Martin Margiela, confidences pour confidences
A défaut d’être pour l’heure projeté dans les salles de cinéma, Martin Margiela in His Own Words, le film documentaire de Reiner Holzemer, est à découvrir en première digitale pour la Belgique dès le 8 mai (*). Le créateur belge s’y dévoile pour la première et la dernière fois. En avant-goût, confidences exclusives de ceux qui l’approchèrent de près.
Comment filmer un homme qui jamais ne se montra ? Il fallait le pari de la confiance, un apprivoisement mutuel, une construction partagée. Fort de son Dries, documentaire sur Dries Van Noten filmé en 2017, l’Allemand Reiner Holzemer, épaulé par la productrice Aminata Sambe, donne à voir l’oeuvre de Martin Margiela, qui pour la première fois, met lui-même des mots sur ses vingt ans de mode, de défilés, de collections, de révolutions. Car le créateur belge (Louvain, 1957), saisissant ce monde, l’entraîna à sa suite dans sa sensible esthétique, y imprimant ainsi son empreinte durablement. Dès la création de sa maison qui porte son nom, dès son premier show en octobre 1988, il inventa une nouvelle silhouette où comptent l’attitude et le mouvement, le vêtement et le corps singulier qui l’habite. Vingt ans plus tard, et c’est par là que s’ouvre Martin Margiela in His Own Words, entamant ainsi l’histoire par la fin, il quittera sa Maison, plus discrètement que jamais, c’était le 29 septembre 2008, après un défilé qui fila des frissons, comme chacun quasiment et qui célébrait un joyeux vingtième anniversaire dans l’ignorance totale de ce départ sans adieu. Tout y était, l’inventaire détaillé de son vocabulaire, qui bouleversa la mode, n’hésitant pas à remettre en question ce qu’il détestait en elle. L’anonymat qu’il avait choisi comme étendard rendra plus acérés encore ses propos, ses propositions vestimentaires, voire sociétales.
Dès lors comment penser un documentaire sur cet homme-là en respectant son invisibilité ? Se concentrer sur sa voix, sur l’exactitude de chacune de ses phrases, sans paraphrases. Cadrer au plus près ses mains intranquilles, désormais sans bagues, ses gestes calmes et précis qui en disent long quand il dévoile ses archives, comme autant de trésors. Car tout chez Martin Margiela est archivé depuis l’enfance limbourgeoise qui lui inocula le goût du dessin solitaire, des rêves parisiens, des femmes intelligentes et des perruques teintes. Il laisse ainsi deviner ce qui le constitue. Ses croquis et ses esquisses s’animent soudainement pour les besoins du film – quelle élégante trouvaille. Alors sous nos yeux émerveillés prennent formes ses fulgurances de petit garçon qui fut visiblement ému par cette citation de Marcel Pagnol : » Elle avait des bas tissés de la plus fine soie et des petits souliers précieux » – on sait désormais ce qu’il fit de ses éblouissements.
Sur une bande-son magistralement habillée par dEUS (merveille que ce Nothing Really Ends qui sème ses points de suspension dans les derniers instants du film), les uns et les autres qui firent plus que le croiser se souviennent – du créateur Jean-Paul Gaultier au premier attaché de presse Pierre Rougier à Carla Sozzani, fondatrice de Corso Como à la journaliste du New York Times Cathy Horyn. Parmi ces témoins, il en est cinq qui, piochant dans leur mémoire, ont poursuivi hors champ, et pour nous, une conversation faite d’intime et d’analyses subtiles. Confidences par Kristina De Coninck, Sandrine Dumas, Etienne Russo, Nina Nitsche et Kaat Debo.
Kristina De Coninck, mannequin
A quoi ressemblent vos souvenirs de Martin Margiela ?
