Anne-Françoise Moyson
Edito | A partir de quand devient-on faisandée ?
Ce matin du 4 mars, en fin de Fashion Week parisienne, elles avaient convergé vers le lieu du show de Marine Serre. Dans les backstages, elles quittèrent leurs vêtements civils pour se glisser dans leurs silhouettes de défilé et incarner une collection automne-hiver qui ne renie ni le confort ni l’allure ni l’identité de celles qui la portent. Ce qui frappait avant tout, dans ce brouhaha propre aux dernières heures d’avant le show, c’était la grande diversité des corps, des origines, des identités et des âges. Il y avait là Kristina De Coninck, qui pose aujourd’hui avec brio pour la couverture de ce numéro Mode de rentrée, mais aussi Marie-Sophie Wilson et Kina Vandevelde. Autant de tops que l’on a beaucoup vues dans les années 80, en parfaites égéries du siècle passé.
Ici, à l’évidence, pas de date de péremption. Pas d’âgisme. Pas de diktats. Juste «la réalité de notre monde». Ainsi le veut Marine Serre qui sélectionne des mannequins parmi ses ami.es, via des street castings, rassemblant également des artistes, des amatrices et des tops professionnelles, tous horizons confondus. «Cette inclusivité est fondamentale pour moi, insiste-t-elle, elle permet de célébrer la beauté sous toutes ses formes et de rendre la mode accessible à tous.»
J’y étais aussi, en mannequin d’un jour (lire aussi notre article). Avec le sentiment vif, et infiniment joyeux, de faire partie d’une tribu, d’être accueillie dans une famille hétéroclite où chacune est choisie – et célébrée – pour sa singularité. «Comme tu le sais, pour moi, la mode doit refléter la diversité de notre société, confie Marine Serre. Elle ne devrait pas être réservée à une élite ou à des normes restrictives. Et chaque défilé est une opportunité de briser les stéréotypes et de proposer une vision plus large de la beauté.» Depuis ses débuts, en 2017, elle enfonce le clou. Et fait fi des injonctions auxquelles on nous a trop habituées et qui insidieusement ont fait leur petit nid en nous. A partir de quand est-on faisandée? A partir de quel âge est-on invisibilisée? Quand devient-on une vieille meuf qui fait tache et qu’il vaut dès lors mieux placardiser? Le monde de la mode a toujours eu la tentation du jeunisme, c’est son essence, mais rien n’empêche de s’y plier. C’est exactement ce que fait Marine Serre, avec sincérité.
On se souvient de Celine – version Phoebe Philo – qui avait choisi l’autrice Joan Didion, 80 ans, comme figure de proue de sa campagne en janvier 2015, mais on avait alors pensé tout haut que cela faisait un peu «l’année de la pensée magique», autrement dit l’arbre qui cache la forêt.
Depuis, l’idée a infusé. De sorte que lors de cette Fashion Week automne-hiver 24, ont déboulé des «grey models» en nombre, poussant même le New York Times à le constater et à titrer «Age is not a problem». Miuccia Prada pour MiuMiu a ainsi fait défiler les actrices Kristin Scott Thomas (63 ans) et Angela Molina (68 ans) tandis que Marcia Cross (61 ans), aka Bree Van de Kamp de Desperate Housewives, clôturait le défilé Vetements et qu’Olivier Rousteing pour Balmain conviait Axelle Doué (70 ans), Estelle Levy (51 ans) et Kristina De Coninck (63 ans) dans sa team de tops, additionnant 20 mannequins de plus de 35 ans sur une cabine de 57. Médailles.
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