Lionel Gallez, jeune diplômé de La Cambre Mode(s), détourne les archétypes du vestiaire masculin

Anne-Françoise Moyson

En soutien à la jeune création, Le Vif Weekend met à l’honneur chaque année un.e étudiant.e diplômé.e de La Cambre Mode(s). Rencontre avec notre lauréat Lionel Gallez.

Puisque l’année scolaire est finie, puisqu’il a son diplôme en poche, puisqu’il aime l’ordre, Lionel Gallez a parfaitement rangé sa collection de fin de cursus. Elle dort désormais dans des housses, sur les portants qui occupent sa chambre. Elle fut aussi son atelier durant ses études à La Cambre Mode(s). Il ne porte pas ses vêtements, ni lui ni personne d’autre, mis à part les mannequins de son défilé: il a trop peur de les abîmer. La confession fait sourire.

«C’est mon aspect psychorigide des choses, précise-t-il comme pour s’excuser avec légèreté. C’est pas pour rien d’ailleurs que j’ai travaillé sur les vêtements qui sont pliés et rangés…» Les douze silhouettes de son vestiaire masculin détournent en effet les codes d’un sage vestiaire petit-bourgeois en une garde-robe sensible à l’humour détaché.

On reconnaît d’emblée le petit pull noué sur les épaules et le short en velours côtelé. Sans que rien ici ne soit prétentieux ou ringard. Avec brio, Lionel additionne les jeux de multiplications et d’imbrications et manie allègrement les motifs à carreaux pour créer des effets de vibrations. Il voulait que ce soit «joli, frais, drôle». Il y a mis du cœur.


Du droit à la mode

Rien ne le prédestinait à la mode. Lionel a grandi à Ath, «à cinq minutes à pied du centre et à cinq minutes à pied de la campagne. Il suffisait de traverser un pont et j’étais dans les champs, pareil pour aller en ville». Ado, il découvre les manteaux de Dries Van Noten, les recherches conceptuelles de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons, les shows grand public de Thierry Mugler.

Il se destinait au droit, il se met à batailler ferme pour réussir à convaincre sa mère qu’étudier à La Cambre Mode(s) est son chemin. Aujourd’hui, à 24 ans, Lionel Gallez est au tout début de sa vie d’adulte. Avec en guise de ligne d’horizon proche un stage de six mois chez Walter Van Beirendonck, à Anvers. Confessions d’un enfant de ce siècle.

D’où vient votre désir d’étudier la mode?

Je viens d’un univers très cartésien, j’ai fait des études générales en sciences-langues. En cinquième secondaire, je voulais étudier la biochimie et puis j’ai voulu me tourner vers le droit. J’ai suivi des petites formations et j’ai aimé. Même si au fond de moi, j’étais persuadé que ce n’était pas forcément ce que je voulais faire et surtout que ça n’allait pas m’animer suffisamment. D’autant que je n’avais pas envie de rester dans mon patelin, dans un cursus qui m’ennuierait au bout de deux ans.

Et puis j’ai des amis, un peu plus âgés que moi, qui sont passionnés de mode et de parfums. L’un d’entre eux m’a emmené à Bruxelles, je devais avoir 14 ans. Et j’ai découvert la mode belge. On est allé chez Stijl. Quand je suis entré dans la boutique, les premières pièces que j’ai vues, c’était les manteaux de Dries Van Noten… Je me suis dit que créer des vêtements était peut-être fait pour moi. Et j’ai pensé: «Pourquoi pas?»

Et comment découvrez-vous La Cambre Mode(s) ?

Sur Internet d’abord. J’ai regardé toutes les videos que je pouvais trouver sur YouTube ou sur Vimeo, avec les défilés de La Cambre et les interviews des élèves qui montraient leurs travaux. Et puis j’ai assisté à mon premier show en vrai, en 2016, j’avais 15 ans… Au début de ma rhéto, j’ai annoncé à mes parents que je voulais étudier la mode. Que j’avais envie de faire du stylisme, que j’avais envie de créer…

Je me souviens de la réaction de ma mère, elle m’a dit: «Une école d’art, c’est hors de question.» Il faut dire que mes parents n’ont pas fait d’études, mon père est policier et ma mère a arrêté les siennes à 20 ans. Elle avait peur que je ne fasse pas de bonnes études… Et je la trouve complètement naturelle, cette peur.



Vous avez dû batailler?

Oui, elle pensait presque que quand on fait une école d’art, on finit sous les ponts…. Cela a été parfois très conflictuel. Cela finissait en dispute, d’autant que je remettais en question l’autorité parentale… Et puis un jour, elle m’a dit: «OK, chiche.» Entre-temps, pour la rassurer, j’avais accepté d’aller voir une conseillère d’orientation. Elle avait conclu que ces études me convenaient super bien. J’avais payé 60 euros la séance pour m’entendre dire ce que j’avais envie d’entendre. Et pour que ma mère soit enfin d’accord avec moi… Je ne lui reproche rien évidemment, je sais que c’était le stress d’une mère pour son enfant…



Et que disent désormais vos parents en regardant votre collection de fin d’études?


