Delphine Kindermans
Quand la mode fait mâle
Avant, bien avant, à peu près depuis le XIXe siècle et jusqu’aux années 60, c’était simple. A ces dames, et à elles seules, le privilège de porter gants, foulards, bijoux, chaussures et sacs de factures et formats divers, au gré des saisons, des tendances et des circonstances.
Avant, bien avant, à peu près depuis le XIXe siècle et jusqu’aux années 60, c’était simple. A ces dames, et à elles seules, le privilège de porter gants, foulards, bijoux, chaussures et sacs de factures et formats divers, au gré des saisons, des tendances et des circonstances. Ou carrément du moment de la journée. Bref, les colifichets en tout genre, c’était leur rayon. Leur chasse gardée, même.
Ces messieurs, de leur côté, obéissaient strictement aux codes attribués à leur rang social et à leur fonction, traduisant l’un et l’autre dans leur habillement. Mais pas question pour eux, sous peine de passer pour des garçons de mauvaise vie, d’oser une incursion dans le domaine de l’accessoire. A peine leur autorisait-on, et encore, il s’agissait alors plutôt d’un devoir, le chapeau et la cravate. Et si les plus téméraires s’octroyaient le droit à un chouia d’excentricité dans le motif de cette dernière, c’était à leurs risques et périls. Idem pour la montre, les boutons de manchettes ou la chevalière, sous liberté très surveillée.
Puis, soudain, vint mai 68 et son interdiction d’interdire. Paf, retour de balancier, les gars se lancent dans les années qui suivent dans la course aux bijoux ethniques, aux boots à franges, aux ceintures à clous, aux imprimés fleuris, aux bandeaux et écharpes de tout acabit. Pour prendre une revanche sur ces décennies de disette vestimentaire, rien n’était jamais too much.
Et ce qui devait arriver arriva : un jour, cette profusion hétéroclite ne fut plus synonyme de mode mais de faute de goût. Ou volonté affichée de montrer à quel clan on appartenait : aux loups de Wall Street les mocassins à glands et la Rolex, aux rappeurs les bagouzes et les chaînes en or qui brillent, aux loubards les bandanas et les bracelets de force.
La démocratisation par l’accessoire n’avait été qu’un leurre, il fallait s’en faire une raison et choisir son camp. Pour l’écrasante majorité de la gent masculine, qui ne se sentait ni une âme de trader, ni une envie pressante de chanter sa banlieue morose, de donner dans la baston ou de voler des mobylettes, cela signifia renoncer à tout pour mieux se fondre dans la masse.
Pour tous ceux-là, la mode d’aujourd’hui, poussée dans le dos par la crise et par le désir des marques de booster leurs bénéfices sur un marché à fort potentiel de croissance, a imaginé de jolies choses, bien loin du déguisement ou du signe d’appartenance. Des pochettes en cuir chez Atelier Marchal, des étoles chez Monsieur Maison… Ce qu’on n’avait pas encore vu, par contre, c’est un modèle clairement estampillé Femme revisité dans ses dimensions pour séduire les hommes.
Pourtant, Fendi l’a fait : au dernier défilé masculin de la griffe romaine, le Peekaboo, modèle iconique que s’arrachent les fashionistas, s’est invité sur le podium. Mais ça, c’est pour l’hiver prochain, on a encore tout le temps de s’y préparer mentalement. En commençant par apprivoiser les looks du printemps-été, par exemple.
Delphine Kindermans
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