Fin de la fast fashion ? La mode durable devrait devenir la norme d’ici 2030

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Aurélie Wehrlin Journaliste

La très attendue stratégie européenne pour le secteur textile est très ambitieuse sur le plan environnemental, mais elle manque de propositions fortes sur le plan social à en croire les experts. Pour être véritablement durable, le secteur du textile doit verser à toutes les personnes de la chaîne un salaire décent et respecter les droits de l’homme », affirment les critiques.

L’UE veut faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique dans le monde, sans nuire à la croissance économique ou à la qualité de vie de ses citoyens. Pour atteindre cet objectif, la Commission européenne a présenté la semaine dernière plusieurs propositions dans le cadre du Green Deal. Les produits durables doivent devenir la norme dans les magasins des États membres de l’UE. La Commission souhaite donc stimuler les modèles d’entreprise circulaires et renforcer le rôle des consommateurs dans la transition verte. La Commission propose de nouvelles règles pour rendre la quasi-totalité des biens matériels présents sur le marché de l’UE plus respectueux de l’environnement, plus circulaires et plus économes en énergie tout au long de leur cycle de vie.

Bientôt uniquement des produits durables sur le marché européen

« Il est temps de s’éloigner du modèle « prendre, fabriquer, casser et jeter » qui a fait tant de mal à notre planète, à notre santé et à notre économie », a déclaré Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, à propos de la nouvelle stratégie. Ces propositions garantiront que seuls les produits les plus durables seront vendus en Europe.

La semaine dernière, la Commission a également présenté une nouvelle stratégie visant à rendre le secteur textile plus durable, l’EU strategy for sustainable and circular textiles . L’UE souhaite transformer le secteur d’ici à 2030. Il s’agit de faire de grands pas en avant. La Commission veut s’attaquer à la mode rapide, aux déchets textiles et à la destruction des textiles invendus, et veiller à ce que les droits des travailleurs soient respectés. Elle veut faire de la circularité la norme dans l’ensemble du secteur textile et interdire le greenwashing. Pour accélérer le changement des modes de consommation et de production, la Commission encouragera cette transition sous la devise #ReFashionNow, qui met l’accent sur la qualité, l’utilisation prolongée, la réparation et la réutilisation.

Pourquoi est-ce important ?

Tout le monde utilise des textiles tous les jours, par exemple sous forme de vêtements ou d’objets de décoration intérieure. Nous ne pouvons imaginer notre vie sans ce secteur et celui-ci a donc un impact énorme. Diverses entreprises, citoyens, gouvernements et ONG se sont déjà attachés à rendre le secteur textile durable, mais la transition est lente et les empreintes environnementales et climatiques du secteur restent importantes. Dans un discours prononcé lors de la semaine de la mode de Francfort, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a qualifié la fast fashion de « poison pour notre planète ». Les entreprises ne pourront plus se cantonner à de vagues déclarations environnementales. L’usage de termes comme « écologique », « éco » ou « vert » seront interdits s’ils ne sont pas basés sur des données concrètes et transparentes.

Fin de la fast fashion ? La mode durable devrait devenir la norme d'ici 2030
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Il n’existe pas non plus de législation européenne qui puisse garantir les droits des travailleurs du secteur du textile. Ainsi, à l’heure actuelle, en tant que consommateur européen, vous ne savez pas si un produit en vente en Belgique a été fabriqué de manière équitable. Comme il s’agit d’une chaîne complexe et que les entreprises préfèrent parfois fermer les yeux, il est très plausible que, à un moment ou un autre de la chaîne de fabrication, ont ai violé les droits de l’homme. Il suffit de penser aux nombreuses catastrophes survenues dans les usines textiles, comme l’effondrement du bâtiment du Rana Plaza au Bangladesh.