Ils sont fans, mon père surtout, c’est mon fan numéro un. Mais lui m’a toujours conseillé de faire ce dont j’avais envie. C’est drôle, souvent ce sont les pères qui sont un peu plus durs… Chez moi, c’était vraiment ma mère qui dirigeait le carrosse. Et mon père, très tranquille, qui disait: «Si tu veux faire de l’art dans ta vie, vas-y.» En août 2019, je me suis inscrit au concours d’entrée de La Cambre Mode(s).

‘Je croyais pouvoir tout faire moi-même, or, dans ce métier, il faut apprendre à bosser avec les autres.’

Il fallait créer un magazine, un accessoire et un vêtement à partir d’une robe et de deux mètres de calicot. Et il fallait défiler à la toute fin devant les professeurs. J’ai passé des nuits blanches pour terminer cette robe que j’avais assemblée avec des agrafes parce que je ne savais absolument pas coudre. Je dessinais comme je pouvais. Je n’avais jamais suivi de cours. Mais j’ai été sélectionné. J’ai appelé mes parents pour le leur annoncer. Je me souviens, ils en ont pleuré. J’avais gagné ma bataille.



Dans votre collection, quelle est la pièce qui vous a donné le plus de mal?


Le tailleur à fleurs. Une angoisse. Jusqu’au bout, je me disais: «Mais c’est moche.» C’est une pièce crafty, artisanale en laine bouillie très fine que j’ai trouvée en deadstock. J’avais peur qu’elle fasse historique. Mais finalement, ça va, tout le monde l’a adorée. Elle est juste très curieuse. Et puis tout ce travail textile m’a pris des plombes, au moins deux semaines. Il a fallu monter le bomber. Puis placer symétriquement une centaine de ces petites fleurs à l’épingle puis les coudre. Et chacune d’entre elles est composée de quatorze morceaux. Tous contrecollés. C’était énorme comme travail. J’ai eu l’aide de trois amis pour faire toutes les fleurs, heureusement.

Lionel Gallez en bref

  • Lionel Gallez naît le 21 mai 2001 à Ath.
  • En 2019, il entre à La Cambre Mode(s).
  • En 2021, il effectue un stage chez le créateur Kevin Germanier basé à Paris.
  • En juin 2025, il fait défiler sa collection de fin d’études titrée «On Display».
  • Il est lauréat pour les Belgian Fashion Awards 2025, dans la catégorie Best Student of the Year.
  • En septembre 2025, il entre comme stagiaire chez Walter Van Beirendonck.



Vous avez été en stage chez Kevin Germanier, le créateur suisse qui excelle dans l’upcycling perlé et flamboyant… Quels souvenirs?


J’avais terminé ma B2, c’était l’été 21. J’ai débarqué à Paris et j’ai littéralement enfilé et cousu des perles pendant deux mois. Kevin préparait sa collection pour la Fashion Week de septembre suivant, pour pouvoir la présenter en showroom au Palais de Tokyo. Au mois de mars suivant, je suis même revenu à Paris, pour l’assister et habiller les mannequins pour son premier show chez Baccarat. Ce stage m’a aussi permis de découvrir Paris, et de le découvrir tout seul…

C’était assez terrifiant au début, vraiment. Je me rappelle mon premier week-end à Paris dans ma petite cage à poule tout en haut, au septième étage d’un immeuble du Marais. Je ne connaissais personne, je suis resté dans mon neuf mètres carrés à regarder des séries sur mon canapé-lit à manger des pâtes bolo… Mais franchement, c’était une chouette expérience.

Vous avez fait une pause en B3 et recommencé votre année, pourquoi?

Après ce stage, j’étais fatigué et j’ai eu le Covid plusieurs fois. Il m’a fallu longtemps pour que je retrouve une forme normale, un enfer. Et puis je croyais qu’on pouvait tout faire soi-même. Or, dans ce métier, on ne fait pas tout soi-même. Il faut donc apprendre à bosser avec les autres… J’avais visé plus haut que la comète. J’avais les yeux plus gros que le ventre en termes de réalisation, de montage et de projet. Et je me suis écrasé. Je me suis cassé la gueule. J’ai donc fait une pause et ça m’a fait du bien l’air de rien. Je pense que je manquais de maturité.


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Quel est votre regard sur la mode belge?


Elle est très différente de la mode française. Elle véhicule quelque chose de très fort. Mais elle est d’apparence très discrète. Chez les créateurs belges, il n’y a pas cette volonté d’en faire tout un pataquès pour raconter une histoire. Peut-être que je suis influencé par la méthodologie de La Cambre. Mais je trouve qu’on le remarque dans le travail des Six d’Anvers ou de Martin Margiela.

C’est jamais beaucoup de blablas. On comprend tout directement, avec quelques mots-clés. Et on n’a pas besoin de plus. Prenez les pièces de Walter Van Beirendonck. On comprend que c’est un univers hyper positiviste qui traite des sujets parfois intenses. Mais abordés de manière colorée, avec de l’autodérision à 3.000%… C’est ça que j’aime dans la mode belge. Et c’est aussi pour cela que je veux rester en Belgique pour travailler pour une maison belge. Oui, j’ai vraiment envie de travailler pour mon patrimoine de mode. Parce qu’il est rare.

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