La mode, un bon investissement ?
Certaines pièces iconiques se revendent deux, trois, voire des dizaines de fois leur prix d’achat. De là à délaisser la brique et les lingots d’or et considérer le sac Kelly comme nouvelle valeur refuge…
Un bien qui triple de valeur en une décennie ; le Graal pour un investisseur. Mais quel est l’objet du désir ? Une toile d’artiste récemment mis sous les projecteurs, un appartement en zone nouvellement branchée ? Non, quelques centimètres carrés de cuir, façonnés dans l’atelier d’une grande maison de couture. Le Chanel 2.55, inspiré des besaces de soldats, avec sa chaîne dorée, a vu son prix augmenter de 70 % en six ans. Le Kelly d’Hermès, version croco, s’échangeait à 7 072 euros en 2006 contre 21 183 euros en 2016. Quant au Birkin, chez le même maroquinier, son prix a doublé en onze ans et peut décoller dans le cas de modèles dits » sur commande « , produits à la demande d’un particulier et non en série.
Tous ces chiffres sont issus de véritables » rapports d’analyse « , avec graphiques à barres et courbes de croissance, que publie Collector Square. Le site de seconde main d’objets de luxe se base sur les données du LuxPrice-index, un outil collectant les résultats des plus grandes maisons de vente du monde, créé pour pouvoir attribuer des sortes de cotes aux pièces fashion iconiques.
Séries limitées
» Il se passe réellement quelque chose à l’heure actuelle, affirme Sébastien, merchandiser dans une grande maison de luxe et formé à l’IFM (Institut français de la mode). Lacroissance de la valeur de certains produits est tellement forte que ça vaut la peine d’investir, notamment quand ils sont rares car ce qui est rare est cher. » Bien sûr, il y a les légendes, les modèles qui ont traversé les tendances, mais les pièces rentables de l’époque sont aussi à chercher du côté des séries limitées. » Il suffit de voir le succès de la collaboration Louis Vuitton-Supreme, qui a été instantané. Beaucoup de gens ont acheté et revendu des articles avec de grandes marges. Un particulier qui s’offre un collector sait qu’il va prendre de la valeur avec le temps, car c’est une série qui a été distribuée dans un réseau réduit et qui a fait un énorme buzz. »
Christina Zeller, directrice artistique chez Delvaux, a pu constater le même phénomène. » Récemment, j’ai vu un sac – notre dernier lancement PVC qui s’appelait Hero, avec l’inscription 1829 -, au double du prix de vente officiel, deux mois après le lancement, sur un site de seconde main. On ne va pas vraiment collectionner un modèle Delvaux en box noir, mais on va miser sur celui en croco, brodé au fil de soie, avec des effets de grainage ou alors – car nous sommes la maison des paradoxes et des extrêmes -, sur des propositions innovantes, comme ce Hero qui fait appel à des techniques de pointe. »
A l’image de la marque, qui s’est repositionnée, l’acheteur a évolué dans une époque où des sites tels que Vestiaire Collective ou Videdressing ont fait exploser les achats de luxe entre particuliers. » Avant, la notion de collection était plutôt sentimentale, poursuit Christina Zeller. Il y a dix ou quinze ans, on gardait le sac de sa mère, de sa grand-mère ou son arrière-grand-mère alors qu’aujourd’hui, les gens achètent une pièce unique en se disant qu’il est possible qu’elle prenne de la valeur ou parce que c’est extraordinaire en termes de travail et que ça ne se fera peut-être plus dans dix ans. «
Bien fragile
Gabriele Wolf, de la boutique bruxelloise Gabriele Vintage, tempère néanmoins cet enthousiasme : » ll y a des gens qui cherchent à investir ailleurs ; on voit également le marché de l’art flamber. Mais pour les vêtements, c’est encore compliqué, car les pièces ne tiennent pas durant des dizaines d’années. Si l’on pense aux générations d’après, ce n’est pas dans cette direction qu’il faut partir. J’ai déjà le problème avec les années 20-30 ; il est rare de trouver des choses qui soient encore mettables. » Son conseil : investir dans les bijoux, moins sensibles à l’emprise du temps. Et pour le reste, viser le nom, toujours le nom : » C’est ça qui compte, la griffe. Un Courrèges, années 60, c’est intéressant. Des créations du début du siècle, telles qu’un Poiret ou un Dior de la première période de sa carrière, fin des années 40, début des années 50, c’est aussi une bonne idée. »
Dans le secteur, l’achat » patriote » ne fait, par contre, pas encore ses preuves : » Les Belges sont beaucoup moins recherchés que les Français, note Gabriele Wolf. Il y a une question d’ancienneté, la mode belge dans les années 50-60 n’était pas connue par rapport à ce qui se passait chez nos voisins. Ça pourrait éventuellement venir, mais ce n’est pas pour demain et il faut choisir les bonnes marques. Difficile de prévoir ! »
Même constat du côté de la maison spécialisée dans les enchères Cornette de Saint Cyr, qui a organisé une vente remarquée de créateurs belges, l’an dernier. » En Belgique, il y avait beaucoup de maisons de couture, comme Mies, qui travaillaient sur les patrons originaux de maisons parisiennes, avec les mêmes tissus, etc. Mais c’est beaucoup moins recherché, estime Rosalie Pernot, responsable du département mode. Il y a une création contemporaine forte mais, même si l’on a eu de bons résultats avec du Delvaux par exemple, sur le vintage ce sont vraiment les marques italiennes et françaises qui sont les plus importantes. «
La robe à 4 millions
Si les stars des modèles s’appellent Kelly, Birkin ou encore Diana, renvoyant à l’image de celles qui l’arborèrent, le nom de l’ancien propriétaire peut avoir un effet retentissant, plus encore que l’étiquette. Lors de la vente Audrey Hepburn, qui s’est tenue ce mois-ci chez Christie’s, on a ainsi vu partir un poudrier monogrammé à… plus de 22 000 euros. En 2016, la légendaire robe noire de Breakfast at Tiffany’s avait été adjugée pour 450 000 livres, soit plus ou moins 510 000 euros. La robe fourreau scintillante dans laquelle Marilyn Monroe susurra ses voeux d’anniversaire à JFK au Madison Square Garden a quant à elle été adjugée 4,8 millions de dollars, soit un peu plus de 4 millions d’euros, à l’automne dernier… Contre 1,3 million de dollars lors de son précédent changement de propriétaire en 1999. La bonne affaire !
» Le marché se porte bien, à Paris et ailleurs, note Wilfrid Vacher, directeur de Cornette de Saint Cyr Bruxelles, qui a fait le pari d’ouvrir un département mode, assez » exotique » chez nous. Il y a, par exemple, un engouement pour Hermès, motivé par les délais d’attente qui sont tels que les clients préfèrent acheter en salles. En Belgique toutefois, les choses se mettent en place lentement. J’ai l’impression que les Belges n’achètent pas encore fréquemment du vintage. Il y a beaucoup de boutiques de seconde main à Bruxelles mais ils n’ont pas encore l’habitude de se retrouver avec des vêtements en salles. C’est un tout jeune marché. »
Le secteur semble donc avoir de l’avenir, mais, une fois sortis des quelques modèles iconiques et rentables, les vêtements griffés sont-ils réellement revendus plus chers que leur prix d’achat ? Rosalie Pernot est catégorique : » La plupart du temps, non ! Pour les biens exceptionnels oui ; pour les commandes spéciales qui ont des valeurs qui ne sont pas vraiment estimables, oui ; mais en règle générale, non. »
L’argument ne tiendra donc pas devant votre banquier ou votre conscience, la prochaine fois que vous voudrez justifier de magistrales dépenses pour votre garde-robe. En revanche, quand l’on voit qu’un smoking griffé Saint Laurent en laine et soie a été cédé pour 250 euros et un lot jupe et pull en cachemire Chanel pour 200 euros, lors d’une récente vente Cornette de Saint Cyr, l’on se dit qu’il y a peut-être de bons » investissements » à aller chercher du côté de ce nouveau type d’achat de luxe qui s’installe chez nous. Prochaine vente mode de la maison : le 18 décembre prochain.
Lire sur le sujet : Les conseils d’un expert pour bien investir dans la mode
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici