On a rencontré Marina Yee, lauréate du Jury Prize au Belgian Fashion Awards 2024: « Je veux rester humble »
Les Belgian Fashion Awards ont célébré la mode belge, le 28 novembre dernier, à Bruxelles. Depuis 2017, ils couronnent la créativité noir-jaune-rouge. Co-organisés par Le Vif Weekend, Knack Weekend, Flanders DC, MAD Brussels et Wallonie Bruxelles Design Mode, ces awards mettent en lumière les talents d’aujourd’hui et de demain. Marina Yee a été récompensée du Jury Prize, elle se confie pour l’occasion.
«Slow, low profile and silent», telle est sa devise. Marina Yee a emprunté la voie royale pour ne pas perdre son âme dans l’univers de la mode. Elle a toujours préféré les détails subtils, les limites à outrepasser, les matières qui ont vécu, le lent et minutieux travail de couture, le geste de la main. Forte de ses plus de quarante ans de mode et d’un come-back qui débuta tout doucement en 2017, elle est lauréate du Jury Prize of the Year. «Ce prix honore une femme, et une femme qui a la soixantaine, se félicitent le duo de présidents du jury, Lidewij Edelkoort et Philip Fimmano.
Avant de poursuivre : « Nous ne l’avons pas fait «exprès» mais nous tenons à le souligner, c’est exceptionnel. Marina a débuté sa carrière comme pilier des Six d’Anvers, elle s’est ensuite retirée du monde de la mode. Elle est restée dans l’ombre pour différentes raisons, tout en traçant son chemin. Et elle nous revient aujourd’hui, et cela sonne comme une revanche. Elle travaille notamment des vêtements usités qu’elle repositionne, retaille, recoupe, réanime… Son projet est résolument contemporain, elle s’aligne avec notre époque. Et elle peut servir de modèle: voilà une créatrice qui a engrangé des connaissances et la sagesse de la vie et qui crée de la nouveauté, avec un esprit jeune et créatif – ce qui prouve que cela n’a rien à voir avec l’âge. Cela donne de la joie et de l’espoir, c’est tout ce que nous préconisons comme antidote à la terreur.»
Vous êtes aujourd’hui célébrée pour votre manière singulière de tracer votre chemin et votre façon d’être à ce point contemporaine – depuis toujours en réalité. Que ressentez-vous?
Marina Yee: J’ai d’abord pensé: «Mais non, allez, je suis trop vieille. Donnez donc ce prix à un ou à une autre, à quelqu’un qui le mérite, qui est plus jeune et qui débute. Je ne suis pas dans le coup… » Et puis on m’a dit que c’était trop tard, qu’il m’était décerné, j’ai alors été très contente. Mieux vaut tard que jamais, j’ai été si longtemps dans l’ombre et je le suis toujours, comme un peu enfermée dans mon château intime – je n’ai pas suivi le même chemin que celui des Six d’Anvers. J’ai longtemps manqué de confiance en moi, je pensais que je ne valais rien…
Je ne sais si un tel prix aura un impact, je ne me pose pas la question en réalité. On me dit qu’après avoir traversé tant de difficultés et avoir été absente, je fais preuve de résilience, que j’ai eu la force de revenir sur la scène de la mode, que beaucoup trouvent que ce que je fais est fantastique et qu’on aime mon travail. Alors oui, je pense que ce prix est un couronnement. Mais je ne veux pas avoir un «dikke nek». Je veux rester humble.
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Votre manière de créer, de travailler, de fonctionner est pleine d’humilité…
Marina Yee: C’est une valeur qui n’est guère appréciée dans le monde de la mode où tout n’est qu’argent et pouvoir, surconsommation et offre excédentaire… L’humilité me va bien: travaillons à petite échelle, soyons modeste. Mais toujours avec l’envie de créer. Et cette humilité, c’est aussi de l’amour, de la lenteur, du silence dans ce monde terriblement anxieux et intolérant.
Votre collection se partage en quatre chapitres, essentiellement basé sur l’upcycling avec The Intuitives, Limited Edition Collection et Upcycled Overstock Collection. Quelle liberté cela vous apporte-t-il?
Marina Yee: Ma collection est petite parce que j’ai une vie, un fils de 31 ans qui vit avec moi, il est autiste, je m’occupe donc de lui; je suis aussi plus âgée, je ne vais donc pas passer 24h sur 24 sur ma collection comme avant, ce serait absurde. Mais c’est également parce que cela correspond à mes valeurs de sustainability. Je procède par petites touches, par petits pas, je travaille de manière circulaire, avec 60% de tissus issus de surplus et pour le reste, je me recycle moi-même!
Je me suis dit que puisque l’on produit en masse, je veux créer manuellement des pièces uniques. En réalité, j’en ai besoin artistiquement, cela me sert de soupape… Je travaille sur des vestes de seconde main, de smoking pour la plupart, je les coupe, je les colle, je les couds, je les patchworke, je les brode. Et je le fais parce que j’aime ça, assise dans mon fauteuil, pendant des jours et des semaines. Parfois même je m’empare des vieux pantalons de mon fils, d’un morceau d’organza froissé ou d’un ruban… J’aime les objets usés, abîmés parce qu’ils m’offrent un espace à remplir. Il est question de vulnérabilité… «Safe me, safe you.»
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Que signifie la mode belge pour vous?
Marina Yee: C’est la connexion magique d’une expression et d’une identité très fortes. Et cela définit aussi ce que nous avons vécu avec les Six d’Anvers, nous étions réunis sous un même nom mais nous étions cependant des personnalités très différentes. Avec une grande liberté, nous avons développé chacun notre identité personnelle tout en formant un groupe fort et lié. Quand j’étais enseignante à l’Académie des beaux-arts de Gand, je disais à mes étudiants : «Formez un collectif! Pensez aux Six d’Anvers ou aux autres collectifs qui ont traversé l’histoire, vous n’y arriverez pas seul.» C’est d’ailleurs ce seul conseil, très sage, que je peux donner aux jeunes d’aujourd’hui.
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