Dries Van Noten intime, raconté par sa garde rapprochée à la veille de son dernier défilé
Dries Van Noten a déjà fait ses adieux. Son tout dernier défilé, samedi prochain à Paris, promet d’être mémorable. Mais à quoi devons-nous nous attendre maintenant de la part du créateur belge ? Sa garde rapprochée donne le ton.
«Au début des années 80, alors que je faisais mes premiers pas à Anvers, je rêvais d’avoir ma place dans le monde de la mode, écrivait Dries Van Noten lorsqu’il a annoncé, il y a quelques mois, qu‘il était sur le point de se séparer de sa marque. Ce rêve s‘est réalisé. Maintenant, je veux pouvoir me concentrer sur toutes les choses pour lesquelles je n‘ai jamais trouvé le temps.»
Le créateur belge, 65 ans, ajoutait qu’après trente-huit ans, il était temps de laisser la place à la nouvelle génération.
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L’Anversois a donc imaginé une dernière collection Homme, pour l‘été 2025. Il la présentera lors de la Fashion Week masculine à Paris, fin juin. Un moment très certainement fort en émotions. Après, plus rien. Heureusement, pas pour la marque. La prochaine collection féminine sera réalisée par l‘équipe du studio avec laquelle il travaille en étroite collaboration depuis des années. Comme d‘habitude, elle sera dévoilée dans la capitale française en septembre. Mais on ne sait pas encore qui lui succédera au poste de directeur de la création.
Dries Van Noten vu par Meryll Rogge
L‘exercice s’annonce difficile: Dries Van Noten, l’homme, et Dries Van Noten, la marque, ont en quelque sorte toujours été interchangeables – du moins pour le monde extérieur. «Beaucoup de personnes entretiennent une relation émotionnelle avec leurs vêtements, explique Karen Van Godtsenhoven, curatrice d’expositions. Cet attachement se reflète dans les réactions qui ont suivi l’annonce de son départ. Il était peut-être une sorte de «meilleur ami» caché dans les garde-robes.»
Selon la créatrice Meryll Rogge, qui a longtemps travaillé pour lui, et qui est souvent citée comme successeur potentiel – mais elle préfère ne pas en parler -, Dries Van Noten est pour beaucoup une griffe qui n’a jamais fait de concessions.
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«C’est une marque avec des valeurs. Sans logos, sans seconde ligne plus abordable. Artistique, personnelle, distinguée. L’incarnation de l’intégrité.» Selon elle, Dries, l’homme, possède l’incroyable talent d’être à la fois créatif et professionnel: «Il écoute toujours ses collaborateurs et ses équipes avec beaucoup de respect et avec un intérêt sincère, mais sans jamais perdre de vue sa propre opinion et sa propre vision. Sa passion et son dévouement ont été une source constante d’inspiration pour moi. Ce fut un privilège de travailler avec lui. Je suis également reconnaissante de l’influence positive qu‘il a eue sur notre secteur. Etre associé à une personnalité comme Dries est un véritable honneur.»
Christian Wijnants, « super fan »
Le créateur Christian Wijnants souligne également le sens des affaires de son confrère à plusieurs reprises au cours de notre conversation. «Dries est très créatif, mais il a aussi les pieds sur terre. C‘est un très bon homme d’affaires et c’est aussi l‘un des rares créateurs dont on peut acheter les pièces qu‘il présente lors de ses défilés. Il s‘est également lancé dans les parfums et la beauté, mais jusqu’à récemment, tout tournait autour de l’habillement. Pas de sacs à main, comme Louis Vuitton, ni de sous-vêtements, comme Calvin Klein. C’est sévère.»
Lorsque Christian Wijnants a obtenu son diplôme à l‘Académie d’Anvers, il a reçu le tout premier prix Christine Matthijs, du nom d‘une proche collaboratrice de Dries Van Noten, décédée prématurément. «Je suis un fan inconditionnel de Dries depuis mes 13 ans. C’est aussi grâce à lui que j‘ai commencé à étudier la mode à Anvers. Après le défilé de l’Académie, il m’a appelé pour me demander si je voulais venir travailler pour lui. J’ai d’abord cru que quelqu‘un me faisait une blague. J’avais déjà accepté un stage à Paris et, après quatre ans à l’Académie, j’avais fait le tour d’Anvers. Mais Dries m‘a dit: tu pourras commencer avec nous dès ton retour.”
