« M’enfin Filip, on ne va pas faire ça » : comment A.F. Vandevorst a décidé de remettre sur le marché ses emblématiques bottes X010

X010
© GF

Pendant des années, la X010, modèle hybride au côté brut, à mi-chemin entre la botte d’équitation et de moto, a été la chaussure A.F. Vandevorst par excellence. Un quart de siècle plus tard, cette icône fait son grand retour.

«Pour moi, tout a commencé grâce à une amie qui avait de magnifiques bottes marron mi-hautes. Il y a quelques années, il était encore possible d’en trouver à prix abordable sur Vinted. Ma première paire, en daim marron presque kaki, m’a coûté la bagatelle de 75 euros.

Après cela, j’ai voulu avoir les noires et, au bout d’un moment, je ne pouvais plus m’arrêter.» Kee Keisers n’a jamais participé consciemment aux premières années d’A.F. Vandevorst, pas plus qu’aux débuts de la botte X010. À l’époque où la petite croix rouge brodée au niveau du mollet gauche était un subtil signe d’appartenance à un style belge sélect, la fashionista était en couches-culottes. Et lorsque la X010 a été commercialisée, en 2000, elle n’était pas encore née.

A.F. Vandevorst
Collection printemps-été 2017 avec les célèbres bottines.

Aujourd’hui, elle en possède sept paires. «Il y a peu, j’en ai déniché des blanches toutes neuves chez Rosier 41 et je porte les marron presque chaque jour. En combinaison avec un short ou une petite jupe moulante basique en jersey. Et en été, avec une tenue un peu plus romantique. Ces bottes s’accordent avec presque tout.» Cela fait d’elle une des nombreuses représentantes de la Gen Z qui, tout comme les précédentes, ne peuvent pas se passer de ces bottes multifonctionnelles.

L’intérêt a explosé au cours de ces dernières années. Comme en témoigne la tension sur des plateformes de seconde main telles que Vinted et Vestiaire Collective qu’elle scrute religieusement en espérant tomber sur un exemplaire. «Alors qu’auparavant, on pouvait encore se tâter quelques jours avant de se décider à les acheter, aujourd’hui, ces bottes partent comme des petits pains.»

Parfaite concordance

Nathalie Wlostowski a tiré exactement la même conclusion. Depuis 2015, sur son site Web vintage Vaniitas, elle vend essentiellement des créations de designers belges d’avant-garde. Mais elle a abandonné sa très longue liste d’attente de X010 vintage d’A.F. Vandevorst. Tout comme celle des Triple Lace Boots d’Ann Demeulemeester.

«Aujourd’hui, des jeunes, en particulier des Américaines qui n’avaient jamais entendu parler d’A.F. Vandevorst, me contactent désespérément. Des pièces que j’ai pu dénicher lors des dernières ventes de stock A.F. Vandevorst – un événement qui a eu lieu en 2020 sur le sol belge et auquel, d’après les fans, peu de jeunes étaient présents – se vendent en un rien de temps.»

Elle attribue cela à la parfaite concordance d’éléments. La popularité de la mode vintage, la rareté d’une marque qui a cessé sa production et l’identité visuelle unique d’A.F. Vandevorst.

En langage moderne: les remarquables créations tant de vêtements que d’accessoires tout comme le logo à la fois subtil et voyant sont extrêmement caractéristiques dans le monde carré de TikTok et Instagram. «La petite croix rouge est comparable aux surpiqûres de Martin Margiela, explique l’archiviste. Lorsqu’un post comportant certaines de leurs pièces d’archives devient viral sur TikTok, 20.000 personnes se focalisent sur cette petite croix rouge.»

X010-laars

Éléments fétiches

Toutefois, l’évolution est intéressante en matière de timing car, comme l’a dit Nathalie Wlostowski, A.F. Vandevorst a cessé ses activités en 2020. De plus en plus confrontés à la dynamique du système de la mode, An Vandevorst et Filip Arickx ont voulu tirer leur révérence au bon moment. «Nous en avons conclu qu’il n’était plus possible d’atteindre le même niveau de créativité, de nous concentrer sur des récits d’histoires au lieu du produit lui-même et de travailler de la manière qui nous a toujours caractérisés», pouvait-on lire alors dans Womens Wear Daily après 22 années d’activité.

Le couple s’est connu à la Modeacademie d’Anvers et a tenu à faire ses débuts auprès des Six d’Anvers; An en tant que première assistante chez Dries Van Noten et Filip comme styliste chez Dirk Bikkembergs. Et en 1998, ils ont fondé leur propre marque sous le nom A.F. Vandevorst.

