subhead

Dans les coulisses des ateliers Hermès, à la poursuite du mythique sac Birkin

Hermès atelier
Voilà de quoi se compose un sac Birkin avant d'être assemblé © Christopher Payne
Anne-Françoise Moyson

Les sacs Hermès comptent parmi des plus convoités au monde. Dans cet atelier parisien, des artisans perpétuent les gestes des maroquiniers-selliers. Visite en coulisses.

Jamais, vu de l’extérieur, on ne se douterait que derrière cette porte cochère en bois peinte d’un gris parisien, se cache un bâtiment en H avec de grandes fenêtres ouvertes sur des ateliers Hermès, une cour intérieure ceinte par quatre étages et une haute cheminée de briques rouges qui nargue les nuages.

Dans ce XIIe arrondissement de la Ville lumière, les décennies ont passé, ne laissant plus guère de traces des ébénisteries qui foisonnaient dans le quartier il y a plus de 100 ans. Elles ont été remplacées par d’autres métiers, la maroquinerie en l’occurrence. Le Paris moderne accueille en son sein des tas d’endroits comme celui-ci. Mais il les soustrait volontiers au regard des passants.

© Christopher Payne

Est-ce pour mieux nourrir les légendes, le mystère, la fascination qui entourent les savoir-faire ancestraux? Une chose est sûre, il est dans la famille Hermès depuis les années 1920. Mais il faudra attendre 2006 pour que les trois maroquineries qui y avaient trouvé place fusionnent. Elle porte désormais le nom de Maroquinerie de Saint-Antoine, l’une des vingt-quatre que compte la maison Hermès. C’est d’ici que sortiront les sacs mythiques que l’on retrouvera dans les boutiques, comme celle qui vient tout juste de rouvrir à Knokke.

Le temple du geste sûr

En amont, on avait été prévenue: une manufacture, c’est un peu «secret défense». On avait donc reçu comme consigne de ne rien photographier avec un smartphone. Et de porter des chaussures fermées, par mesure de sécurité. On ne gambade pas dans un atelier en escarpins de haute voltige…

Pour les 120 artisans, le tablier blanc est de mise. On les trouve penchés sur leur établi, concentrés dans leur îlot, avec écouteurs dans les oreilles et musique de leur choix. Cela explique le calme régnant, mis à part les coups de marteau réguliers. Et le bruit par intermittence des presses à bras, de la refendeuse ou de l’encolleuse et son souffle lancinant.

Dans les ateliers, qui portent tous un nom relié à l’univers du cheval – Bartabas, Calèche, Appaloosa, Licorne ou Poulain… –, l’ambiance est à la fête. Halloween n’est pas loin, la preuve que la vie du dehors s’invite dans ce temple du geste sûr, minutieux, amoureux.

Coupé comme des cookies

On ose le cumul de ces adjectifs, tant les artisans y semblent additionner ces qualités. Cela saute aux yeux quand on les rencontre, prêts à mettre leur métier en mots, à détailler leurs outils, leur souci d’excellence et les étapes de la fabrication ou de la réparation d’un sac Hermès.

Au rez-de-chaussée, voici l’atelier de préparation avancée où arrivent tous les cuirs de la coupe centrale, ils y sont recoupés à l’aide d’emporte-pièces pour atteindre leur forme finale. Ces morceaux de cuir sont d’abord refendus, parés et collés.

© Christopher Payne

Une artisane réalise une «coupe juste» à l’aide d’une presse à bras. «Si vous avez déjà préparé des cookies, c’est le même principe mais un peu plus costaud, s’amuse-t-elle en actionnant la machine. Ce serait impossible de le faire avec la force humaine».

Dix-huit mois d’apprentissage

Elle a quinze ans de métier dans la maison Hermès. Pensez si les cuirs, elle peut les reconnaître les yeux fermés, De même, quand un sac à main est terminé si la peau fut par elle travaillée. Mais en riant, elle tempère. Si elle peut accomplir cette prouesse, c’est parce qu’elle est «la seule à avoir opéré une action sur tous ceux du modèle».


Direction l’atelier surnommé Attelage où les artisans finissent leur formation, aux côtés de leur tutrice. Ils œuvrent essentiellement sur le Kelly. Non seulement parce qu’il est emblématique. Mais surtout parce qu’il rassemble le plus de savoir-faire. Dix-huit mois, est-ce suffisant pour apprendre, en réalité, n’est-ce pas l’histoire d’une vie?