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Après le stage, Christian Wijnants a participé au Festival de Hyères et remporté le Grand Prix. Le lendemain, il commençait à travailler pour Dries Van Noten. Après cette récompense, tout le monde s’attendait pourtant à ce que le Belge lance son propre label – ce qu’il a fini par faire: “Je n’ai finalement travaillé pour Dries qu’un an, entre 2001 et 2002 mais j’y ai beaucoup appris. Des choses que l’on n’apprend pas à l’école. Dries n’est pas une diva. J’ai toujours pu lui parler très facilement et j‘ai également bénéficié d‘une grande liberté. Il m’a donné une certaine responsabilité, même si je n’avais pratiquement aucune expérience. Il sait donner sa confiance.»
«Dries Van Noten est un peintre», explique Christian Wijnants. Mais c’est aussi un écrivain qui raconte une histoire. Ses collections sont toujours cohérentes. Il est tout simplement très fort. Avec les imprimés, avec les matériaux, avec les défilés, avec les ventes. Dries a enrichi le monde de la mode avec tous ces tissus et palettes de couleurs inhabituels, «acceptables» mais uniques. Il a fait entrer l’émotion dans ce secteur, mais sans sentimentalisme. Dries rend tout et tout le monde plus fort et plus beau. Du bouton d’une robe au maquillage, du plus petit détail au final d’un défilé.»
Et Karen Van Godtsenhoven d’ajouter: «Son esthétique n’est peut-être pas immédiatement perçue comme belge. Mais son attitude en tant que créateur l’est. Il porte une grande attention à l’artisanat et à la qualité, ainsi on remarque également une certaine générosité et hospitalité.» Le cinquantième défilé, avec ce dîner, en est un excellent exemple. “Il organisait également des dîners hebdomadaires pour ses camarades lorsqu’il était étudiant. C’est un artiste de la vie à cet égard ».
Ode à sa créativité et à sa concentration
Le natif de Suisse Christoph Hefti – « designer or artist, you decide», comme le précise son compte Instagram – a travaillé pour Dries Van Noten de 1997 à 2010 en tant qu’assistant créatif. Il y était responsable de tous les imprimés et les jacquards. «Je venais d‘être diplômé de Central St. Martins à Londres, se souvient-il. Je n’avais pas un rond et je cherchais désespérément un emploi. J’ai faxé mon CV à de nombreux créateurs, comme c’était de coutume à l’époque, et Dries a été le premier à me répondre et à m’inviter à un entretien. A l’époque, je pensais encore qu’Antwerp et Anvers étaient deux villes différentes, que j’allais à Anvers et que, par conséquent, je devais réviser mon français. Ce n’est qu’en descendant du train que j’ai remarqué que les gens parlaient une langue étrange qui ressemblait à une sorte de suisse-allemand alcoolisé.” Mais déjà pendant l’entretien d’embauche, le concepteur helvète a apprécié l’atmosphère, très différente de Paris ou Milan, qui régnait dans le studio, “une sorte de détente mêlée de concentration”.
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«Dries restait toutefois clairement le chef, le grand patron, même si je n’avais pas l’impression d‘être dans un système hiérarchique, je ne me suis jamais senti oppressé”, poursuit Christoph Hefti qui loue l’équilibre parfait entre la créativité et l’efficacité qu’avait trouvé Dries Van Noten. “Il sait mieux que quiconque que la concentration et l’attention permettent d‘approfondir les idées et les émotions. Nous avions l’impression de tous nous «battre» pour obtenir le meilleur résultat, dans les moindres détails, jusqu’à la dernière seconde avant le défilé. Presque jamais rien n’a été annulé à la dernière minute, il n’y a pas eu de changements radicaux et irrationnels, pas de dessins ou d’échantillons jetés à la poubelle, pas de réunions annulées au dernier moment.»
Retour sur un parcours d’exception
Dries Van Noten, né en 1958, est issu d’une famille de tailleurs anversois. Il a étudié à l’Académie d‘Anvers et a lancé sa première collection en 1986. Il fait partie des Six d’Anvers, le collectif de jeunes créateurs qui comprend également Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dirk Bikkembergs, Dirk Van Saene et Marina Yee. Les Six ont voyagé ensemble à Londres, à Florence et au Japon, entre autres, jusqu’à ce qu’ils se séparent pour avancer chacun de leur côté vers 1989. Cette année-là, Dries Van Noten ouvre sa boutique Modepaleis à Anvers.
