Dans les coulisses du dernier défilé de Dries Van Noten, entre émotion et admiration
Ce samedi 22 juin, Dries Van Noten présentait sa toute dernière collection à Paris. Notre journaliste mode Jesse Brouns était sur place pour assister à ce moment historique et intime.
Ce samedi, Dries Van Noten a fait ses adieux à sa marque dans l’ancien et gigantesque hall d’usine où il avait déjà convié des invités pour une étape importante : lors du défilé du 50e anniversaire, en 2004, une table géante s’était ainsi transformée en podium après le dîner. Beaucoup de choses ont changé depuis. La Courneuve, alors banlieue mal famée de Paris, est aujourd’hui un maillon essentiel d’une nouvelle ligne de métro qui encercle la ville lumière, tandis que l’usine est appelée à devenir à terme le cœur battant d’un gigantesque complexe comprenant salle d’événements, appartements et boutiques.
En attendant, sur le trottoir face à l’entrée, un groupe de Belges distingués bat le pavé : Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester et sa famille, Geert Bruloot, fondateur des magasins anversois Louis et Cocodrillo, soutien des Six dès leurs débuts, Linda Loppa, ancienne directrice de l’Académie d’Anvers, et d’autres intimes qui n’auraient raté ça pour rien au monde.
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« Je pense que c’est un peu précipité » déclare M. Van Beirendonck à propos des adieux de son comparse. Il est, avec Marina Yee, qui était également présente hier, le seul de la génération des Six d’Anvers à diriger encore sa propre marque. Il est également le seul, à ce jour, à montrer encore ses collections à Paris.
Et d’avouer tout de même comprendre la décision de Dries, parce que « chacun a une raison différente de jeter l’éponge ». Le départ de Van Noten l’aurait-t-il également amené à réfléchir à sa propre position ? « Non, je prends vraiment plaisir à continuer de travailler ». Van Beirendonck et Demeulemeester ont également révélé qu’ils s’étaient récemment réunis à nouveau avec l’ensemble des Six d’Anvers. « Nous avons vécu tellement de choses ensemble. J’ai eu l’impression que rien n’avait changé après toutes ces années ».
« Dries Van Noten laisse un vide immense »
À l’intérieur, Glenn Martens, de Y/Project et Diesel, exprime son admiration. « J’ai toujours été un grand fan de Dries. Lorsque j’étais étudiant, j’allais donner un coup de main aux défilés. Mes premières expériences dans le secteur, je les ai faites avec lui. Je pense que le monde de la mode va devoir faire face à un vide immense. Personne n’est aussi parfait, poétique, beau, magnifique, contemporain. On ne remplace pas rapidement quelqu’un comme ça ». Et d’ajouter qu’il avait voulu porter un manteau Van Noten datant de ses années d’études pour marquer le coup, mais qu’il ne rentrait plus dedans. « Je me suis rendu compte que je n’étais plus étudiant, dit-il en riant. Heureusement, ce sont mes épaules qui se sont élargies, pas le reste ».
Prédent lui aussi, Kris Van Assche se confie: « Dries est un designer qui m’a donné envie de devenir designer, c’est aussi simple que cela. Lorsque vous le rencontrez ou que vous passez devant sa boutique pendant que vous étudiez à l’Académie, vous savez que la barre est haute ».
Un moment de mode intime et historique
Outre nos compatriotes, les personnalités de la mode étaient nombreuses : Véronique Nichanian, qui avait présenté sa collection masculine pour Hermès plus tôt dans la journée, le créateur américain Thom Browne, Haider Ackermann, Diane Von Furstenberg, An Vandevorst et Filip Arickx ou encore Meryll Rogge.
Elodie Ouedraogo et son mari Jeroom avaient également fait le déplacement à Paris. « D’habitude, je participe à ce genre d’événements en tant que +1 d’Elodie », explique Jeroom. « D’ordinaire, elle disparaît immédiatement dans la foule. Et puis je reste dans un coin avec un verre à regarder les gens », dit-il, depuis le coin où il est posté avec un verre.