Ce fut pour moi une grande décision d’aller habiter à Paris en 1989, mais la puissance attractive de cette ville était si grande que j’avais l’impression que cela ne pouvait en être autrement. Grâce à Martin, ce fut plus facile, parce qu’il y vivait et que nous nous voyions souvent, même en dehors du showroom. Un de mes premiers souvenirs remonte à ce jour où je suis arrivée au showroom avec un melon que nous avons partagé ensemble, Martin, Pierre, Jenny et moi. Avec le temps, notre amitié a grandi et je chéris ces instants-là. Ils ressemblent pour moi à des diamants. Straight to the heart. Inoubliables. Je cherche encore à trouver des mots qui illustrent les émotions de mon expérience à Paris depuis le début, et particulièrement les moments vécus dans la mode, avec Martin. Il m’a appris à être moi-même. Ce qui me vient à l’esprit quand je pense à lui, c’est sa manière d’être à ce qui est humble et un peu perdu ou caché ou si imparfait. Et c’est très touchant de voir comment, à travers son regard, cela devient beau. C’est toujours communicatif et plein de respect. Et lié à des émotions, et comment. Son enthousiasme est adorable. Il y a de la tendresse dans son travail.
Qu’avez-vous ressenti à évoquer ce passé devant la caméra de Reiner Holzemer ? Et était-ce vraiment du passé ?
Tout m’est revenu instantanément, après, tout est une question de mots à trouver. C’est assez intense. D’autant que beaucoup de ces souvenirs sont très intimes, voilà pourquoi parfois je suis un peu silencieuse quand on me demande de parler de lui. Quand Martin m’a demandé de participer au documentaire, j’ai répondu oui tout de suite, j’étais heureuse d’en faire partie.
En quoi pour vous Martin Margiela, l’homme et le créateur, a-t-il marqué l’histoire de la mode et du vêtement. Et la vôtre ?
Martin est totalement engagé, et il a le talent pour tirer tout vers le haut, avec tendresse, à sa façon, tellement unique. Et il ose ! Pas seulement en mode, il jongle constamment avec les idées. Je laisse aux experts le soin d’expliquer parfaitement son travail, moi je le trouve superbement émouvant.
Sandrine Dumas, réalisatrice et mannequin pour Margiela (1990 – 1993)
A quoi ressemblent vos souvenirs de Martin Margiela ?
Des souvenirs joyeux d’une période de ma vie ou nous étions tous en découverte, en recherche dans nos domaines respectifs. Un sentiment de liberté et d’audace.
Que faisiez-vous à ses côtés ?
J’ai eu la grande chance de défiler à plusieurs reprises pour lui. J’en garde un souvenir génial. Les lieux étaient toujours incongrus, les vêtements inattendus et spéciaux, le maquillage puissant. Il y avait de la musique, de la foule avide, beaucoup d’émotions multiples. J’étais une jeune comédienne et c’était un drôle de rôle pour moi de faire la mannequin auprès de Martin. C’était un monde que je ne connaissais pas et la mode tel qu’il la pratiquait m’amusait énormément.
A parler de lui pour les besoins du film, devant la caméra de Reiner Holzemer, qu’est-il, de ce passé, remonté à la surface ? Et est-ce vraiment du passé ?
C’était agréable de parler de Martin et comme ce film fait suite aux deux très belles expositions qui ont eu lieu, j’avais déjà traversé le choc de re découvrir son travail et d’en ressentir la cohérence et la puissance obstinée. Les habits de Margiela que j’ai font toujours partie de mon quotidien, alors ce n’est jamais devenu du passé.
Quand on (qui était-ce d’ailleurs?), donc quand on vous a proposé de participer à la construction de ce documentaire, avez-vous répondu d’emblée » oui » ? Et pourquoi ?
C’est Martin qui me l’a demandé. J’ai dit oui parce que j’étais très touchée qu’il me le demande, et surprise également. J’ai essayé alors de traduire ce que je ressens de son travail et de sa personnalité, modestement.
En quoi pour vous Martin Margiela, l’homme et le créateur, a-t-il marqué l’histoire de la mode et du vêtement. Et la vôtre ?
Je pense que beaucoup d’autres que moi saurons répondre à cette question. A mes yeux, il a un regard précis qui allie une inventivité qui rebondit sur chaque détail du vêtement et de l’usage qu’on pourrait en faire. Il est d’une grande poésie dans ses détournements et ce faisant il offre à celles et ceux qui portent ses habits une insolence jamais vulgaire, une liberté qui vous rend belle au sens noble du terme, au sens d’un éveil de l’intelligence et de l’audace.
Etienne Russo, directeur créatif et producteur de shows
A quoi ressemblent vos souvenirs de Martin Margiela ?
J’ai des souvenirs à profusion! Ce qui était le plus contrastant pour moi était la manière de travailler avec Martin. Quand l’on arrivait au premier rendez-vous pour préparer la collection suivante à présenter, il nous fallait souvent une ou même deux réunions pour se mettre à son diapason – pour se remettre dans son état d’esprit, se réadapter à sa manière de travailler et voir les choses. Nous devions nous libérer de tout ce que nous avions appris ailleurs, de toutes les expériences que nous avions accumulées auparavant pour faire page blanche à Martin. Nous nous disions parfois que nous atterrissions sur une toute autre planète!
Que faisiez-vous à ses côtés ?
Nous avons organisé les défilés de Martin de 1999 à 2009. Facilement 30 à 40 défilés et présentations entre l’Homme, la Femme et l’Artisanal. Chacun avait son histoire particulière. Je me souviens notamment du défilé Printemps-Eté 2006. Sans nous expliquer pourquoi, avant le show, Martin avait fait la demande de 2 congélateurs. Nous nous demandions bien pourquoi! Nous comprîmes par la suite qu’il s’agissait de conserver les bijoux en glace qu’il avait créés. Ce défilé fut complexe pour son équipe en backstage, affairée à trouver le moment exact pour mettre les bijoux sur les mannequins – afin qu’ils aient suffisamment fondu, coulé sur la peau et délicatement teint les vêtements. Ceci sans pour autant que cela ne brûle la peau des mannequins ni soit trop fondu non plus. Un exercice à la fois précis et poétique.
Quand on vous a proposé de participer à la construction de ce documentaire, avez-vous répondu d’emblée » oui » ? Et pourquoi ?
J’ai immédiatement répondu présent! A mon sens ce documentaire avait besoin d’exister. Au-delà du plaisir que j’ai ressenti à partager les souvenirs qui sont les miens, ce film permet d’apporter un éclairage sur Martin, sur sa remarquable influence. A nous tous mais aussi aux nouvelles générations, qui n’ont pas nécessairement, ou très peu, connu son travail.
En quoi pour vous Martin Margiela, l’homme et le créateur, a-t-il marqué l’histoire de la mode et du vêtement. Et la vôtre ?
Il a marqué la mienne sans aucun doute. J’ai rencontré un personnage hors-norme, humble, précis mais aussi amical. Une personne qui m’a appris à me calmer (rires) – lui qui était toujours d’un calme olympien.A mon sens Martin a apporté un certain recul au monde de la Mode, et cela sans une volonté de le faire pour se différencier mais en étant sincèrement fidèle à sa manière de penser.En choisissant de créer un manteau de femme pour se couvrir par exemple, il s’est basé sur un édredon et y a fait 2 trous pour les manches – c’est devenu un manteau. Quand il a décidé de faire la version pluie, il a alors utilisé le sac plastique dans lequel était vendu et protégé l’édredon pour y faire la partie imperméable du manteau. Ce type d’idée était renouvelé à chaque saison, chaque collection.Son travail était fait de sublimes évidences. Martin a été au début des années 90 ce que les Japonais furent au début des années 80, en ce sens qu’il a changé la silhouette, la morphologie de la femme. Ceci a été notamment reflété sur son travail de confection au niveau des épaules très menues ou son jeu de contraste sur des pièces XXXXL, son inspiration ultra oversize.Et ce avant tout le monde. Son influence et inspiration vivent avec nous aujourd’hui et pour longtemps.L’approche de Martin est encore très présente, son influence est une influence de fond – perceptible sur beaucoup de collections aujourd’hui.Martin appartient au passé, au présent et à l’avenir.
