La mousseline de Dacca, l’étoffe que l’on croyait disparue à jamais
Le Bangladesh s’efforce de ressusciter la mousseline de Dacca, une étoffe que l’on croyait à jamais disparue, qui autrefois ornait les vêtements des élites, à l’instar de la reine de France Marie-Antoinette et de la romancière anglaise Jane Austen, et rapportait des fortunes.
La mousseline de Dacca était tissée de fils de coton si fins qu’un changement de lumière suffisait à révéler la peau des élites des salons européens qui s’en paraient. « Personne ne savait comment elle était conçue », déclare à l’AFP Ayub Ali, un haut fonctionnaire de l’équipe de direction du projet de relance, « la célèbre usine de coton, qui fournissait le fil de la mousseline de Dacca avait disparu ». Le commerce de la mousseline avait contribué à faire du delta du Gange et des terres où s’étend aujourd’hui le Bangladesh, l’une des régions les plus prospères du monde, selon les historiens. Des générations de la dynastie moghole qui régnait alors sur l’Inde, portaient des tuniques tissés dans cette étoffe légère, bien avant qu’elle ne séduise les aristocrates européens et autres élites à partir de la fin du XVIIIe siècle. Un châle en mousseline de Dacca ayant appartenu à Jane Austen, censé avoir été brodé à la main par l’auteure d' »Orgueil et préjugés » en personne, est exposé dans son ancienne demeure du Hampshire, en Angleterre, transformée en musée. Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France avait posé dans une robe de mousseline, dite « en gaulle » pour un portrait peint par Élisabeth Louise Vigée Le Brun, en 1783. L’industrie était florissante jusqu’à la conquête du delta du Bengale par la Compagnie britannique des Indes orientales marquant le début à de la colonisation de l’Inde par les Anglais.
« Le cotonnier rare »
Avec la révolution industrielle, l’Angleterre s’est mise à produire des textiles beaucoup moins chers puis les droits de douane pratiqués par les Européens ont fini par avoir raison du commerce de ce tissu délicat. Avant de prétendre à relancer le commerce de la mousseline de Dacca, il a d’abord fallu retrouver l’espèce de fleur de coton propre à sa fabrication, qui ne pousse que dans les environs de Dacca.
« La mousseline ne peut être tissée sans le coton Phuti Carpus. Pour ressusciter la mousseline de Dacca, nous devions donc retrouver ce cotonnier rare et probablement disparu », explique à l’AFP Monzur Hossain, le botaniste qui a dirigé les recherches cinq années durant. Son équipe a épluché l’ouvrage de botanique fondamentale de Carl Linnaeus, naturaliste suédois du XVIIIe siècle entre autres documents historiques plus récents sur la mousseline de Dacca, afin d’identifier la fleur rare parmi 39 espèces sauvages collectées dans tout le pays.
Etudes génétiques
Au Victoria and Albert Museum de Londres, les conservateurs leur ont montré des centaines de pièces importées de Dacca à l’époque moghole par les marchands de la Compagnie des Indes orientales. Des études génétiques ont révélé que la plante tant recherchée figurait dans la collecte des botanistes de Kapasia, une ville située au nord de la capitale. « Elle coïncidait à 100%, et certains livres d’histoire faisaient mention de Kapasia comme l’un des sites où le Phuti Carpus était cultivé », raconte M. Hossain. Des cultures de l’espèce rare ont été mises en champs dans des fermes expérimentales afin d’accroître les rendements. Mais l’espoir s’est immédiatement heurté à un nouvel obstacle: le savoir-faire des tisserands. Même si le Bangladesh est aujourd’hui le deuxième exportateur mondial de textile derrière la Chine, fournissant en vêtements de grandes marques internationales telles que H&M et Walmart, pour 35 milliards de dollars chaque année.
Il a fallu dénicher des fileurs et des tisserands sachant oeuvrer avec les fils les plus délicats, issus de l’artisanat local autour de Dacca où de petits ateliers fabriquent des subtiles saris de jamdari, un coton fin ressemblant à la mousseline. Plusieurs mois ont été nécessaires pour que l’équipe parvienne à maîtriser le métier à tisser, travaillant des fils quatre fois plus fins que le jamdari, requérant deux personnes et huit heures de travail sans interruption pour obtenir moins de trois centimètres de mousseline.
« Comme pour prier »
« Je ne sais pas comment j’ai fait », s’étonne Mohsina Akhter, l’une des fileuses intégrées au projet, devant une pièce de tissu, « cela demande une concentration extrême ». « Pour y parvenir, il faut être dans un état d’esprit parfait », explique-t-elle, « si l’on est en colère ou inquiet, impossible de filer à la main un fil aussi fin. » « C’est comme pour prier, il faut être totalement concentré », ajoute le tisserand Abu Taher, « la moindre défaillance peut rompre le fil et ruiner votre travail ». « Plus je travaille, plus je me demande comment nos ancêtres ont pu tisser des vêtements aussi fins. C’est presque inconcevable ». Tant d’efforts et de temps fournis font de la mousseline de Dacca, aujourd’hui aussi, un textile de luxe qui n’éveille qu’un intérêt timide dans l’industrie. « Nous voulons en faire un produit de mode mondial de premier plan. Elle a une grande histoire », s’enthousiasme Parvez Ibrahim, dont la famille possède une usine dans l’industrie de la mode. « Mais pour réduire les coûts, nous devons accélérer le processus de production », poursuit-il, « sinon, ressusciter la mousseline de Dacca perd tout son sens ».
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