Dès les premières conceptions et présentations, nous avons remarqué que cette botte se mariait avec n’importe quelle pièce vestimentaire et qu’elle deviendrait un classique

Filip Arickx

À partir de ce moment-là, leur fascination commune pour les anciens hôpitaux, les uniformes et la culture équestre a constitué le fil rouge de leurs vêtements, accessoires, chaussures et même sous-vêtements. Quant à la petite croix rouge de leur logo, elle est un clin d’œil aux hospices. Bien que ce détail semble anodin, tout ce que le duo présentait sur les catwalks produisait un effet bœuf. Les éléments fétiches n’étaient jamais bien loin: corsets, cuissardes, touches militaires et SM.

Un classique en devenir

«Très vite, la botte X010 est devenue notre ADN, rapporte Filip Arickx. Nous voulions quelque chose qui relève tant de l’univers de l’équitation que de la moto, mais ramené à sa plus pure essence. Dans un premier temps, Anneke concevait toujours un prototype des chaussures dans sa propre pointure. Ensuite, elle les testait longuement pour vérifier qu’elles étaient parfaites. Cela a fait leur force.»

Et, petit détail amusant: le nom X010 résulte de la numérotation que les créateurs utilisaient pour répertorier leurs pièces. Toutes les chemises se voyaient attribuer un numéro précédé du C de chemise. Les chaussures portaient la lettre X. On peut donc en déduire que la X010 était leur dixième création.

Il faut savoir qu’An a imaginé des centaines de chaussures pour la marque «Dès les premières conceptions et présentations, nous avons remarqué que cette botte se mariait avec n’importe quelle pièce vestimentaire et qu’elle deviendrait un classique, s’exclame Filip Arickx en se remémorant les premiers jours. Des clientes nous ont confié qu’elles portaient leurs bottes au quotidien, du matin au soir.»

Relancer la machine

Lorsqu’A.F. Vandevorst a mis fin à sa production il y a cinq ans, des fans se sont empressées de stocker plusieurs paires de bottes X010. C’était prévisible. «Histoire de tenir jusqu’à la fin de notre vie», se sont-elles justifiées. Mais il semble que cela n’ait pas suffi à épancher leur soif.

«Les clientes continuaient à nous dire que nos bottes leur manquaient, qu’elles ne trouvaient aucun autre modèle à leur goût ou qu’elles prenaient grand soin de leurs paires tant aimées.» Tout cela, combiné à l’intérêt des nouvelles générations, a donné lieu à une réflexion.

Filip Arickx en An Vandevorst
Filip Arickx et An Vandevorst

Filip Arickx a contacté d’anciennes clientes et a analysé le marché encore plus en profondeur. Il a compris qu’entre, d’une part les baskets et, d’autre part, les chaussures ultrachics, dans un segment intermédiaire, très peu de chaussures se composent de très bons matériaux.

Alors, ça a commencé à le titiller… Pourtant, le couple avait d’autres choses sur le feu à ce moment-là. «M’enfin Filip, on ne va quand même pas faire ça ! » se serait exclamée ‘Anneke’. Aujourd’hui, elle dirige le département mode de la célèbre école florentine Polimoda, où elle passe la moitié de son temps et s’est révélée comme DJ.

Quant à lui, il se consacre au métier de souffleur de verre artisanal. La ligne de godemichés en verre de Nightfall découle de cette passion. Filip Arickx a alors proposé un compromis: «Je m’occuperais de tous les contacts et j’appellerais les fabricants. Et peu de temps après, nous nous mettions à table pour réfléchir ensemble.»

Fabricants historiques

Ainsi, en juin, un prototype de la X010 originale haute se trouvait dans la boutique anversoise de luxe Louis. Elle est entièrement confectionnée à la main, avec doublure en cuir et la légendaire croix rouge au niveau du mollet. Aujourd’hui, il est possible de précommander la X010 par le biais de plusieurs anciens points de vente, y compris Stijl à Bruxelles. Le design est exactement le même qu’à l’origine.

Les fabricants aussi. C’était une condition importante pour s’engager dans cette expérience. «La relation avec nos fabricants date de trente ans, souligne Filip Arickx. An avait même travaillé avec eux avant l’époque A.F. Vandevorst. Certains des employés là-bas étaient encore bébés lorsqu’on les a connus.»

Cela induit une dimension humaine et très pratique: «Ils savent avec quelles semelles et quel cuir nous travaillions, connaissent le mode de fabrication de la doublure, les spécificités du talon. Toutes ces connaissances sont nécessaires afin de garantir la même qualité.»

