Anne-Françoise Moyson

Chronique | La mode est la promesse que quelque chose d’autre est possible

Coup de cœur ou coup de gueule? Nos journalistes dissèquent quelques faits interpellants de l’actu lifestyle. Ici, Anne-Françoise Moyson, notre journalise mode revient sur les défilés de mode, véritables instants suspendus qui nous filent des frissons.

Ça se passe sur le parvis du Palais de Tokyo, à Paris, côté Seine. On est en mode Fashion Week, fin septembre 2024. Sur les toits, de chaque côté des escaliers forcément majestueux, trois silhouettes encapées de noir se découpent sur le ciel miraculeusement purifié par la pluie. Lentement, d’un geste large et solennel, elles jettent des pétales de roses virginales qui s’en vont au gré du vent et se posent sans bruit sur le sol de marbre. Une rangée de vasques ébène laisse échapper des volutes de fumée blanche. Dans ce décor hollywoodien, s’avance au ralenti une procession fantasmagorique. Des créatures vêtues de noir, chaussées de même, marchent en groupe, en grappes de 20, de 4, et parfois solitaires, qui ne disent rien d’autre que la puissance du collectif. 

Ce sont les vestales de Rick Owens, sa tribu de weirdos & freaks, sa famille ouverte à tous.tes, surtout à l’étrangeté, qui est étrange au premier abord seulement et n’est en réalité que le sceau de la créativité. Le prélude de Tristan und Isolde de Wagner par le Wiener Staatsoper Orchestra emporte tout. L’émotion affleure, elle va même jusqu’à vous submerger, on n’est pas la seule à le vivre ainsi, elle se lit sur les visages de cette assemblée d’habitude blasée qui court les défilés.  

Rick Owens est un designer qui compte et qui n’aime pas faire les choses comme tout le monde, il le prouve depuis ses débuts, voilà trente ans exactement. Il a un jour évoqué l’idée que la mode avait quelque chose à voir avec la pureté, la sincérité et l’envie de «se créer un cocon où l’on se sent protégé». A 62 ans, il n’a pas bâillonné l’enfant qu’il fut, si différent des autres qu’ils le lui firent payer à grand renfort de bizutage… 

Faire passer un message (et des émotions)

Alors, quand il a un message à délivrer, il choisit de présenter un défilé-profession de foi. Soit seize minutes de show en plein air; une collection printemps-été 25 qui défie l’apesanteur et mixe tant de savoir-faire; une troupe de 200 mannequins, composée d’étudiants d’écoles de mode et de leurs professeurs, d’amis de la maison, de membres de l’équipe et d’artistes non formatés qui embrassent généreusement leur esthétique.

Rick Owens a ainsi convoqué son «armée d’amour», qui brille par sa totale disparité des corps, des peaux, des volumes, des canons de beauté. Avec une puissance magnétique, elle rassemble cependant les différences et embrasse les points communs, c’est le vœu du créateur qui entend «exprimer des sentiments d’unité et de confiance mutuelle en un moment où l’intolérance est à son paroxysme». Il dit que la mode est «la promesse que quelque chose d’autre est possible». Et on a envie de le croire. Et de venir grossir les rangs de cette armée du salut, ne fût-ce le temps d’un défilé qui file des frissons. Seize minutes de mode-manifeste peuvent parfois porter en elles des ferments d’espoir et de paix.

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