Rencontre avec Loïc Prigent, roi du tweet modeux

Stagiaire

Le journaliste-documentariste publie J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste, un recueil de ses tweets cultes. Au même moment, Arte diffusera, ce lundi, Catherine Deneuve lit la mode, une série qu’il a réalisée dans laquelle l’actrice lit une sélection de ces phrases entendues au détour d’un défilé. Entretien.

D’où vous est venue l’idée de tweeter ces phrases entendues dans le monde de la mode ?

Rencontre avec Loïc Prigent, roi du tweet modeux
© DR

J’ai toujours aimé écouter. Je l’avais déjà fait dans le milieu associatif, en clubbing… En septembre 2013, j’ai commencé à le faire sur les défilés à Paris. Ça m’amusait beaucoup. J’ai gardé cette habitude de le faire. J’ai découvert que ça pouvait devenir une chronique de la mode. Ça me permettait de couvrir non seulement les bizarreries, mais aussi les obsessions, les lubies, les travers, les anecdotes un peu ahurissantes, étranges. C’est quelque chose de drôle, un défouloir et un descriptif des évolutions du milieu. C’est également un point de vue extérieur grâce à l’anonymat et le manque de contexte.

En général, on les entend où ?

Dans la voiture qui va d’un défilé à un autre – ça c’est sûr ! – mais aussi à la terrasse des cafés, dans les textos, dans les mails que je reçois. L’autre jour, c’était :  » Est-ce que tu veux venir à la visite privée du musée Picasso ? Mais ne t’inquiète pas, ça ne durera que 20 minutes et après, il y a un cocktail.  » Il n’y a pas de mauvais endroits pour les trouver.

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Des fois, c’est vous qui les prononcez ?

Oui et pas forcément les plus intelligentes. Parfois, quand ce sont des dialogues, ça arrive que je sois une des parties prenantes et pas forcément la plus normale des deux !

Êtes-vous obligé de les retravailler pour Twitter ?

Si c’est une anecdote un peu longue, je retravaille. Quand elles sont trop trash, je filtre, j’adoucis. Des fois, je force un tout petit peu le trait. Je dis plus fort ce que la personne pense inconsciemment. Mais les plus belles répliques, ce sont celles qui sont intactes, parfaites, qui tombent comme une petite plume, d’un oiseau en plein vol. Celles-là sont dans les 140 caractères. J’aime bien la pureté de Twitter pour ça ; on a l’impression d’entendre quelqu’un le dire.

Parlez-nous un peu de votre recueil J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste.

En fait, c’est Charles Dantzig – un méga éditeur qui fait la collection Le Courage chez Grasset – qui m’avait proposé et j’étais un peu hésitant, réticent. Je me méfie vachement des livres sur la mode qui ne sont pas premier degré. Et puis, Inès de la Fressange, qui avait été invitée comme rédactrice en chef pour un numéro de Vogue, avait demandé d’imprimer une pleine page de mes tweets dans le magazine. C’était marrant, c’en était plein que j’avais oublié. Ça m’a fait rire et réfléchir. Je voulais que le bouquin soit brut et qu’on en remonte le fil à l’inverse de Twitter – qui est en déchronologie. J’ai mis deux ans à me convaincre que ça pouvait marcher. Au final, on peut se laisser guider dans cette grande conversation complètement cinglée et on peut se noyer dedans. On peut voir, le long des années, les névroses s’aggraver ou disparaître. Mais elles empirent en général. Finalement, Twitter n’a été que le medium de départ.

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Vous êtes également documentariste. D’où vous est venue l’idée de la série de documentaires Le jour d’avant ?

Je voulais filmer Sonia Rykiel et faire un plan séquence. J’étais persuadé que si j’appuyais sur le bouton une première fois et une seconde fois, 52 minutes après, ça suffisait pour avoir un documentaire. Les américains de Sundance, qui voulaient bosser avec moi, ont écouté poliment l’idée et ils m’ont dit :  » Et si tu le faisais à un moment vraiment clé?  » Je me suis dit que ça serait avant le défilé. Et ça s’est fait comme ça. Après, j’essaie toujours d’expliquer frontalement la mode, que ce soit compréhensible par tout le monde. Pour Jean Paul Gaultier, je voulais qu’il nous explique ce qu’il fait, face caméra, dans son studio, avec des vêtements et qu’il puisse couper, draper. Concernant Karl Lagerfeld, on a l’illusion qu’il est une star des médias alors qu’en fait, non, c’est un dessinateur. Et c’est vrai qu’en lui demandant de crayonner, j’ai l’impression d’avoir fait le scan de son cerveau, sans filtre, sans images d’archive. C’est lui qui livrait tout. On regarde sa main illustrer sa vie et on l’écoute. J’essaie de raconter la mode par le geste, par l’action. Quand je fais la Fashion Week de Paris, avec Mademoiselle Agnès, sur Canal+, c’est vraiment détailler le maelstrom, l’hystérie.