Hier, pas de grandes célébrités, ni d’acteurs, ni d’actrices, ni de stars de la KPOP. Ces derniers sont rarement, voire jamais, au premier rang chez Dries Van Noten, et il n’y a pas eu de dérogation à cette tradition. C’était un moment de mode important, grandiose, voire historique, mais en même temps un rassemblement intime. On aurait dit que tout le monde se connaissait.
Avant le début du défilé, un cocktail élaboré a été organisé. Van Noten et son partenaire Patrick Vangheluwe ont pris le temps de discuter avec presque tous les invités, ou d’échanger un ou deux baisers.
« Bouleversant »
Et ce dernier de déclarer au milieu de la foule, qu’aujourd’hui, « c’est vraiment extraordinaire », tandis que Van Noten embrassait Sonja Noël, de Stijl, à Bruxelles, l’un des premiers points de vente de sa marque – et tant pis si Sonja Noël n’aime généralement pas trop les baisers et les accolades. Après tout, il s’agissait de circonstances particulières. « Je n’ai toujours pas digéré la nouvelle de son départ », a-t-elle déclaré plus tard sur la piste de danse. « Mais ce soir, je savoure le moment ».
« Nous attendons avec impatience les mois à venir », a déclaré quant à lui Patrick Vangheluwe. « Nous aurons enfin du temps pour tout ce que nous n’avons jamais eu le temps de faire, comme voyager par exemple. Nous devons encore déterminer ce que nous voulons faire, mais Dries et moi avons les mêmes centres d’intérêt, alors tout ira bien ».
Dries Van Noten lui-même n’a cessé de rayonner. La semaine dernière, lors d’une interview d’adieu, il s’est montré plutôt incertain. « Peut-être que ce n’était pas une bonne décision après tout », a-t-il déclaré à WWD. « Un jour, je suis complètement convaincu, le lendemain, je me dis qu’il est encore trop tôt ».
« C’est ma dernière chance »
Il a également confié au New York Times qu’il était un peu inquiet quant à l’avenir de sa marque. « Ce serait dommage que quelqu’un arrive et dise : démolissez tout, nous garderons le nom, mais nous ferons tout différemment. Je pense que j’en serais vraiment malade ». Mais à La Courneuve, hier soir, il n’y avait pas de place pour le doute, les regrets ou même la nostalgie. Pas même sur le podium. « Je ne voulais pas d’un défilé best of », a encore déclaré l’Anvers aux médias. « Je veux encore aller vers l’avant. Et c’est ma dernière chance ».
Ce soir-là, le hall de l’usine était immense et le podium, comme souvent chez Van Noten, interminable. Le sol était caché sous un tapis de plaques de papier argenté façon, tourbillonnant dans l’air sous les pas des mannequins.
Et le casting, lui, avait bien quelque chose de rétrospectif. Certains mannequins étaient en effet là depuis les premiers défilés de Dries, qui les voit aujourd’hui comme une famille.
Le show a ainsi été inauguré par Alain Gossuin, mannequin belge le plus coté de l’époque, qui a également participé au tout premier défilé de Dries Van Noten, à l’heure où la marque était encore exclusivement masculine. Kristina De Coninck, Hannelore Knuts, Kirsten Owen, Karen Elson et Silvia Van Der Klooster ont également défilé.
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Célébrer le passé et penser le futur
La collection elle-même a cherché un équilibre entre la tradition et l’avenir. « Des vêtements qui nous accompagnent dans notre vie et nous font avancer ». C’était tout sauf un testament, un point plutôt qu’un point d’exclamation. Ou même : une virgule, d’une phrase qui doit maintenant être terminée par quelqu’un d’autre.