Impact écologique

  • L’industrie textile est un gros pollueur puisqu’il se situe en quatrième position dans le classement des secteurs qui impactent le plus le climat, soit juste après l’alimentation, le logement et le transport.
  • L’Européen moyen jette 11 kilogrammes de textiles chaque année. Dans le monde entier, un camion rempli de textiles est mis en décharge ou incinéré chaque seconde. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les gens jettent leurs vêtements, mais la principale est la mauvaise qualité des produits.
  • Actuellement, moins de 1 % des textiles mis au rebut sont recyclés en nouveaux vêtements.
  • Bien que les textiles aient d’autres usages, dans l’UE, ils sont principalement consommés par les citoyens sous forme de vêtements (81%).
  • La production mondiale de textiles a presque doublé entre 2000 et 2015 et la consommation de vêtements et de chaussures devrait augmenter de 63 % d’ici à 2030.
  • Le fait que les vêtements soient utilisés pendant une période de plus en plus courte avant d’être jetés est la principale cause de la surproduction et de la surconsommation. Cette tendance est alimentée par l’industrie de la mode rapide, qui incite les consommateurs à acheter sans cesse de nouveaux vêtements à la mode, mais de qualité inférieure.
  • Bien que les prix des vêtements dans l’UE aient chuté de plus de 30 % par rapport à l’inflation entre 1996 et 2018, les dépenses moyennes des ménages en vêtements ont augmenté. En d’autres termes on achète plus d’articles pour moins d’argent.
  • Parallèlement à cette croissance incessante, les impacts négatifs sur les ressources naturelles, l’eau, la consommation d’énergie et le climat ne cessent d’augmenter. La demande croissante de textiles alimente l’utilisation inefficace de ressources non renouvelables, notamment la production de fibres synthétiques à partir de combustibles fossiles. Il faut également tenir compte de la libération de microplastiques par les textiles synthétiques et les chaussures à tous les stades de leur cycle de vie.
  • Le modèle linéaire, qui peut se résumer à « prendre, fabriquer, gaspiller », reste actuellement la norme. Cette approche s’oppose à un modèle circulaire, qui met l’accent sur la réutilisation, la réparation et le recyclage des textiles.

Impact social

  • La chaîne du textile, soit de la création du vêtement jusqu’à son arrivée en magasin, est une chaîne complexe et qui s’étale souvent à travers le monde. Cela rend son contrôle difficile et entraîne trop souvent des violations nombreuses des droits de l’homme. Il n’est pas rare que les travailleurs du textile ne gagnent pas un salaire décent et doivent travailler dans des conditions dangereuses et insalubres.
  • Ces défis sociaux résultent en partie de la pression exercée pour maintenir les coûts de production aussi bas que possible afin de répondre à la demande des consommateurs pour des produits abordables, sans compromettre les bénéfices des entreprises de mode elles-mêmes.
  • Le travail des enfants est monnaie courante dans l’industrie du vêtement. Les enfants sont toujours employés dans les plantations de coton, dans les tanneries et les usines.
  • Les femmes constituant la majorité de la main-d’oeuvre faiblement rémunérée du secteur textile, l’amélioration de la durabilité de la chaîne d’approvisionnement est également fortement liée à la lutte pour l’égalité des sexes.

À quoi l’UE veut-elle s’attaquer concrètement ?

