Quand créateurs et décorateurs belges travaillent en osmose

Long manteau en laine, Raf Simons. Chaussures, Raf Simons x Dr. Martens. © KLAARTJE LAMBRECHTS

Les créateurs belges les plus influents leur confient l’élaboration des écrins qui accueilleront leurs collections. Ici, les réalisations architecturales offrent le décor idéal aux silhouettes en total look de la saison. Rencontres au sommet.

Raf Simons x Glenn Sestig

LE CONCEPTEUR. Glenn Sestig a ouvert son studio d’architecture en 1999. Connu en Belgique et à l’étranger pour ses réalisations, il oeuvre à la fois pour des enseignes (magasins, bureaux) et pour des particuliers (projets résidentiels). A cela s’ajoute une activité de designer. Il a dessiné une unité de vente pour la collection Raf Simons pour Kvadrat, ainsi que tous les corners de la griffe Raf Simons.

LE LIEU. L’atelier de Kordekor à Courtrai, où sont réalisées les constructions en béton destinées aux corners Raf Simons.

« J’étais présent au premier défilé de Raf Simons à Paris. Mon meilleur ami, le graphiste et mannequin Diederik Serlet, était l’une de ses muses. Mais nous ne nous sommes rencontrés que des années plus tard, en 2013, grâce à une copine commune. Raf planchait sur une collection pour la société de textile Kvadrat, et il m’a demandé d’imaginer pour lui une unité de vente modulable. Entre-temps, celle-ci a pris place dans plus de 80 boutiques dans le monde. Quand la célèbre enseigne londonienne Dover Street Market lui a demandé de réfléchir à un corner à son nom, Raf m’a recontacté. Le design de ce module s’inspire des ruines de bunkers sur la côte belge : du béton usé et patiné, associé à du verre teinté dans des dégradés de vert et de rouge. Le premier exemplaire était pour Londres, puis ont suivi Pékin, Tokyo, New York et Los Angeles. Nous avions aussi un projet pour Calvin Klein Jeans, mais cela ne s’est pas fait, car Raf a quitté la marque. Notre collaboration est toujours extrêmement fluide. Raf sait dans quelle direction il veut aller. Il me briefe et il vérifie les premières esquisses, surtout quand il s’agit d’un nouveau concept. Il a l’habitude de nous laisser gérer la suite seuls, son bras droit et moi. Pour sa marque en nom propre, il s’agit de Bianca Quetz-Luzi. Nous aimons tous les deux le brutalisme mais avec un certain raffinement. Chacun de nous en a une vision personnelle mais, d’une façon ou d’une autre, elles se complètent à merveille »

Manteau en crêpe et manteau en brocart noués ensemble, chemise en coton à dos ouvert et pantalon en crêpe assorti, Ann Demeulemeester.
Manteau en crêpe et manteau en brocart noués ensemble, chemise en coton à dos ouvert et pantalon en crêpe assorti, Ann Demeulemeester.© KLAARTJE LAMBRECHTS

Ann Demeulemeester x Robbrecht et Daem

LES CONCEPTEURS. On doit notamment au trio d’architectes Paul Robbrecht, Hilde Daem et leur fils Johannes la réalisation du Concertgebouw de Bruges et la Boekentoren de Gand. En 2012, ils ont dessiné le flagship store d’Ann Demeulemeester sur la Leopold de Waelplaats, à Anvers.

LE LIEU. Le Stadshal, Emile Braunplein à Gand, une réalisation signée Robbrecht et Daem, en collaboration avec l’architecte Marie-José Van Hee.

« Très longtemps, Ann Demeulemeester a refusé d’ouvrir une boutique en nom propre… jusqu’à ce qu’un superbe hôtel de maître se libère, sur la Leopold de Waelplaats, à Anvers, face au musée des beaux-arts. Nous avions déjà réalisé au grand magasin Le Printemps, à Paris, un projet pour le corner d’Ann et son mari, Patrick Robyn, mais on ne peut pas dire que nous avions beaucoup d’expérience en la matière. Ni en ce qui concerne les délais très serrés que doivent tenir les créateurs de mode! Ann et Patrick se sont énormément impliqués dans le projet. Nous sommes allés voir leur atelier. Par la suite, nous avons aussi découvert leur habitation privée, une maison de Le Corbusier, où nous avons procédé à de petits aménagements, surtout pour améliorer l’acoustique. L’hôtel de maître anversois avait jadis abrité un laboratoire. On voit encore dans le parquet les trous forés pour faire passer les tuyaux. Nous n’avons touché à rien de tout cela, pas plus qu’au plafond à caissons. Cela confère à la boutique un côté brut qui se retrouve dans les collections. Je qualifierais ce style de « rock léché ». L’espace est habillé de toiles blanches, à l’instar de la fameuse Table blanche dessinée par Ann et Patrick pour Bulo. Les cabines d’essayage sont pensées comme des chambres, pour créer une ambiance intime. Il y a notamment des chaises de Rietveld, qui proviennent de leur collection privée. On a également réaménagé la place voisine, la Leopold de Waelplaats. Par la suite, nous avons demandé au couple d’imaginer un banc. La seule exigence était qu’il soit circulaire ou en fer à cheval. Ils se sont inspirés d’un modèle en fer forgé installé dans un parc parisien et on l’a dédoublé. Aujourd’hui, ce banc est installé en diagonale face à la boutique. »

Sur-robe en tulle, haut en soie avec jupe assortie, collants et escarpins en python, Dries Van Noten.
Sur-robe en tulle, haut en soie avec jupe assortie, collants et escarpins en python, Dries Van Noten.© KLAARTJE LAMBRECHTS

Dries Van Noten x Gert Voorjans

LE CONCEPTEUR. Le décorateur Gert Voorjans a son propre studio de design, depuis 1997, à Anvers. Son style, opulent et éclectique, lui vaut une renommée internationale. On lui doit notamment la décoration des boutiques de Dries Van Noten dans la ville portuaire mais aussi à Paris, Tokyo, Singapour, Hong Kong et Dubaï.

LE LIEU. Le bureau de Gert Voorjans, à Anvers.

« Nous avons fait connaissance en 1986, dans la bibliothèque du château d’Axel Vervoordt, à ‘s-Gravenwezel, pendant un shooting pour la collection Homme de Dries. Cela ne faisait qu’un an qu’il avait lancé sa marque et il n’avait pas encore de boutique à lui. Notre premier projet commun ne s’est présenté que dix ans plus tard, lorsqu’il a ouvert son flagship store à Tokyo. Pour la décoration, nous nous sommes inspirés de l’architecte japonais Tadao Ando et de ses structures en béton. La situation géographique d’un magasin devrait toujours dicter son aménagement, car chaque ville a son identité et il faut la respecter. Par exemple, l’enseigne du quai Malaquais, à Paris, est conçue à la façon d’un appartement typiquement Rive Gauche, avec vue sur le Louvre. Le style suit celui de Madeleine Castaing, la célèbre antiquaire qui vivait et travaillait au coin de la rue. On a opté pour des tentures d’un jaune impérial, un sofa capitonné bleu ciel posé sur un tapis tibétain aux motifs de dragons, un escalier couvert de moquette léopard et, au mur, une oeuvre optique de Pierre Alechinsky. Si on compare cet espace à celui de Tokyo, on constate une très nette évolution. Au début, on s’en tenait à quelque chose de sobre, alors qu’aujourd’hui nous préférons les ensembles plus éclectiques. Perfectionniste, Dries adore avoir un oeil sur tout, qu’il s’agisse de dessiner ses collections ou ses magasins. Il ne laisse rien au hasard. Après toutes ces années, nous nous comprenons à demi-mots et nos goûts sont très proches: on aime tous les deux les contrastes audacieux. Le clash « East meets West » est un thème récurrent chez Dries Van Noten, pour les vêtements comme pour les endroits où ils sont vendus. »

Robe longue en laine et bottes en cuir verni, Christian Wijnants.
Robe longue en laine et bottes en cuir verni, Christian Wijnants.© KLAARTJE LAMBRECHTS

Christian Wijnants x Bart et Pieter

LES CONCEPTEURS. Les architectes paysagistes Bart Haverkamp et Pieter Croes se sont spécialisés dans l’aménagement de jardins urbains et de toits-terrasses. Voici quatre ans, ils ont réalisé le patio de la première enseigne de Christian Wijnants.

LE LIEU. La boutique du créateur, sur Steenhouwersvest, à Anvers.

« Quand Christian a ouvert sa première adresse à Anvers, il nous a demandé de traduire son amour de la nature en imaginant un jardin clos, exotique, pas très grand mais luxuriant. Lors de notre rencontre, il avait apporté des tas d’échantillons : de ses collections mais aussi des matériaux qu’il aime utiliser, comme le béton, le métal et le bois brûlé. Il savait parfaitement ce qu’il voulait. Nous nous sommes très vite mis d’accord pour une composition à la verdure persistante, colorée pendant les douze mois de l’année. On a sélectionné principalement des espèces subtropicales au feuillage épais, tel que celui des plantes grasses, lisse et brillant, presque comme du plastique. On a ajouté des bambous pour donner une illusion de perspective, de profondeur, malgré l’exiguïté des lieux. Pour les mêmes raisons, des miroirs ont été accrochés au mur du fond. L’éclairage a également toute son importance. Nous avons opté pour le genre de spots qu’on trouve autour des stades de football. Sans quoi, à cause des reflets, on ne verrait que son image dans les vitres. Grâce à cette oasis, les clients sont attirés vers le fond, où sont installés les cabines d’essayage et quelques fauteuils. Je passe là deux ou trois fois par an et je suis chaque fois frappé par la beauté de ce jardin intérieur. La vendeuse m’assure que cela ne demande aucun entretien, juste de retirer de temps à autre une feuille morte. »

Production et stylisme: Ilja De Weerdt

Assistant stylisme: Francis Boesmans

Coiffure et maquillage: Sofie Van Bouwel pour Chanel et Kevin Murphy @ Touch by Dominique Models

Mannequin: Yana @ Ulla Models

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