de Bio-On, leader italien de la bioplasturgie. En jetant un oeil aux caractéristiques du matériau-phare de ce dernier, le Minerv-PHA, un biopolymère à hautes performances obtenu par fermentation bactérienne de sucre, notre expert chez Ecoconso semble cette fois relativement séduit: « Ici, on nous indique que le produit est biosourcé sans concurrence avec la chaîne alimentaire, et porteur de labels certifiant sa compostabilité, 100% naturel et 100% biodégradable. Au moins, il y a un cahier des charges, c’est crédible. » Moins d’enthousiasme par contre à l’égard de l’ecopixel, mono-polymère reutilisé, employé par le vétéran Alessandro Mendini pour une nouvelle version de sa chaise longue Alex, du moins a priori: « Les éléments communiqués ne disent rien de spécial sur ses vertus ou ses performances environnementales. Les infos relatives à la densité, la température, la résistance, sont plutôt destinées aux industriels. » Pas de trace d’un écobilan, qui permettrait d’adopter une position critique, mais assez de littérature et de tableaux pour perdre le quidam. « On ne peut pas dire si le produit final s’avère meilleur qu’un équivalent pétrochimique. Des pommes bio, venues d’Argentine et emballées individuellement, valent-elles mieux que celles qui ne le sont pas mais s’avèrent belges et vendues en vrac? Si l’exemple n’est pas directement transposable, c’est la même idée », résume notre spécialiste.
Alors, que faire?
Reste qu’au-delà de toutes ces considérations, les consommateurs conscientisés, soucieux de poser le bon geste, hésitent trop souvent sur la manière d’agir. « Il faut se demander à quel échelon l’impact est le plus important, indique Renaud De Bruyn. Pour une série d’objets, surtout compliqués, comme les smartphones, l’étape la plus lourde pour l’environnement, c’est la fabrication. Alors que pour des fruits et légumes, par exemple, ce sera la production sous serres chauffées, ou le transport si la denrée vient de loin. Il faut choisir sur quoi on préfère agir, il n’y a pas toujours de meilleure attitude dans l’absolu, plutôt une suite de compromis. » Et dans le cas précis du plastique? « On ne veut pas le diaboliser, répond l’expert, mais autant l’utiliser pour des objets dont la durée de vie est importante, et pas pour de l’emballage qui va être vite jeté. Ensuite, opter pour un matériau potentiellement recyclable. » Bref, pas grand-chose à faire, si ce n’est essayer de se passer de plastique, et quand ce n’est pas possible, viser la version biodégradable pour ceux qui risquent de se retrouver dans la nature. Et inutile d’opposer réponses technologique et comportementale, toutes deux ont leur rôle à jouer ; les avancées scientifiques n’ont aucun sens si elles servent uniquement de blanc-sein pour abuser de « jetable ». Elles devraient entrer en compte dans les critères d’achat, à condition de pouvoir démêler le vrai du faux en grattant la surface du joli discours eco-friendly servi par l’industrie. Autre option: décider de faire mieux avec moins, de privilégier les objets qui durent ou sont réparables, ou encore de trouver son bonheur en seconde main.
