Carte blanche à Walter Lecompte

Il aime les défis, les belles peaux, encourager les jeunes talents. Walter Lecompte a la modestie des grands. Une vie dans la fourrure.

Il aime les défis, les belles peaux, encourager les jeunes talents. Walter Lecompte a la modestie des grands. Une vie dans la fourrure.

Par Anne-Françoise Moyson / Photo : Emmanuel Laurent

Il a croisé les bras, posé au débotté, les yeux droits dans ceux du photographe – il le connaît depuis si longtemps ; il a esquissé un mince sourire qui colle pile-poil à son air de clergyman, mais l’air seulement – il faut l’écouter rire, Walter Lecompte, un torrent enthousiaste qui ricoche sur les murs blancs du studio 202 où se shoote la carte blanche que lui a proposée Le Vif Weekend. Il y a rassemblé une dream team, des intimes doublés de pros, pour relever ce défi – un fourreur invité dans un numéro printemps-été, c’est décalé, et pourquoi pas ? A l’image du décor de cette production mode : l’envers, les coulisses, façon scène d’intérieur. Un déclic, emballé, Walter Lecompte peut retourner dans son atelier, à l’ombre du Palais de Justice de Bruxelles, dans cette maison de maître très fin XIXe siècle qui vit à son rythme depuis vingt ans maintenant.


Quatre à quatre, il monte l’escalier, s’arrête un moment dans son showroom immaculé, prêt à remonter le temps, parler de ses débuts, à 15 ans, mais déjà il se lève, va chercher dans ses archives un échantillon d’astrakan qu’il préfère à tout autre, ouvre deux immenses portes miroirs et saisit sur la tringle un blouson en vison avec capuche moelleuse, une étole en renard aérienne, une fausse plume, légère comme un souffle. Car aujourd’hui, en sus, Walter Lecompte signe une ligne d’accessoires follement désirables et s’aventure même à copier conformément mais en fourrure incrustée une toile abstraite de son fils Wannes, peintre – « Je n’avais jamais pensé que ce serait aussi beau. »


Il ébouriffe une épaulette rose shocking en lapin rex, ses doigts portent les traces d’une teinture bleue – il y a cinq minutes à peine, dans son atelier, première porte à droite, il humectait une future veste, côté cuir, pour éviter un gondolement intempestif. Venez voir, là, sur une grande table, agrafée, la peau sèche. Viendra ensuite le temps de l’assemblage, comme un puzzle savant. « Prenez dix fourreurs, un patron et le même paquet de peaux pour chacun, cela fera dix manteaux différents. » Comment trouver alors l’harmonie millimétrée ? « Décider ce qui sera le mieux, le plus beau, le plus innovant » et chahuter parfois les règles de l’art – « il n’y a jamais de solution parfaite dans la fourrure. » Il dit « je suis coupeur », comme on afficherait un titre de noblesse, il sait qu’il est peut-être l’un des derniers.


Walter Lecompte a 60 ans, ne les fait pas, et quarante-cinq de métier. Ce n’était, au départ, pas un choix. A 15 ans, « tu seras fourreur, mon fils », c’est tombé sur lui, le plus jeune des six enfants, chargé de reprendre plus tard la Maison de son père à Wevelgem. En attendant, il quitte la Flandre occidentale, monte à Bruxelles, entre comme apprenti chez Slachmuylder, chance, la maison porte le label haute fourrure, trente artisans, un atelier à côté du Hilton, « le gamin » apprend vite et bien.

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En 1977, il s’installe seul, à Laeken, dans un vieux café qui lui sert de boutique-atelier, Miche, sa femme et Marie-Christine, sa mécanicienne, sont déjà à ses côtés. Les grandes enseignes ferment leurs portes, l’une après l’autre, lui déménage, signe une petite collection, soigne ses présentations, finit, en 1989, par racheter la maison qui l’a formé et s’installer place Jean Jacobs où il débute une collaboration avec La Cambre mode(s) pour « changer l’image désastreuse de la fourrure ». Dans cet atelier, la fine fleur des étudiants découvrira l’art et la matière : Olivier Theyskens imaginera un manteau drapé sur buste, Jose Enrique Ona Selfa, des silhouettes siglées Loewe et plus tard, Laetitia Crahay des manchons chanelissimes. Olivia Hainaut et Emmanuel Laurent, le photographe de cette carte blanche, y dessineront même une deuxième ligne pour lui, présentée à Paris dès 1997, avec succès, à l’avant-garde : depuis, tout le monde s’est mis à faire des petites vestes en lapin, n’est-ce pas ?


On l’imagine sans peine en passeur de savoir. Et aussi en artisan qui répond « chiche » plutôt deux fois qu’une. Jeune créateur, grande maison de couture, il ne fait pas de différence. Et collabore avec Dries Van Noten, Ann Demeulemeester, Rochas, Nina Ricci, Natalia Brilli, Balmain, Bruno Pieters, Natan, Cathy Pill, Titipon Chitsantisook, Sandrina Fasoli, Chanel. Pas sûr que la liste soit complète, Walter Lecompte est un modeste qui a l’étoffe des hérauts.

La Carte Blanche

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