Rencontre avec Kristina De Coninck, la top belge de 63 ans dont la carrière connaît un nouvel élan
Elle était présente pour le premier show de Dries Van Noten, et a également défilé lors de son ultime défilé en juin dernier. À 63 ans, la carrière de mannequin de Kristina De Coninck prend un nouvel essor. « Les gens de mon âge ont souvent déjà tourné la page de leur carrière. Pas moi ». Rencontre avec une femme inspirante.
À une demi-heure de train de Paris, suivies de 15 minutes de marche dans des rues désertes, on arrive chez Kristina De Coninck et son mari Tatsuya, qui vivent à l’orée de la forêt, dans une belle maison ancienne, avec un jardin luxuriant derrière et un atelier – anciennement le garage – où notre compatriote oeuvre jour après jour à ses sculptures. Mannequin et artiste, artiste et mannequin, Kristina De Coninck est partie pour Paris à la fin des années 1980. « J’ai maintenant l’impression de faire partie de la culture française et c’est un sentiment agréable. Il n’en a pas toujours été ainsi. Élever un enfant dans un pays qui n’est pas le sien, avec un homme qui vient d’un autre pays, est un défi. Cela a fait de moi ce que je suis. Je peux être très forte, mais je reste aussi vulnérable, comme tout le monde » confie celle qui a accepté de se raconter, alors que sa carrière de mannequin connaît un nouvel élan maintenant qu’elle a passé le cap des 60 ans.
Après des études de graphisme à Sint Lucas, à Anvers, la native de Wilrijk a commencé à travailler au café De Muze et au restaurant Elfde Gebod. « Plus tard, j’ai trouvé un emploi de bureau comme graphiste à Bruxelles. Ce n’était pas le genre de travail dont je rêvais lorsque j’étais étudiante, mais c’était du travail. Et je vivais seule, ce dont je pouvais être fière. Un jour, j’ai reçu un appel du photographe Ronald Stoops : « Je t’ai vue dans un café à Anvers ». Je ne le connaissais pas et je me suis demandé comment il avait eu mon numéro » se souvient-elle.
Peu de temps après, à l’issue d’un casting, sa carrière de mannequin décolle. Une carrière qui a démarré à la vitesse de l’éclair, avec d’abord un défilé pour Dirk Van Saene, puis pour Walter Van Beirendonck, Dries Van Noten, Ann Demeulemeester… « À l’époque, je travaillais principalement avec Ronald Stoops et Inge (la maquilleuse Inge Grognard, ndlr) dans leur studio, souvent aussi avec mes frères Bart et Willem (ce dernier est décédé depuis, ndlr). Nous avons beaucoup ri ensemble, l’ambiance était toujours bonne. C’était en 1988 ou 89. J’avais déjà vingt-huit ans. Quelqu’un m’a dit : « Va à Paris, ils ont toujours besoin de nouveaux visages ». J’ai hésité. Aller à Paris toute seule, faut le faire. Mais je me suis dit : si je n’essaie pas, je ne saurai jamais ». Et le reste, comme on dit, appartient à l’Histoire.
La chance de la débutante
« Pendant la Fashion Week, j’ai travaillé dans le showroom de Dirk Van Saene où j’ai rencontré le photographe Mark Borthwick. Il m’a présentée à l’agence de mannequins parisienne We Agency. Je leur ai dit que j’avais vingt-deux ans, parce que j’avais l’air très jeune. Le premier jour, ils ont organisé un casting dans leur bureau. Des gens, une équipe japonaise, m’ont vu passer en allant à la comptabilité. « Qui est-ce ? » « Oh, c’est Kristina, elle vient d’arriver d’Anvers ». Une semaine plus tard, j’étais dans un avion pour Aix-en-Provence pour un shooting pour un magazine japonais, bien payé d’ailleurs. C’était la chance de la débutante ».
Kristina De Coninck a également commencé à collaborer avec Martin Margiela à cette époque. « Ce premier été à Paris, j’ai sonné à la porte de son showroom, à l’improviste. En Belgique, c’est normal, mais à Paris, on ne rend jamais visite à quelqu’un sans prévenir. Je me souviens que j’avais acheté des melons en chemin. Mon premier défilé pour Margiela était son deuxième défilé. Je sais encore que les cheveux des mannequins étaient frangés et que nous portions des manteaux d’hiver avec des épaules sculpturales. C’étaient des moments magnifiques ».
« J’ai rencontré à cette époque de nombreuses personnes avec lesquelles je suis encore amie aujourd’hui. Des designers, des photographes, des mannequins » partage Kristina. Qui a alors aussi fait la connaissance de son mari, Tatsuya, mannequin et photographe qui venait tout juste d’arriver du Japon.
« Je l’ai rencontré lors d’une séance photo pour un magazine. Il y avait d’autres mannequins, mais les photos de nous deux étaient différentes. Spéciales ». Bien sûr, Kristina a l’habitude de ce qui est « spécial », car elle travaille depuis des années avec des stylistes belges.
« Pour un shooting de Dirk Van Saene, on m’a mis une perruque sur la tête. Mais pas une perruque Louis XIV lol, une pelure de rat graisseuse. Je me souviens avoir montré mon livre de photos de Belges à mon petit ami de l’époque et il a réagi avec stupeur. « Tu trouves ça propre ?! » a-t-il demandé. Il ne comprenait pas. Il connaissait Vogue et les magazines de mode classiques, mais c’était quelque chose de complètement différent. Lorsque j’ai participé à des castings à Paris, j’ai également eu l’impression que mes photos étaient différentes. Je l’ai aussi entendu plusieurs fois. C’est trop spécial. Vous êtes trop spéciale. Je portais mes vêtements Margiela, mes Tabis. Je pense que j’ai manqué de travail à cause de cela. Mais j’ai persévéré ».
De fil en bonsaïs
Elle a démissionné de son poste de mannequin lorsqu’elle est devenue mère, il y a maintenant trente ans. « Je voulais un emploi stable avec un revenu stable. J’ai donc commencé comme vendeuse chez A.P.C., au salaire le plus bas. J’ai travaillé dur et j’étais contente. Quand je choisis quelque chose, je le fais à fond. En 2008, j’étais prête à changer de carrière. Je voulais cultiver des bonsaïs et j’allais faire un stage dans une entreprise spécialisée. Mais les choses ont mal tourné et le stage a été annulé. J’ai donc décidé de fabriquer moi-même des bonsaïs, avec de la laine et du fil de fer. J’étais très inquiète parce que je n’avais pas de revenus pendant des mois, mais c’est ainsi que ma carrière d’artiste a commencé ».
De Coninck est ensuite devenue gérante de magasin, ce qui s’est mal terminé, et une période difficile s’en est suivie. « Je n’entrerai pas dans les détails, mais j’ai eu deux coups durs à Paris. Il y a des moments dans la vie où un tsunami s’abat sur vous, où vous ne savez pas si vous devez tourner à gauche ou à droite. On se laisse emporter. Mais je n’ai pas de ressentiment ».
Défilés et disco balls
C’est qu’à ce moment-là, « les réseaux sociaux ont fait leur apparition et de vieilles photos de moi ont parfois été publiées. À un moment donné, le commissaire Didier Vervaeren a utilisé un portrait de moi, une photographie de Ronald Stoops pour Margiela, pour l’affiche de l’exposition Les Belges au Bozar et le livre qui l’accompagnait. Cela a déclenché beaucoup de choses. J’ai de nouveau reçu des missions en tant que mannequin. Elles me sont vraiment revenues ».
Kristina De Coninck a ainsi participé au tout dernier défilé de Dries Van Noten, à la fin du mois de juin. « Après, nous avons tous dansé autour de la boule disco géante. J’ai tout donné sur la piste de danse, je me suis régalée ».
Ces derniers mois, Kristina De Coninck a également été vue dans les défilés de Jan Jan Van Essche à Florence et de Balmain, Marine Serre et Marie Adam-Leenaerdt à Paris, entre autres. Elle a été engagée pour une campagne de Rouje, la marque de Jeanne Damas, et est fière de ses performances avec Olivier Saillard qui, pour résumer, permettent à des mannequins légendaires d’enfiler et d’enlever de vieux vêtements sur une scène, en racontant une histoire.
Elle est apparue dans des performances de Saillard depuis 2018 à Anvers, Paris, Florence et plus récemment à Milan dans MODA POVERA VI, les vêtements des autres, lors de la Triennale. « Bouger, dégager un sentiment, c’est quelque chose que j’aimerais faire plus souvent ».
Parallèlement, elle travaille sur de nouvelles sculptures avec de la laine et des textiles dans son atelier. John Lurie joue en arrière-plan, même si elle préfère parfois le silence.
« Je préfère ne pas parler de ce qui est encore à venir », dit-elle en riant. « Mais je sens que c’est juste. Je me sens jeune dans ma tête, j’ai encore tant à apprendre. Quand je vois mes sculptures exposées, je suis très heureuse. Et quand les gens aiment voir et acheter mes œuvres, je suis encore plus heureuse, même si j’ai du mal à m’en séparer. Je suis une artiste, donc je travaille aussi dans la mode. J’aime beaucoup cela. Je sens qu’il y a des opportunités. Je suis curieuse de ce qui m’attend. Je ne m’ennuie jamais. Je m’inquiète parfois, mais je continue à chercher. Les gens de mon âge ont souvent déjà accompli quelque chose. Pas moi. Je suis en pleine recherche. Parfois, j’aspire à la résignation, au sentiment que tout ira bien. Je n’ai pas encore eu ce sentiment. Mais je le veux, qui ne le veut pas ? ».
Kristina De Coninck en bref
1961: Naissance à Wilrijk.
1987: Après des études de graphisme à Anvers, elle fait la connaissance des Six et commence à défiler et poser pour eux.
1989: Déménage à Paris, où sa carrière de top décolle. Elle travaille pour toutes les grandes maisons, de Margiela à Jean Paul Gaultier en passant par Comme des Garçons.
1991: Mariage avec Tatsuya, avec qui elle a une fille en 1994. Dans la foulée, elle commence à travailler comme responsable de boutique à Paris.
2009: 1e expo solo de ses sculptures à la galerie Pierre Petrelle.
2016: Relance sa carrière de mannequin avec le soutien de l’Agence Silver.
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