Sur la piste des alternatives h2>
p>
Galeriste milanaise parmi les plus influentes du design contemporain, Rossana Orlandi a profité de la hype autour du dernier Salon international du meuble pour lancer un prix, le RO Plastic Prize. But du jeu? Trouver une alternative « guiltless » (« sans culpabilité ») aux polymères traditionnels, dans différentes catégories: design, packaging, textile et projet d’innovation. Toujours dans la capitale lombarde, l’expo du New Material Award préférait se concentrer sur les alternatives, et le moins que l’on puisse dire, c’est que des pistes surprenantes ont été explorées: cordages faits de cheveux humains, « rocher » de déchets gazéifiés au plasma à 10.000 °C, colorants tirés de résidus de métaux lourds ou glaçage aux particules fines, sans oublier les deux gagnants, un bioplastique réalisé à partir d’algues, et une sorte de bakélite obtenue en moulant du sang animal récupéré dans des abattoirs… p>
Il y a dix ans déjà: Emeco x Coca-Cola h2>
p>
Producteur de la célèbre Navy Chair, assise en aluminium destinée aux vaisseaux de guerre américains durant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir un classique du design US, l’éditeur Emeco s’était offert un joli coup de com’ en s’associant à Coca-Cola en 2008. L’idée de ce partenariat? La création d’une version plastique de la Navy, via le recyclage de bouteilles de l’iconique boisson – cent-onze par modèle, d’où son changement de matricule, passant de 106 pour l’originale, à 111 (en photo, à gauche) pour la nouvelle (en photo, à droite). Au-delà des belles intentions, les deux compagnies n’ont pas été épargnées par les accusations de greenwashing – enfin, surtout Coca-Cola. De son côté, Emeco tient encore à jour sur son site Internet le total de flacons revalorisés; à l’heure de boucler cet article, le compteur dépasse les 35 millions. Car la 111 Navy est toujours disponible à la vente aujourd’hui, au prix de 400 euros. p>
p>
Sur la piste des alternatives h2>
p>
Galeriste milanaise parmi les plus influentes du design contemporain, Rossana Orlandi a profité de la hype autour du dernier Salon international du meuble pour lancer un prix, le RO Plastic Prize. But du jeu? Trouver une alternative « guiltless » (« sans culpabilité ») aux polymères traditionnels, dans différentes catégories: design, packaging, textile et projet d’innovation. Toujours dans la capitale lombarde, l’expo du New Material Award préférait se concentrer sur les alternatives, et le moins que l’on puisse dire, c’est que des pistes surprenantes ont été explorées: cordages faits de cheveux humains, « rocher » de déchets gazéifiés au plasma à 10.000 °C, colorants tirés de résidus de métaux lourds ou glaçage aux particules fines, sans oublier les deux gagnants, un bioplastique réalisé à partir d’algues, et une sorte de bakélite obtenue en moulant du sang animal récupéré dans des abattoirs… p>
La base: la Plasticotek h2>
p>
C’est à juste titre que le ADAM – Brussels Design Museum s’enorgueillit de posséder le Plasticarium, soit l’une des plus belles collections de design plastique au monde. Peut-on dès lors en déduire que cette institution fait l’apologie de la matière elle-même? Non, sa vocation étant de contextualiser une partie de la production design du XXe siècle, tout en proposant une réflexion sur la créativité et l’iconisation d’objets du quotidien. Poussant la pédagogie plus loin, l’équipe du musée a en outre ouvert une Plasticothèque, espace didactique où les visiteurs ont tout le loisir d’identifier les différents types de plastique, de distinguer leurs usages et propriétés, et de les manipuler sous une forme commune. Un premier pas simple mais bienvenu vers une meilleure compréhension d’un matériau complexe et multiple, trop souvent réduit à un tout homogène. p>
Il y a dix ans déjà: Emeco x Coca-Cola h2>
p>
Producteur de la célèbre Navy Chair, assise en aluminium destinée aux vaisseaux de guerre américains durant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir un classique du design US, l’éditeur Emeco s’était offert un joli coup de com’ en s’associant à Coca-Cola en 2008. L’idée de ce partenariat? La création d’une version plastique de la Navy, via le recyclage de bouteilles de l’iconique boisson – cent-onze par modèle, d’où son changement de matricule, passant de 106 pour l’originale, à 111 (en photo, à gauche) pour la nouvelle (en photo, à droite). Au-delà des belles intentions, les deux compagnies n’ont pas été épargnées par les accusations de greenwashing – enfin, surtout Coca-Cola. De son côté, Emeco tient encore à jour sur son site Internet le total de flacons revalorisés; à l’heure de boucler cet article, le compteur dépasse les 35 millions. Car la 111 Navy est toujours disponible à la vente aujourd’hui, au prix de 400 euros. p>
p>
Sur la piste des alternatives h2>
p>
Galeriste milanaise parmi les plus influentes du design contemporain, Rossana Orlandi a profité de la hype autour du dernier Salon international du meuble pour lancer un prix, le RO Plastic Prize. But du jeu? Trouver une alternative « guiltless » (« sans culpabilité ») aux polymères traditionnels, dans différentes catégories: design, packaging, textile et projet d’innovation. Toujours dans la capitale lombarde, l’expo du New Material Award préférait se concentrer sur les alternatives, et le moins que l’on puisse dire, c’est que des pistes surprenantes ont été explorées: cordages faits de cheveux humains, « rocher » de déchets gazéifiés au plasma à 10.000 °C, colorants tirés de résidus de métaux lourds ou glaçage aux particules fines, sans oublier les deux gagnants, un bioplastique réalisé à partir d’algues, et une sorte de bakélite obtenue en moulant du sang animal récupéré dans des abattoirs… p>
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici