Elle incarne avec élégance un automne-hiver plein de promesses. Première mannequin belge et métisse à embrasser une carrière internationale, Kina Vandevelde séduit par sa grâce électrique qui s’affranchit de toutes les frontières. Ses moteurs: beaucoup de fantaisie et encore plus de liberté.
Quand Kina Vandevelde entre dans une pièce, on a soudain la sensation qu’un vent de liberté s’est levé, on sent comme une brise légère, joyeuse, optimiste qui emporte tout sur son passage. Hier encore, elle galopait sur la plage de Tamarindo, au Costa Rica, c’est son quotidien, c’est là qu’elle vit et qu’elle soigne ses chevaux. Aujourd’hui, elle a débarqué à Bruxelles, quitte ses atours personnels griffés Marine Serre pour se glisser dans des silhouettes Hermès, Prada, Saint Laurent, Marie Adam-Leenaerdt, Gucci ou Fendi.
Car Kina est l’âme de notre shooting mode, volontiers graphique, voire minimaliste, avec petites touches d’imprimés fauves qui lui vont forcément à merveille, elle, si féline. Elle délie son corps, défie la pesanteur, répète ce jeté de jambes impressionnant qu’elle avait déjà accompli pour AnOther Magazine, dont elle avait fait la une, il y a plus de vingt ans et qu’elle avait réitéré en septembre 2024.
On l’avait regardée enfiler les looks avec sa patience d’ange, habiter les vêtements qu’on aura envie de porter cet automne, donner ses lettres de noblesse au métier de mannequin. Puis on l’avait revue quelques jours plus tard, autour d’un thé – elle s’était alors prêtée au jeu de l’interview comme elle l’avait fait pour les photos, avec la même ouverture de cœur, la volubilité en plus. Kina Vandevelde a ceci de merveilleux qu’elle colore tout de sa fantaisie, ce qui n’empêche pas la gravité.
« Je n’étais jamais d’ici »
On ne saura pas quand elle est née, mis à part un 13 juillet, à l’Hôpital d’Ixelles d’une mère métisse congolaise et d’un père belge – les stigmates de la Belgique coloniale jalonnent son histoire intime.
Si elle ne dévoile pas l’année de sa naissance, ce n’est pas par coquetterie. Elle sait combien les gens sont «formatés», qu’ils aiment ranger dans des cases et que, «comme l’avait compris le Petit Prince, les adultes ont toujours besoin de chiffres». Mais elle ne se pliera pas à la règle. «Je ne veux pas qu’on s’arrête à l’âge de ma carte d’identité, si vous pensez que j’ai 30 ans, j’en ai 30, si vous croyez que j’en ai 50, j’en ai 50, donnez-moi l’âge que vous avez envie de me donner… Je suis professeur d’équitation et de tissu aérien, je monte à 6 mètres de hauteur, je fais des chutes dans le vide que même des petites de 18 ans ne savent pas faire…» Et avec panache, Kina botte en touche – «J’ai une âme jeune».
Elle a débuté dans le mannequinat à une époque où l’on n’avait pas encore osé dire haut et fort «Black Lives Matter». «Je n’étais pas la métisse parfaite, se souvient-elle. J’étais plutôt l’inverse de Naomi Campbell: j’ai des cicatrices aux genoux, des petits seins, mais j’ai poussé les portes, je suis entrée par les fenêtres, et si on me disait non à la fenêtre, je passais par le grenier ou la cave… Je ne veux rien lâcher, je suis très têtue.»
Elle connaît les portes fermées, les regards fuyants, les «non» pas même fermement prononcés, le racisme latent, la violence qu’on se prend en pleine figure, elle n’a pas oublié cette banane qu’on lui avait jetée au visage alors qu’elle courait les castings pour tenter de décrocher une promesse de défilé ou de séance photo… Ses yeux se plissent, on pourrait croire qu’elle en rit, Kina a l’élégance de ne pas en pleurer. Petite déjà, elle en avait souffert. «L’école, c’était douloureux», confie-t-elle. Les enfants sont durs entre eux. J’étais «La Noire», on me disait que je devais rentrer dans mon pays. Et quand j’étais en Afrique, en République démocratique du Congo qui s’appelait alors le Zaïre, j’étais la Mundélé, la Blanche… Je n’étais ni d’un continent ni de l’autre, je n’étais jamais d’ici. J’ai appris à me défendre…»
Il lui en a fallu ériger des murs de protection, à l’époque, elle n’a d’autre choix que la rébellion, à hauteur d’enfant. Un jour, il lui est venu l’idée d’abandonner son prénom de baptême, Isabelle, pour endosser l’africain, Kina Kinewele. «Je prétendais que cela signifiait «Fleur de soleil», mais cela ne veut rien dire en réalité… Je disais n’importe quoi pour me faire remarquer. Je me sentais toujours «moins» que les autres, du coup, je tentais de me faire remarquer en faisant des conneries, pour faire rigoler les gens…»
« Elle m’a choisie… »
Elle est encore étudiante en art, à Saint-Luc, quand on lui propose d’être mannequin. Les eighties battent leur plein, c’est l’époque glorieuse du Mirano Continental, le night-club bruxellois qui se donne des airs de Studio 54. Kina y danse sur les baffles, elle play-backe Sade, elle y prend un plaisir immense – «J’avais besoin d’être sur scène, j’avais besoin d’être reconnue».
De gauche à droite : grand chapeau noir avec voile et pantalon en cuir noir, Chanel • Lunettes de soleil, Gucci via zalando.be • Robe longue blanche avec détail argenté, Gucci. Escarpins en cuir, Marie Adam-Leenaerdt • Escarpins en cuir marron, Prada • Pantalon en cuir noir, Chanel • Body noir avec gants, Marie Adam-Leenaerdt • Blazer en laine gris et body noir, Marie Adam-Leenaerdt • Manteau en fausse fourrure, Sportmax • Soutien-gorge en satin blanc et manteau en laine gris, Miu Miu.
Olivier Strelli sera le premier à lui faire porter ses vêtements chamarrés, elle lui en est reconnaissante pour toujours. «C’est mon petit chéri! dit-elle avec une emphase enfantine. C’est lui qui m’a dit que je savais bien marcher.» A la liste des fées protectrices, elle ajoute illico Giorgio Armani, qui l’avait habillée en mariée, c’était en 1993, pour l’ouverture de sa boutique à Bruxelles, elle clôturait le défilé, pendue à son bras, comme dans les images d’Epinal où le père mène sa fille à l’autel.
Dans cette liste de bonnes fées, vient ensuite le nom de Vivienne Westwood. «Elle était fantastique, comme l’idée que je me faisais des Anglais, je la connaissais de nom seulement, quand on arrivait à Londres et qu’on avait un casting chez elle, c’était presque comme si on allait rencontrer Dieu! Mais elle m’a mise directement à l’aise, elle était d’une amabilité un peu folle. Elle m’a vraiment fait sentir que j’étais une déesse.»
Et enfin, on y trouve Marine Serre, ajoutée en 2020. Car c’est grâce à elle que Kina Vandevelde foule à nouveau les catwalks alors qu’elle pensait avoir définitivement terminé sa carrière de mannequin. La jeune créatrice qui a fait du croissant de lune son emblème dès la fin de ses études à La Cambre Mode(s) a toujours aimé faire défiler des êtres qui portent leur personnalité en étendard. «Marine ne me connaissait pas, elle avait vu quelques photos d’avant, elle ne savait pas mon âge… Et elle m’a choisie, elle avait compris qui j’étais de l’intérieur. Elle m’avait reconnue comme être humain.»
Les chevaux l’ont sauvé
Les chevaux l’ont sauvée. A 12 ans, Kina Vandevelde débute l’équitation, à Rhode-Saint-Genèse, sa vie en est bouleversée. «Cela m’a énormément aidée, c’est la première fois où je me sentais un peu moins différente: si je ne faisais pas bien le trot, ce n’était pas parce que j’étais métisse…
« Et puis, si tu ne fais qu’essayer de pousser des portes, tu perds pied rapidement. L’équitation m’a permis de rester connectée, mon rapport aux chevaux m’a permis d’être solide – dans ma vie, il n’y avait pas que des castings où l’on me disait que je n’étais pas assez blonde. »
Elle a donc créé son paradis sur terre, sa finca Shambalah, au Costa Rica, la plage où galoper sans fin, à cru, dans ce pays qui n’a pas d’armée, où la nature préservée fait du bien à l’âme. Elle y recueille les vieux chevaux dont plus personne ne veut, elle y accueille qui veut s’y ressourcer. Elle rêve de changer le monde, un tant soit peu, autour d’elle, ce serait déjà ça.
EN BREF, Kina Vandevelde
° Née à Ixelles le 13 juillet, elle préfère garder secrète son année de naissance.
° Elle vit plusieurs années au Zaïre, avant de revenir en Belgique à l’âge de sept ans.
° Elle commence sa carrière de mannequin au milieu des années 80.
° En 1993, elle apparaît en mariée lors de l’inauguration de la boutique Giorgio Armani à Bruxelles.
° Elle défile pour toutes les grandes maisons, de Givenchy à Hermès.
° En 2004, sa fille Kaliah est née.
° Elle vit au Costa Rica, où elle gère la finca Shambalah, avec un centre équestre.
Production et stylisme: Christine Van Laer
Photos: Martina Bjorn
Assistant styliste: Francis Boesmans
Assistant photographe: Ushua Goeminne
Maquillage et coiffure: Suzanne Verberk chez NCL Representation pour Dior
Mannequin: Kina Vandevelde chez HMM
Coordination: Timon Van Mechelen