« C’est mon cent vingt-neuvième show », écrit Van Noten dans les notes du défilé. « Et ce spectacle, comme les précédents, est tourné vers l’avenir. Ce soir, il y a toutes sortes de choses qui se passent, mais ce n’est pas un grand final. Je pense à Marcelo Mastroianni qui a parlé un jour d’une paradoxale nostalgie du futur, au-delà des paradis perdus imaginés par Proust, et à la façon dont nous continuons à poursuivre nos rêves en sachant qu’un jour nous les regarderons avec amour. J’aime mon travail, j’aime faire des défilés de mode, j’aime partager la mode avec les gens. Créer, c’est laisser derrière soi quelque chose qui perdure. Je pense que ce moment n’est pas seulement le mien, mais le nôtre, pour toujours ».
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Pas de larmes
La bande-son – beaucoup de Bowie, en particulier « Sound and Vision », tiré de l’album complet « Low », dans ce final. Lorsque le dernier flocon de papier argenté est retombé sur la passerelle, Dries Van Noten est arrivé en faisant un signe de la main, à sa manière, légèrement dégingandée et attachante.
Il a été ovationné (bien sûr), puis un autre rideau s’est ouvert, une boule à facettes de dix mètres de haut est apparue, et le rythme de Bowie a cédé la place à celui de Donna Summer.
I Feel Love.
Pas de larmes, pas de tristesse, juste de l’amour.
ET MAINTENANT?
Dries Van Noten, 66 ans, a annoncé sa retraite en mars, six ans après avoir vendu sa société au groupe de luxe espagnol Puig. Il avait créé sa marque en 1986. Dans l’industrie textile, les départs à la retraite sont généralement rares, ceux qui ont réussi continuent généralement à travailler jusqu’à ce que la tombe les appelle, comme dans le cas de Karl Lagerfeld, décédé en 2019 à l’âge de 85 ans alors qu’il était toujours aux commandes de Chanel. Giorgio Armani aura 90 ans cet été, Ralph Lauren 84 ans, Rei Kawakubo de Comme des Garçons 81 ans et Yohji Yamamoto 80 ans.Tout comme la journaliste Suzy Menkes, qui, à plus de 80 ans, couvre toujours la semaine de la mode depuis les premiers rangs, et qui était également présente pour la dernière révérence de l’Anversois ce samedi 22 juin .
La génération des Six d’Anvers fait apparemment ses adieux plus facilement : Martin Margiela a quitté sa griffe en 2009, Ann Demeulemeester en 2013. Dirk Bikkembergs a également démissionné depuis un certain temps, tout comme Dirk Van Saene, qui vient de quitter son poste de professeur à l’Académie d’Anvers.
M. Van Noten a commencé à planifier son avenir lorsqu’il a atteint l’âge de 60 ans. Il a alors envisagé de fermer son entreprise, mais cela aurait signifié le licenciement de ses employés. Il a finalement vendu à Puig, qui s’est engagé à maintenir le siège de la marque à Anvers. Il a également annoncé à l’époque qu’il resterait encore cinq ans pour gérer la transition, et est finalement resté un an de plus que prévu.
Avec des créateurs indépendants et importants comme Rick Owens et Comme des Garçons, Dries Van Noten a été pendant des années un contrepoids important à la domination des groupes de luxe pendant les semaines de la mode à Paris. Même si la marque fait désormais partie de l’un de ces groupes.
Son départ sera certainement une perte, et la désignation d’un successeur adéquat sera donc cruciale. Quelqu’un qui puisse non seulement concevoir de grandes collections, mais aussi toucher la corde sensible de son public, quelqu’un qui semble « vrai », humain et génial à la fois (il n’y en a peut-être pas beaucoup comme ça).
Entre-temps, il restera quelque peu impliqué lui-même, notamment dans la ligne de produits de beauté, les boutiques de décoration (qui sont souvent remplies d’antiquités et de design vintage assemblés par Van Noten et Vangheluwe eux-mêmes), et en tant que consultant. Il a déclaré au New York Times qu’il ne choisirait pas lui-même son successeur, mais que « qui que ce soit, j’espère qu’il me surprendra ».
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