Comment vous avez appris tout ça ?

Malheureusement, je n’ai pas fait d’histoire de l’art ou d’école de mode. Quand je suis arrivé dans le milieu, je ne savais pas ce qu’était une toile, le process dans un studio, le merchandising… Je ne connaissais rien du tout. Au départ, j’étais attiré par le spectacle des défilés et, au fur et à mesure, j’ai appris parce que les maisons parisiennes sont assez bonnes à raconter comment elles travaillent. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, des maisons italiennes. Elles n’aiment pas vous raconter comment elles font. Ils ont l’impression qu’on  » viole une intimité  » – c’est le terme qu’ils emploient. Pour Le Testament d’Alexander McQueen, j’ai fait un travail d’archiviste : j’ai récupéré tous les défilés, masculins et féminins. Souvent, les gens méprisent le travail des créateurs sur l’homme et ne le regardent pas alors qu’il y a des indices incroyables! Si vous lisez ses biographies récentes et très bonnes, aucune ne raconte que le dernier défilé qu’il a fait, ce sont des hommes ensevelis – jusqu’à la cagoule – dans des imprimés de cordes et d’ossuaires délirants. Ce documentaire n’a pourtant pas été évident, les proches de McQueen refusaient de parler. Ils étaient encore dans le deuil, je pense.

L’émission Catherine Deneuve lit la mode, c’est venu d’où ?

C’est Arte qui voulait faire quelque chose et je me suis un peu drapé dans ma douleur parce que moi, je ne voulais pas forcément. Et j’ai dit :  » C’est Catherine Deneuve ou rien.  » Et ils ont accepté parce qu’elle est géniale et parce qu’elle aime prendre des risques. Et elle a pris celui-là ! Mine de rien, je respecte ces tweets et je n’avais pas envie de les dénaturer et je sentais qu’elle n’allait pas le faire. Elle n’allait pas être dans la raillerie, dans la caricature. Je n’osais même pas imaginer qu’elle les interprèterait comme elle l’a fait. Ce qui m’a étonné c’est que je ne m’attendais pas à rigoler à ce point-là. J’ai beaucoup ri en la découvrant. Je filmais et la caméra tremblait. Je suis un bon client de moi-même apparemment mais surtout de Catherine Deneuve! Elle nous laisse libre d’interpréter qui l’a dit. Elle ne coince pas la phrase dans un archétype. Ca la laisse riche.

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Maintenant, les gens ont-ils peur de vous parler ou lâchent-ils volontiers des phrases coup de poing ?

J’aimerais bien que les gens arrivent avec des punchlines toutes prêtes, comme ça. Mais je ne sais pas si cela m’amuserait longtemps. Et apparemment, je n’ai pas besoin de ça, ils les sortent tout seuls. Je crois qu’on n’écoute pas tant que ça ce que les gens nous disent. J’ai souvent remarqué que les gens ne se rendent pas compte qu’ils en avaient sorti une, et une dingue ! Mais c’est dans tous les milieux. La mode, c’est génial parce que c’est exagéré.

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C’est important de dérider la mode ?

Oui, bien sûr ! Je ne comprends pas qu’on puisse la regarder d’une façon uniquement sérieuse. Une fois, je rigolais avec une dame qui travaillait pour une marque japonaise et elle m’a dit :  » Ha non, c’est du travail.  » Hyper sérieusement. Elle m’a limite filé des complexes. Alors oui c’est du boulot, mais en l’occurrence, il faut rire comme partout ailleurs. La mode, ça me fait marrer. Je regarde un magazine de mode et je rigole de la première à la dernière page. Et en même temps, je les lis, je les regarde tous les mois et j’apprends plein de choses ! Je m’y intéresse vraiment. Mais ça reste à mourir de rire. Les poses des mannequins, quoi. Avec mes copines, on les reprend et on se fait des séries entières. Faites ça, ça vous égaye votre soirée !

Finalement, la mode, on l’aime ou on la déteste ?

Il faut les deux. Je pense qu’avoir une forme d’ambivalence, du recul face aux choses qu’on aime, c’est important. Ça crée de la modération. Il faut aimer la mode, c’est trop facile de la mépriser, de se dire que ça ne nous concerne pas et de n’y voir que des travers. D’un autre côté, on aurait tort de ne pas voir les dérives dangereuses qu’elle engendre sur le corps, les contre-indications de son hyperconsommation. Elle est une source de joie et de dépression, c’est assez marrant.

Rencontre avec Loïc Prigent, roi du tweet modeux
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J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste, Pépiements de Loïc Prigent aux éditions Grasset.

Catherine Deneuve lit la mode, sur Arte, du 26 septembre au 7 octobre.

Propos recueillis par Yoris Bavier

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