  • On estime que plus de 80 % de toutes les incidences environnementales d’un produit sont déterminées pendant la phase de conception. Une bonne éco-conception, qui prend en compte la qualité, la réparabilité et la réutilisation, est donc essentielle, selon la Commission.
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  • La Commission souhaite que les fibres recyclées soient utilisées autant que possible à la place des matériaux vierges. Une limite minimale pour l’utilisation de matériaux recyclés sera fixée. La Commission collaborera également avec l’industrie pour développer les modèles commerciaux circulaires et promouvoir la réutilisation et la réparation.
  • La Commission veut mettre un terme aux fausses allégations écologiques concernant l’utilisation de polymères plastiques recyclés dans les vêtements, alors que ces fibres synthétiques proviennent de bouteilles PET triées. La préférence est donnée au recyclage au sein d’un même secteur : les bouteilles en PET sont réutilisées pour fabriquer des plastiques destinés à l’industrie alimentaire et les vieux vêtements synthétiques sont transformés en vêtements neufs.
  • Plusieurs mesures sont proposées pour réduire la quantité de microplastiques rejetés dans l’environnement.
  • La Commission encourage les entreprises à donner la priorité au recyclage de chaque fibre et décourage ainsi le mélange de textiles.
  • Les produits textiles ne doivent pas contenir de substances nocives.
  • Les produits doivent être fabriqués dans des conditions qui protègent l’environnement et les droits sociaux des travailleurs. Pour les droits sociaux, la Commission se réfère au projet de loi sur le devoir dit de diligence. Ce terme (également appelé due diligence ou « diligence raisonnable ») désigne la responsabilité des entreprises à prévenir et à éliminer de leurs chaînes de production les abus tels que le travail des enfants, les mauvaises conditions de travail ou la pollution environnementale.
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  • Les consommateurs doivent être mieux informés et mieux protégés contre l’écoblanchiment.
  • La Commission européenne élargit la liste des allégations que les entreprises peuvent et ne peuvent pas faire. Par exemple, les entreprises ne sont plus autorisées à faire de vagues déclarations environnementales. La Commission européenne cite à titre d’exemple les termes « respectueux de l’environnement », « éco » ou « vert » ou « neutre sur le plan climatique d’ici à 2030 ». Seule une communication claire et transparente sur les matériaux et les méthodes de production sera autorisée.
  • Il deviendra également punissable de faire une déclaration de durabilité sur un produit entier, alors qu’elle ne concerne en fait qu’une partie du produit. Un T-shirt en coton biologique, mais produit dans de mauvaises conditions de travail ? Dans ce cas, il ne s’agit pas d’un produit durable et il ne peut être appelé ainsi.
  • Les entreprises ne sont plus autorisées à utiliser des « labels de durabilité non contraignants », soit ceux qui ne sont pas contrôlés par une partie externe ou les autorités publiques.
  • Pour lutter contre les effets négatifs de la fast fashion, les producteurs devront, entre autres, prendre des mesures pour prolonger la durée de vie de leurs produits. Si la proposition est adoptée, ils devront à l’avenir se conformer à des exigences de conception obligatoires. Ou comme la Commission l’indique elle-même le but est de « faire disparaître la fast fashion ».
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  • La stratégie de l’UE encourage les États membres à soutenir le secteur de la réutilisation et de la réparation aux niveaux national, régional et local, notamment par des mesures fiscales favorables.
  • Le transfert de déchets textiles vers des pays non membres de l’OCDE ne sera possible que si certaines conditions sont remplies. Les pays doivent informer la Commission qu’ils souhaitent recevoir ces déchets et doivent démontrer qu’ils sont capables de les gérer de manière durable.
  • Afin d’éviter que les déchets textiles soient faussement étiquetés comme étant de seconde main lorsqu’ils sont exportés de l’UE, la stratégie propose que des critères spécifiques soient développés au niveau de l’UE. Une plus grande transparence est nécessaire.
  • Il sera interdit de détruire les vêtements invendus et retournés.
  • La Commission veut rendre les producteurs responsables des déchets générés par leurs produits. Ils étudient les différents moyens de rendre cela possible. La Commission suivra de près l’évolution de la production, de la composition et du traitement des déchets textiles.
  • La Commission introduit un passeport numérique pour les produits textiles. Le passeport devrait contenir des informations obligatoires sur la circularité et d’autres aspects environnementaux importants. Les acteurs de la chaîne circulaire et les citoyens pourront ainsi facilement savoir dans quelle mesure un produit est durable et comment prolonger sa durée de vie.

Quelle est la prochaine étape ?

Les propositions de la Commission vont maintenant être soumises au Conseil (États membres) et au Parlement européen pour discussion et adoption. Même s’il faudra des années avant que toutes ces propositions ne se traduisent par une législation concrète, l’idée est que les marques de mode et les entreprises textiles agissent immédiatement pour s’adapter aux futures nouvelles normes. Après tout, s’ils attendent, ils ne seront pas en mesure de renverser la vapeur à temps et un secteur de la mode durable d’ici 2030 ne sera certainement pas réalisable.

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Pour Sara Matthieu, députée européenne écolo, « la conception circulaire des produits permet aux entreprises d’adopter des stratégies rentables telles que l’entretien, la réutilisation et l’upcycling, au lieu de produire avec de nouvelles matières premières. Cela crée également plus d’emplois ancrés localement pour les PME européennes, c’est donc une bonne nouvelle pour notre économie. Matthieu estime toutefois qu’il faut faire davantage pour mettre fin à « la destruction à grande échelle de textiles, d’appareils électroniques et de colis retournés par le commerce électronique ». Les entreprises doivent également être tenues responsables de la protection de l’environnement et des droits de l’homme tout au long de la chaîne de production. Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), quant à lui, parle d’une « étape importante ». Si nous voulons que les consommateurs jouent leur rôle dans la transition écologique, l’UE doit leur permettre d’opter facilement pour la durabilité. Et c’est exactement ce que font ces propositions », conclut la directrice Monique Goyens.

La coalition « Fair and Sustainable Textiles « * réagit elle avec tiédeur aux promesses éthiques de la stratégie textile. La durabilité écologique et sociale étant les deux faces d’une même médaille, les organisations considèrent comme une occasion manquée le fait que la stratégie de l’UE accorde si peu d’attention aux lois contraignantes qui protègent les travailleurs.

La surconsommation de vêtements, de chaussures et de textiles ménagers en Europe consomme 675 millions de tonnes de matières premières par an et les mauvaises conditions de travail et les violations des droits de l’homme sont monnaie courante dans l’industrie textile mondiale. Les marques et les détaillants ont un pouvoir considérable sur leurs partenaires de production, ce qui se traduit par des retards de paiement, des modifications unilatérales des contrats et des prix inférieurs au coût de production », a-t-il déclaré.

La stratégie textile de l’UE oublie ce qui est au coeur de l’industrie textile : les personnes qui fabriquent nos vêtements », déclare Delphine Willot de Fashion Revolution. Elle a salué les efforts déployés en faveur de l’environnement, mais a déclaré que l’ensemble de la chaîne textile ne sera durable que si le droit des travailleurs à s’organiser est respecté et s’il existe un engagement plus important en faveur de salaires équitables pour les personnes qui fabriquent nos vêtements.

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Sergi Corbalán, de Fair Trade Advocacy Offices, partage cet avis : « Les marques utilisent le rapport de force inégal entre elles et leurs fournisseurs pour imposer unilatéralement des pratiques d’achat en leur faveur, comme la fixation de prix d’achat inférieurs aux coûts de production, des délais de livraison courts ou des changements de conception de dernière minute. Ces pratiques d’achat réduisent les marges des usines, ce qui leur laisse peu ou pas de marge pour investir dans des conditions de production ou de travail durables, telles qu’un environnement de travail sûr ou des salaires décents », indique le rapport. En n’abordant pas le problème des pratiques commerciales déloyales, des prix d’achat ou des salaires de subsistance, la stratégie de l’UE passe à côté d’une pièce importante du puzzle permettant de rendre le secteur textile circulaire, équitable et durable.

Muriel Treibich, de la campagne « Clean Clothes », considère également comme une occasion manquée le fait que la stratégie en matière de textiles ne soit pas utilisée pour fixer des objectifs plus ambitieux. Au lieu d’aborder les défis et les spécificités du secteur, la stratégie européenne pour le textile se contente de faire référence aux initiatives politiques en cours. Des millions de travailleurs, l’épine dorsale de cette industrie mondiale du textile et de l’habillement, ont besoin de plus de la part de la Commission européenne ». Treibich craint qu’une fois de plus, l’importance d’un salaire décent et la responsabilité des PME n’aient pas été suffisamment prises en compte, tout comme dans la proposition sur la responsabilité des entreprises (la fameuse due diligence) en février. Ce qui était trop vague dans la proposition concernant le devoir de diligence reste tout aussi vague dans cette stratégie, selon les organisations.

La coalition* est composée des organisations suivantes : Fashion Revolution, Fair Trade, Clean Clothes Campaign, Traidcraft Exchange, Solidaridad, IndustriAll, Environmental Coalition on Standards, European Environmental Bureau, Environmental Coalition on Standards et RREUSE.

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