Il a organisé son premier défilé masculin à Paris en 1991, et son premier défilé féminin deux ans plus tard. En 2004, il compte cinquante collections – il fait alors construire un podium sans fin qui sert de table à manger pour les cinq cents invités après le défilé. En 2017, il en compte cent. Dries Van Noten a organisé des shows sur la scène de l’Opéra Garnier et sur l’île aux Cygnes, sur la Seine; autour des sculptures de Pol Bury dans les jardins du Palais-Royal et dans la salle de bal dorée de l‘Hôtel de Ville; dans un mystérieux tunnel sinueux sous un viaduc ferroviaire désaffecté à la lisière du XVe arrondissement; dans des bureaux de poste, des entrepôts et des écoles vides; dans cent et un garages aux murs écaillés, dont l’un était décoré de blocs de glace géants dans lesquels étaient emprisonnés des bouquets de fleurs aux couleurs vives.
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L’on compte également un hommage époustouflant à David Bowie en The Thin White Duke, parmi les sculptures du Musée Bourdelle. Et un défilé de la collection masculine, juste après la pandémie, en plein air sur le toit d’un autre garage, à Montmartre, avec de la techno, comme ode à la vie qui reprend. En 2014, le Musée des Arts Décoratifs lui a consacré une exposition spectaculaire, présentant non seulement des vêtements mais aussi des œuvres d’art qui ont inspiré sa mode. L’exposition a ensuite été présentée au MoMu d‘Anvers.
Plus récemment, Dries Van Noten s’est lancé dans diverses collaborations. La plus surprenante a peut-être été une excellente collection capsule avec le label californien de streetwear Stüssy, alors qu’il avait déjà signé une collection commune des plus inattendues avec le créateur Christian Lacroix en 2019. Ce grand écart entre la rue et la couture met également en évidence une rupture frappante entre les collections masculines et féminines de Dries Van Noten: son travail pour les hommes, en particulier au cours de la dernière décennie, a toujours eu un côté plus jeune et plus énergique. Ses collections féminines s’adressent à un public un peu plus âgé. Ce qui explique immédiatement son succès. Il dessine pour des personnes en chair et en os, et non pour une muse idéalisée. C‘est inattendu, et en même temps très logique.
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Et maintenant?
Pour son dernier défilé féminin, fin février, le créateur flamand a défilé dans un C&A vide, un défilé austère et discret, avec des bribes de Sade et des chants d’oiseaux en guise de bande sonore. Un moment fort de la Fashion Week, comme lui seul en a le secret. Son tout dernier défilé, la semaine prochaine, sera sans doute historique (vous retrouverez notre compte rendu sur levifweekend.be le 23 juin).
Et maintenant, que deviendra Dries Van Noten sans Dries Van Noten ? «Je pense qu’il y a peu de différence entre l’homme et la marque, répond Karen Van Godtsenhoven. Son caractère et son attitude sont inscrits dans l’ADN de la maison.»
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La transition ne sera donc pas évidente. En outre, le climat actuel pour les successeurs des marques établies est plutôt sombre. Burberry, Gucci, Alexander McQueen: leurs nouveaux directeurs artistiques ont été ciblés par la critique ces derniers mois. Même Chanel a du mal à tourner la page Karl Lagerfeld.
Son ancien bras droit, Virginie Viard, est restée à l’essai pendant cinq ans, jusqu’à il y a quelques semaines. «Je comprends parfaitement sa décision de démissionner, déclare Christian Wijnants. J’ai moi-même une marque. Diriger une entreprise n’est pas facile. Il m’arrive aussi de me demander: combien de temps vais-je tenir? C’est difficile physiquement et mentalement. On fait beaucoup de sacrifices. On n’a pratiquement pas le temps d’avoir une vie sociale. Le rythme est parfois inhumain.»
Et d’ajouter en guise de conclusion: “Suivre Dries ne sera pas facile, simplement parce que l’homme est très talentueux. Il n’a cessé de se réinventer, saison après saison. J‘espère que ce sera quelqu’un qui respectera l’héritage, tout en apportant une touche personnelle.»
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