Nina Nitsche, assistante de Martin Margiela (1989-2008)
A quoi ressemblent vos souvenirs de Martin Margiela?
Ce fut une période très intense avec des moments plein d’énergie positive : créativité partagée, enthousiasme, échange. J’ai aussi des souvenirs de situations très drôles qui me font encore rire après trente ans. Une personne très exigeante, sérieuse, très professionnelle, très communicative, qui arrive à transmettre sa vision créative. Et à motiver les personnes qui l’entourent, il parvient à créer l’enthousiasme et à tirer tout le monde dans la même direction. Combien de soirées avons-nous passées ensemble, surtout pendant la période où je travaillais en Italie chez les fabricants, en papotant sur le travail et la vie… Il y avait également des moments et des périodes très difficiles et compliquées à vivre pour moi. En somme, je dirais des souvenirs avec des hauts et des bas, extrêmes, hors normes. Mais jamais un seul moment je n’ai regretté d’avoir passé ces vingt ans à côté de Martin et quasiment un quart de siècle dans la Maison qui porte son nom. Et bien sûr je me souviens du nuage de Patchouli qui l’entourait toujours – on sentait quand il était arrivé dans la Maison.
Que faisiez-vous exactement à ses côtés?
Après mes études de mode à Paris, j’ai fait un stage chez Martin Margiela. C’était pendant la préparation de son troisième défilé pour le printemps-été 1990, la collection » Terrain vague « . A cette époque, la Maison comptait trois personnes, Martin Margiela, Jenny Meirens et Pierre Rougier. Je me souviens très bien du moment où j’ai franchi le seuil; Pierre m’avait prise en stage pour la presse, Martin était encore chez les fabricants en Italie…. je sentais que cela allait être pour moi une histoire plus longue. La Maison, à ce moment-là, n’avait ni les moyens ni les besoins d’engager un assistant styliste. C’était l’idée de Jenny de me proposer un poste chez le fabricant en Italie, pour m’occuper sur place du développement de la collection, avec Martin, qui venait régulièrement. J’étais ravie. J’y ai travaillé cinq ans avant de revenir à Paris pour travailler aux côtés de Martin, comme son assistante. C’était le moment où la Maison s’agrandissait : plus de lignes, plus de stylistes et Martin commençant la collaboration avec Hermès que lui prenait beaucoup de temps. Il m’a alors proposé le poste de » Direction de Collection « , c’est-à-dire assurer que les collections soient en ligne avec son esthétique, sa vision. Avec l’arrivée de Renzo Rosso (NDLR : président du groupe OTB qui racheta la majorité des parts de Maison Margiela en 2002), ce poste devait prendre une autre » échelle « : plus de produits à créer, de lignes à développer avec l’étroite collaboration d’un » Merchandising department « , qui élaborait des plan de collection par ligne, analysait les ventes, comparait les collections avec celles des » Competeters « , définissait des » Volume drivers « , etc… C’était une roue qui tournait de plus en plus vite. J’essayais au mieux de sortir des collections cohérentes avec la vision de Martin tout en satisfaisant le côté économique demandé par Renzo Rosso et en libérant Martin un maximum de cette tâche. Dans cette situation, c’était important de » protéger » les collections d’une dilution de l’ADN de la Maison, conserver le temps nécessaire pour que le studio puisse encore créer. Au moment du départ de Martin en 2008, on comptait 18 sorties de collection par saison avec plus de 1000 modèles…
A parler de lui pour les besoins du film, devant la caméra de Reiner Holzemer, qu’est-il, de ce passé, remonté à la surface?
Cette longue et forte expérience fait partie de mon histoire, sans regrets, sans frustration. Quelquefois c’est un peu émouvant mais il y a aussi du rire et un certain étonnement d’avoir » survécu » à tout ça. J’ai appris un métier et j’ai compris un système… et j’ai pu rencontrer des gens qui sont devenus des amis.
Qui vous a proposé de participer à ce documentaire et avez-vous répondu d’emblée positivement et pourquoi?
C’est Martin qui m’a contactée vers la fin du tournage. Il sait que je suis » Kamerascheu » et que je n’aime pas donner des interviews et m’exposer. J’ai donné mon accord. Parce qu’il était directement impliqué dans la réalisation de ce documentaire. Ce n’est pas une interprétation par quelqu’un de l’histoire de Martin et de sa Maison; c’est lui-même qui raconte son histoire avec l’aide et la collaboration d’Aminata et de Reiner. Je savais que ce n’était pas prévu d’intégrer des personnes de son ancienne équipe dans le film, j’aurais trouvé ça un peu abstrait et irréel pour le film. Les premiers contacts avec Aminata et Reiner par téléphone étaient positifs. Ma décision de participer était prise après deux jours de réflexion.
En quoi pour vous Martin Margiela, le créateur, a-t-il marqué l’histoire de la mode et du vêtement, et la vôtre?
Dès la création de sa Maison avec Jenny Meirens, il y avait une vision très claire, forte et distincte à tous les niveaux. Ce n’était pas seulement une collection innovante mais tout un univers réfléchi et étudié dans les moindres détails. Basé sur toute une panoplie de codes marquants, qui s’élargissaient avec l’évolution de la Maison – une Femme/Des Femmes Margiela se retrouve/nt dans ce qui est devenu non seulement un style mais aussi un état d’âme. Le défi était d’exister dans le » système de la mode » mais toujours à la recherche de comment répondre aux » règles » de façon alternative et créative. Etonner, être différent, avec une idée d’exclusivité. Ne pas répondre à un marché, mais intriguer et attirer par l’inattendu. En plus de cette richesse de créativité et d’innovation en permanence, c’est cet » univers » et sa volonté d’être » à côté » d’un système, qui sont très marquants, et bien sûr, l’est aussi l’idée de travailler dans l’anonymat et de s’adresser vers l’extérieur en forme de » Nous « , comme équipe. Ce qui m’a marqué également, personnellement, ce sont les changements de Maison Martin Margiela qui décide de devenir grande et lucrative, avec une création à la chaîne, au service des demandes du marché…
Et l’homme ?
Je retiens cette détermination avec laquelle Martin a poursuivi son but et réalisé ce qu’il voulait : proposer un message fort ; trouver une façon de partir pour se permettre une autre vie et avoir le courage de le faire au moment où l’idéalisme avait perdu sa place et dire: » Je me retire « .
Comment, orpheline de ce studio, de cet homme, de ce travail, avez-vous trouvé l’énergie et la foi pour continuer de créer?
Plus qu’orpheline, je me considérais comme héritière par destin peut-être … cela m’est tombé dessus. J’avais en moi cette sensation de devoir protéger quelque chose de cet idéalisme, de cette vision aussi singulière. Je voulais prouver que cette idée d’anonymat, avec une équipe aux bases solides et aux codes identifiés pouvait continuer dans la création tout en essayant d’évoluer. Je pensais pouvoir trouver un équilibre entre satisfaction économique et image de marque radicale. Cette période de huit saisons sans Martin, malgré les difficultés, dans un rôle de » directrice artistique » hérité de Martin, tout cela fut un défi énorme. Mais le plus grand des défis – convaincre Renzo Rosso de ce chemin » alternatif » et courageux – n’a pas abouti…
Kaat Debo, directrice du Mode Museum à Anvers
Qu’avez-vous réalisé aux côtés de Martin Margiela ?
J’ai monté deux expositions sur son oeuvre, à chaque fois en collaboration avec Martin lui-même. La première, en 2008, une exposition rétrospective sur la Maison, à l’occasion de ses 20 ans, juste avant le départ de Martin Margiela, mais alors je ne le savais pas encore. Nous avons gardé le contact, sporadiquement et en 2017, je lui ai proposé une exposition sur la période durant laquelle il avait été directeur artistique d’Hermès, que nous avons appelée » Margiela, les années Hermès » et qui a ensuite voyagé à Paris et à Stockholm. En préparant celle de 2008, Martin était encore très occupé par sa maison, nous avons donc beaucoup travaillé ensemble avec son équipe. Pour » Margiela, les années Hermès « , ce fut différent, en un face-à-face intense. Nous avons beaucoup parlé, Martin est toujours très précis, attentif à chaque détail. Cela semble étrange pour quelqu’un qui n’a jamais donné d’interview, mais je l’ai toujours senti extrêmement soucieux de langue et des mots. La juste formulation, l’exacte nuance, la poésie de la langue comptent vraiment pour lui. J’ai apprécié son ouverture aux idées des autres – attention, pas n’importe laquelle, il est rigoureux quant à sa sélection et à ses choix finaux, mais toujours sincèrement intéressé par les opinions et les avis de ceux avec qui il travaille. Et j’ai trouvé cela passionnant à expérimenter, cette ligne de forces caractéristiques de Maison Martin Margiela, c’est-à-dire l’importance d’une équipe et sa force de travail, l’absence de vaines paroles et de stratégie marketing avérée mais un vrai partage et une appartenance à la manière dont Martin créait.
Quand il vous a été proposé de participer à la construction de ce documentaire, avez-vous répondu d’emblée » oui » ? Et pourquoi ?
Je connaissais Reiner en Aminata et j’avais confiance en leur travail, c’est la raison pour laquelle j’ai dit oui. Et parce que Martin lui-même y était impliqué.
En quoi pour vous Martin Margiela, l’homme et le créateur, a-t-il marqué l’histoire de la mode et du vêtement. Et la vôtre ?
On ne peut nier son influence. Quand je regarde, en ce temps de Coronavirus, les thèmes, les problèmes et les défis qui occupent le monde de la mode, je constate tout simplement que Martin s’en préoccupait déjà il y a plus de 20 ans. Je pense à la collectivité, au travail commun et au développement de la conscience communautaire. Nous guidons encore aujourd’hui nos jeunes créateurs comme des individus qui poursuivront une carrière en tant que génie solitaire. Ce n’est plus de notre temps. De plus en plus de designers explorent la puissance de la créativité collective, de l’échange des idées et des ressources. De même le recyclage et l’upcycling que Martin pratiqua très tôt. C’est en cela qu’il fut un pionnier. Durant toute son oeuvre, il a questionné le système de la mode. Il n’a cessé de dénoncer l’extrême accélération que la mode a connu ces dernières décennies et l’illusion de la croissance éternelle. Avec ténacité, il s’est arrimé à sa propre vision, avec sa partenaire en affaires Jenny Meirens. Ils en ont d’ailleurs payé le prix, de ne rien concéder à la pression de l’industrie de la mode, à l’extrême commercialisation et à la croissance pour la croissance. Ils étaient sans doute trop tôt, cela s’appelle être visionnaire. Ils n’ont pas changé le système mais ils ont certes planté les graines du changement. Dès lors, comme directrice d’un musée, je trouve vital que l’oeuvre de Martin soit mise en exergue afin qu’elle puisse inspirer les générations suivantes.
(*) Martin Margiela in His Own Words, le 8 mai sur dalton.be et dès le 13 mai sur UniversCine, Proximus et Betvbelgique. p>
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