‘Au bout de 18 mois, on a les bases pour faire un sac dans l’attente de la qualité Hermès. Après, il s’agira de peaufiner les gestes.’

«Effectivement, on apprend tous les jours, tout au long de sa carrière, opine la tutrice. Mais au bout de ces 18 mois, ils ont les bases pour faire un sac dans l’attente de la qualité Hermès. D’autant que chaque artisan confectionne son sac de A à Z. Après, il s’agira de peaufiner les gestes, d’être plus rapide. Ce qui ne veut pas dire aller vite mais surtout les accomplir parfaitement – c’est ce qui s’appelle l’expérience.»

Pas le droit à l’erreur

Elle a beau être tutrice, il lui faut aussi parachever les gestes qui lui sont dévolus. Et comme son temps est précieux, elle se remet au travail tout en le décrivant. Et elle dit: «J’enchape une poignée» tout en posant l’enchape sur la poignée. C’est sur celle d’un Kelly en croco qu’elle se penche, l’une des matières les plus délicates. «On n’a pas le droit à l’erreur», souffle-t-elle.

On a soudain peur de la déranger mais ses gestes ne trahissent aucunement l’impatience. Ils sont précis. Elle s’empare ensuite de son fer à fileter pour l’astiquage, attention chaud… On imagine qu’avant l’électricité, ce geste s’accomplissait à la chaleur d’une flamme. «Oui, sourit-elle, mais c’était il y a très longtemps.»

On prend la mesure d’un savoir-faire transmis de génération en génération, qui, mis à part quelques aménagements modernes, n’a pas immensément changé. Le temps certes ne s’est pas arrêté dans cet atelier, mais il y règne une atmosphère particulière propre aux endroits où l’artisanat est la règle, c’est rare et c’est un privilège d’en pousser la porte.

Corps-à-corps délicat

Dans l’atelier de réparation, aussi surnommé Pégase, deux Birkin attendent les bons soins d’une fée. Ils ont visiblement bien servi. Les bijouteries en témoignent. Elles sont griffées et ternies. Le cuir est taché à certains endroits, légèrement décoloré. Ils portent des traces de vie en somme.

Il s’agira de les réparer sans dénaturer leur patine. Sur l’établi, de très belles brosses, des alênes, une ronde, l’autre losangique pour transpercer la matière et un marteau pour marteler les coutures. C’est son outil préféré. Le bois de son manche s’est patiné sous ses gestes. Il lui sert également à former le cuir dans un corps-à-corps délicat. Ou à perler soit «donner deux têtes bombées à un même clou sur un fermoir, c’est l’une des spécificités de la maison».

© Christopher Payne

Elle se saisit d’un Lindy qui a fort besoin de ses soins, «un sac souple au déhanché joyeux» qui a été trimballé un peu partout. Il est marqué de-ci de-là de traits de Bic bleu et de feutre rouge. Elle invite à le humer. Il y flotte comme un parfum de maquillage. Pour sûr, il n’est pas resté sagement rangé dans une armoire.

Un sceau secret

Elle a osé le retourner, d’habitude elle évite – «C’est un modèle que je connais bien parce qu’on le fait ici, j’étais sûre de moi. Je dois changer les poignées, ce qui nécessite un démontage assez conséquent. En réalité, c’est plus long de refaire que de faire parce qu’on n’a pas la même aisance au niveau du geste. Et surtout, on ne doit pas abîmer le sac. Mais il est assez récent donc il n’est pas trop fragile…»


On a cru entendre un soupir d’aise, elle confesse que oui, il lui arrive d’être plus vigilante encore. Que «plus ils sont vieux, plus ils sont émouvants» et que «parfois, celui ou celle qui l’a réalisé…» Alors là, d’évidence, le temps se suspend, instant magique où un artisan parle à un autre artisan, par-delà les époques, en chuchotant. Mais cela restera à jamais de l’ordre de la conversation intime.

Tout comme le sceau personnalisé de chacun et chacune ici qui tient lieu de signature, d’outil de traçabilité, de garantie de perfection du travail. On aurait aimé découvrir où il se cache. Mais c’est un secret jalousement gardé. Une fois dehors, quand la grande porte grise se sera refermée derrière nous, dans un Paris effervescent, presque trop par comparaison avec la sérénité de la manufacture, on se dira rêveusement que l’artisanat au XXIe siècle tient du miracle.

Hermès, 110-112, Kustlaan, à 8300 Knokke.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire