Siré Kaba (Erratum Fashion): « Le vêtement est social, il dit de soi ce que l’on est et reflète ce que l’on a envie de montrer au monde »

© PHOTO FRÉDÉRIC RAEVENS

Siré Kaba (38 ans) est créatrice de mode. Son label, Erratum Fashion, inspiré par l’Afrique et made in Belgium, prône l’éthique pour des  » citoyens cosmopolites « . Elle est aussi maman de deux fillettes, chargée de communication au CPAS de Molenbeek et cofondatrice du collectif New African Wave qui signe le  » fashion pop-up immersif  » du Festival Afropolitan à Bozar, fin de ce mois.

Il faut se préparer psychologiquement à franchir les caps. Je vais avoir 39 ans. J’ai perdu ma mère à presque 19 ans, j’ai donc passé la moitié de ma vie sans elle. Elle est tombée malade quand j’étudiais la communication à l’ULB. Cela a été un choc, ma maman, c’était un roc pour moi. Tout pouvait arriver sauf ça. Je n’ai pas voulu me laisser aller, elle est décédée un vendredi et le lundi, j’étais au cours. Il fallait continuer à avancer, c’était ce qu’elle aurait voulu. Les études étaient importantes pour elle, surtout en tant que femme africaine – avoir un diplôme en poche pour ne pas dépendre d’un homme.

‘ Le vêtement est social, il dit de soi ce que l’on est et reflète ce que l’on a envie de montrer au monde. ‘

J’ai toujours baigné dans le multiculturalisme. J’ai grandi entre la Guinée, la Tanzanie et le Ghana, dans un milieu privilégié où je côtoyais différentes nationalités. Mon papa était diplomate. Je suis arrivée en Belgique à 15 ans. J’avais une image assez négative de l’Europe, je pensais que tout y était noir et plein d’usines. Mais quand j’ai découvert Bruxelles, j’ai trouvé la ville super jolie et propre.

Le fait de devenir maman réveille parfois plein de questionnements. Quand j’ai eu ma fille Fatim, je me suis demandé ce que je faisais de ma vie et ce que j’avais envie de lui laisser comme héritage. J’avais l’impression de m’être éloignée de celle que j’étais réellement. J’étais devenue timorée, raisonnable, à oublier les grands rêves que je désirais réaliser. Cette enfant m’a révélée à moi-même.

On dit souvent que l’habit ne fait pas le moine. C’est totalement faux : le vêtement est social, il dit de soi ce que l’on est et reflète ce que l’on a envie de montrer au monde. J’ai voulu créer une mode qui fasse sens, une marque qui me ressemble et qui peut ressembler à mes filles, où l’on voit la diversité des cultures africaines, notamment à travers les tissus. J’avais envie de mettre en avant l’indigo que l’on travaille en Guinée, au Mali, au Sénégal, le wax, le kente, le bazin, le bogolan, le faso dan fani burkinabé… Affirmer son identité passe aussi par le vêtement.

Certains voient dans le wax une empreinte coloniale. Moi j’y vois la résilience africaine. Certes, il a été imposé par les Hollandais mais on y a mis notre patte. Ce tissu me permet de montrer mon Afrique telle que je la connais et dans toute sa pluralité. La vraie question, par contre, concerne le lieu où il est produit. Je trouve important de travailler avec des marques qui le fabriquent sur place, c’est cela le véritable enjeu.

On ne peut réduire l’Afrique à quelques stéréotypes. Ce continent complexe compte 54 pays. Dans le nom de ma marque, il y a  » erratum  » pour  » mettre en oeuvre la correction des erreurs du passé « , par rapport aux images négatives concernant ce territoire. En tant que maman de deux fillettes, c’est mon devoir de participer à construire une image juste de cette Afrique que je connais et que j’ai envie de faire découvrir.

Molenbeek n’est pas une  » no-go zone « . Comme l’Afrique, cette commune est diversifiée et a tellement de choses à offrir. D’ailleurs, elle m’a tout donné : j’y vis, j’y travaille, mon atelier de confection s’y trouve. C’est un atelier social, le Welvaartkapoen, qui collabore avec des personnes en réinsertion socio-professionnelle et où l’on peut réaliser de petites séries, avec de belles finitions. Je suis fière d’affirmer que mes vêtements sont  » made in Molenbeek « .

Believe in lost ideas. C’est la révolte des idées perdues. J’ai piqué cette phrase à mon compagnon artiste peintre, Thiémoko Diarra. Je la trouve géniale. Quand on est petit, on a plein de rêves, puis la rationalité prend le dessus. Mais ces rêves sont cachés quelque part. Parfois, ils se révoltent et finissent alors par prendre de la place.

Festival Afropolitan, Bozar, à 1000 Bruxelles, du 28 février au 1er mars. bozar.be et facebook.com/erratumfashion

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