A.F. Vandevorst

Ces bottes de 950 euros se situent dans le segment plus onéreux, mais si vous comparez le prix avec d’autres grandes marques, il n’est pas démesuré. «Tant nous que les fabricants avons mis un peu d’eau dans notre vin en ce qui concerne le financement, assure Filip Arickx. Cela nous a permis de commercialiser ces boots sous la barre des 1.000 euros.

Notre but n’est pas de réaliser de grands bénéfices. Lors de la période précédant la livraison de la première paire, c’était chaud, et les grands moyens ont été déployés: trois nouveaux cycles de production ont été prévus en Italie afin de pouvoir boucler la production pre-sale. La commercialisation est prévue en septembre.

D’anciens points de vente, jusqu’en Géorgie et en Ukraine, se sont ralliés au projet. Même Dover Street Market de Londres a signé, alors qu’il n’avait jamais représenté la marque auparavant, ajoute Filip Arickx. Le fait qu’il se joigne à nous, purement sur la base de notre réputation de qualité n’est pas anodin.»

Loin des productions de masse

Il sera également intéressant de découvrir le profil des futures clientes. Filip Arickx suppose que le public sera plus jeune, car les fans de la X010 sont conscientes de sa grande durabilité. Christel Van Miert, ancienne store manager de la boutique A.F. Vandevorst, aujourd’hui active chez Souâd Feriani à Anvers, porte inlassablement ses anciennes boots tout au long de l’hiver.

boots X010
Les bottes X010 originales de A.F. Vandevorst.

«Mon entourage sait qu’elles font partie de moi. Elles offrent un style parfait, le talon a pile la bonne hauteur. Il m’arrive de porter des sneakers, mais je peux passer la journée avec mes bottes.»

La paire que Michael Schwartz porte toujours avec amour a plus de vingt ans et remonte à l’époque à laquelle il était press officer pour A.F. Vandevorst. Aujourd’hui, bien qu’il soit l’agent de presse international de Dries Van Noten, il continue de narguer les Parisiens, non sans un certain plaisir, avec ses X010.

« Pour moi, ces bottes ont toujours été une composante indispensable de l’histoire d’A.F. Vandevorst, déclare-t-il. Dès le début, A.F. Vandevorst est toujours passée pour une marque d’insiders, éloignée de la production de masse, destinée aux personnes qui souhaitent s’exprimer par le biais des vêtements. Et elle a toujours été un label très discret. Quelqu’un me disait encore récemment: aujourd’hui, le plus grand luxe est l’intimité, et en ce sens, ils ont fait du vrai luxe.»

« Avant que je ne me mette à porter les X010, je m’étais déjà fait tatouer la petite croix rouge sur le mollet gauche parce que je voulais me sentir lié à jamais à leur histoire, tant leurs puissantes silhouettes m’attiraient, elles qui pouvaient résister à l’usure du temps tout en offrant de la douceur. Ce que j’aime particulièrement avec mes X010, c’est qu’elles sont intemporelles dans tous les sens du terme: même après avoir été portées pendant vingt ans dans les pires conditions climatiques, elles embellissent au fil des saisons.»

«Et à ce jour, elles restent classiques; sous un pantalon replié jusqu’aux chevilles ou sous un baggy. Les chaussures influencent non seulement notre démarche, mais aussi la façon dont nous nous sentons: je ne suis pas très grand, mais grâce au petit talon, je sais que je marche différemment, en adoptant une posture plus fière. Ça, c’est du vrai empowerment.»

Du 41 au 43

Bien que, pour des raisons techniques, la X010 n’ait jamais été disponible au-delà de la pointure 41, cette chaussure n’a pas toujours été portée que par des femmes, se souvient Michael Schwartz. «En coulisses, dans la A. Family – comme je me plaisais à l’appeler – presque tout le monde portait des X010!»

Pourtant, il aimerait que de plus grandes pointures soient disponibles à l’avenir: «Portées par pluie, par neige et par vent pendant vingt ans, mes bottes sont passées du 41 au 43», sourit-il.

«Tout est parti d’une idée one shot», explique Filip Arickx. Et lui de préciser que le couple ne saute pas de joie à l’idée de se relancer dans la mode. «C’est de la folie; les saisons, les produits, le rythme effréné. Nous préférons laisser cela aux marques qui ont le vent en poupe. J’aime les choses telles qu’elles sont aujourd’hui. Et nous verrons ce que l’avenir nous réserve.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire