Qui était Madame Grès, « le sphynx » de la haute-couture qui a inspiré Alaïa et Gaultier?

Madame Grès, ici avec Yves Saint Laurent, ne se séparait jamais de son célèbre turban - Getty Images
Madame Grès, ici avec Yves Saint Laurent, ne se séparait jamais de son célèbre turban - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores. Son dernier coup de coeur? Une fascinante biographie de Madame Grès.

Le compteur tourne, la sueur perle sur votre front et la moiteur de vos paumes dénote de la gravité de la situation. Entre vous et une richesse à sept chiffres, une seule question: «Citez une figure féminine majeure de la haute couture française au XXe siècle, connue pour ne jamais être apparue en public sans un élégant turban». Jusqu’à la virgule, vous entendiez presque le tintinnabulement des euros déferlant sur votre compte en banque, mais soudain, un doute vous étreint. Coco Chanel, c’était le camélia, non? Et s’il fallait déterminer l’indissociable d’Elsa Schiaparelli, ce serait un homard signé Dalí, pas un couvre-chef… Alors qui? Mais Madame Grès, pardi!

Aussi célèbre pour ses créations d’un chic follement moderne que pour son refus de s’étendre sur elles auprès de la presse, ce qui lui valut le surnom de «sphinx de la haute couture» en raison de l’aura de mystère dont ses réponses sibyllines («Regardez mes robes, il n’y a rien d’autre à voir») l’entouraient, elle fut et reste une actrice majeure du monde de la mode.

Et pour le plus grand plaisir de celles et ceux qui connaissaient déjà son travail, ou qui découvrent cette créatrice au gré des pages, elle est aujourd’hui racontée par sa petite-fille Anne Graire, dans une passionnante biographie.

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De Germaine Krebs à Madame Grès

Un ouvrage d’une élégance folle, dont on retire quelques leçons.

D’abord, et particulièrement dans le cas de personnalités discrètes telles que Germaine Krebs alias «Alix Grès», aussi peu enclines à s’épancher qu’à laisser une archive personnelle dans laquelle puiser, il devrait être obligatoire de pouvoir revendiquer un lien de proximité avec le sujet d’une biographie avant de pouvoir la rédiger. Malgré le caractère romanesque du parcours de son aïeule, Anne Graire réussit, avec une plume dont la rigueur factuelle est adoucie par une profonde affection, à proposer un ouvrage qui sonne juste.

Deuxième leçon, façon piqûre de rappel à l’ère des modèles et motifs dessinés à l’aide de l’IA: la mode est une forme d’art, à admirer et à préserver avec d’autant plus d’enthousiasme que contrairement à la majorité des autres œuvres, on peut la porter sur soi, au plus proche de la peau, et donner vie à chaque mouvement, à ces sculptures de tissu.

Avant d’être «haute», la couture était «grande», rappelle notre biographe, qui note que, si sa grand-mère a fait ses débuts dans le secteur de la Grande Couture il y a un siècle, c’est grâce à son amour de l’art. Elle se rêvait sculpteur, elle est devenue couturier (un masculin auquel Anne Graire tient) mais elle n’aura eu de cesse, tout au long de sa carrière, de modeler de main de maître les silhouettes de ses clientes, partant du principe que chacune, quelle que soit sa morphologie, méritait d’être sublimée par des habits dont la construction devait s’adapter aux corps, et non l’inverse.

Une approche dont le secteur bénéficierait grandement aujourd’hui, en pleine recrudescence d’une grossophobie aux relents des années 1990 qui ne se contente pas de rejeter le gras mais glorifie aussi une dangereuse maigreur?

Véritable iconoclaste, fidèle à sa vision et à ses valeurs, Madame Grès est forcément intemporelle puisque complètement elle-même, et cela vaut aussi pour ses pensées.

Ainsi, cette enfant du XXe siècle, née en 1903, n’avait-elle pas assuré, il y a plus d’un demi-siècle déjà, détester les machines parce qu’elle pressentait qu’un jour, «elles remplaceront la main de l’homme»? Celle de la journaliste qui rédige cette chronique est, elle, bien réelle. Mais en 2025, alors que des robots sans visage prennent toujours plus de place dans les industries créatives, elle tremble un peu, et serre encore un peu plus fort les pages des livres qu’elle dévore.

Madame Grès, le sphinx de la haute couture, par Anne Graire, Flammarion.

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