C’était sans doute l’un des événements les plus attendus de cette Fashion Week masculine printemps-été 2026: le premier défilé pour Dior de Jonathan Anderson, qui a repris le flambeau à la célèbre maison il y a quelques semaines. Compte-rendu de ce défilé auquel nous avons eu la chance d’assister.
L’invitation au défilé Dior prenait la forme d’une solide boîte gris foncé contenant une assiette en porcelaine sur laquelle trônaient trois œufs en porcelaine, réplique d’une trouvaille exhumée des archives de la maison.
La collection — la première signée Jonathan Anderson pour Dior — avait été teasée en amont avec des polaroïds d’Andy Warhol datant des années 80, et un court-métrage où apparaissait le footballeur Kylian Mbappé, vêtu d’une chemise rayée et d’une cravate.
Le lieu, une tente éphémère dressée sur les terrains de l’École Militaire à Paris, s’inspirait des intérieurs de la Gemäldegalerie de Berlin, avec des murs recouverts de velours sur lesquels étaient accrochées deux natures mortes de Jean Siméon Chardin.
Une assemblée prestigieuse
Face à nous: Le Panier de fraises, peint en 1761, la représentation d’un simple plat de fraises. Et dans notre champ de vision également: Donatella Versace, les idoles adolescentes du groupe de K-pop Tomorrow x Together, les acteurs thaïlandais Apo et Miles, ainsi que Rihanna et A$AP Rocky, escortés à l’intérieur à la toute dernière minute.
À l’extérieur, comme à chaque grand défilé parisien, une foule de jeunes enthousiastes était massée derrière des barrières de sécurité. Une petite camionnette circulait parmi eux, équipée d’écrans vidéos diffusant un film promotionnel avec Apo — surnom de l’ultrapopulaire Nattawin Wattanagitiphat — ambassadeur de Dior de longue date, et qui le restera.
Un air de renouveau flottait dans l’atmosphère. Mais ce film laissait entendre que cette nouvelle ère ne serait pas une table rase. Une impression confirmée par la suite. Ces derniers mois, le paysage de la mode a été profondément redessiné, avec l’arrivée de nouveaux créateurs à la tête d’une douzaine de maisons emblématiques, de Balenciaga à Chanel, en passant par Gucci ou Versace. Ceux-ci dévoileront leurs nouvelles collections en septembre, mais Dior ouvrait le bal.
Jonathan Anderson arrive fort de dix années passées chez Loewe, où il a tracé un parcours quasi irréprochable. Il dirige également sa propre marque, J.W. Anderson, et signe deux fois par an une capsule pour Uniqlo. Chez Dior, il succède à la fois à Kim Jones (mode homme) et à Maria Grazia Chiuri (mode femme). Depuis qu’Hedi Slimane a fondé Dior Homme il y a un quart de siècle, les lignes masculine et féminine avaient toujours été confiées à des designers distincts. Anderson est le premier à orchestrer les deux. Il semble savoir gérer la pression.
L’esprit musée
Christian Dior appréciait, dit-on, l’œuvre de Chardin, peintre qui cherchait la beauté dans le quotidien, préférant la sobriété à la grandiloquence. Anderson, qui aime faire dialoguer art et mode chez Loewe, a précisé que « le musée est un lieu public où les conversations prennent vie, et où l’Histoire devient partie intégrante du quotidien ».
Emprunter des œuvres majeures à des musées prestigieux pour en faire le décor d’un défilé n’a rien d’un geste modeste, et le défilé Dior n’était d’ailleurs pas public. L’accès était réservé aux invités munis d’une pièce d’identité; à l’intérieur, une hôtesse nous a confisqué notre bouteille d’eau. En revanche, on pouvait flâner librement parmi les célébrités avant le début du show — peut-être même parce qu’il y avait davantage de stars que de « simples » invités. Salut, Daniel Craig. Bonjour, Robert Pattinson. Hello Sam Nivola, Sabrina Carpenter.
Et il y avait aussi les collègues: Kris Van Assche, ex-directeur artistique de Dior Homme durant dix ans; Lazaro Hernandez et Jack McCollough de Proenza Schouler, qui succèdent à Anderson chez Loewe; Donatella Versace; Pier Paolo Piccioli, qui fera ses débuts chez Balenciaga; Matthieu Blazy, nouveau chez Chanel; ou encore Michael Rider, appelé à succéder à Hedi Slimane chez Celine dans une grosse semaine. Pour ne citer qu’eux.
Un défilé sous le signe du renouveau discret
Le show a débuté après l’entrée en scène de Rihanna et A$AP Rocky, sur la chanson Storm Trooper, tirée de l’album Nebraska de Bruce Springsteen, inspiré du groupe d’électro avant-gardiste Suicide.
Première impression: Anderson propose une garde-robe plus quotidienne, plus portable que celle de Kim Jones. Une collection jeune, aussi.
Il y avait du denim sexy, à l’image des débuts de Dior Homme, quand Hedi Slimane puis Kris Van Assche avaient relancé le vestiaire masculin avec succès. Des chemises rayées et des cravates, clin d’œil à celles portées par Daniel Craig dans le public — un retour aux années 80, quand la ligne Dior Monsieur habillait les businessmen. Et des pulls tout simples, ornés d’un logo revisité de manière subtile.
Dans l’héritage de Christian Dior — qui n’a dessiné que des collections pour femmes — Anderson a repêché trois robes emblématiques: la Caprice, la Cigale et la Delft. Il les a réinterprétées en shorts spectaculaires et démesurés. Il a aussi revisité la veste Bar, en tweed de Donegal, et fait reproduire une douzaine de vestes militaires des XVIIIe et XIXe siècles.
De Maria Grazia Chiuri, il a repris le sac Book Tote, qu’il a fait imprimer avec des couvertures de classiques de la littérature mondiale: Dracula de Bram Stoker, Bonjour Tristesse de Françoise Sagan, De sang-froid de Truman Capote, Les Fleurs du mal de Baudelaire. Et en look final: un costume en flanelle grise, sobre et efficace.
Une réinvention mesurée, pleinement assumée
La collection entière relevait du patchwork entre passé et présent, ce qui, somme toute, correspond parfaitement à l’époque. Une version plus commerciale de Dior, pensée pour être portée. Hormis les pièces maîtresses du défilé, les vêtements n’étaient pas très éloignés de ce que portent déjà les jeunes aujourd’hui. Ce n’était donc pas un lancement tonitruant — et ce n’était visiblement pas l’intention. C’était une amorce.
En amont du défilé, Anderson avait d’ailleurs admis ne pas encore bien connaître la maison, et affirmé qu’il lui faudrait « cinq collections pour remettre Dior sur les rails ». « On ne peut être moderne que si l’on n’a pas peur du passé », a-t-il déclaré après le show. « Il faut respecter les codes d’une maison, mais on peut les étirer, sans trop se soucier de ceux qui sont passés avant. » Il a ajouté qu’il souhaitait explorer à chaque collection un autre aspect de Dior. Non pas un seul Dior, mais une multiplicité de Dior. Une idée qui colle à notre époque, avide de nouveauté perpétuelle.
« Je veux apposer ma signature chez Dior », a-t-il conclu, « mais au fond, le label est plus grand que moi. Il s’agit d’un recalibrage. Une nouvelle génération prend le relais, la mode change, et le changement est une bonne chose. »